Né à Stras­bourg en 1950, con­cep­teur et directeur du Mam­co (Musée d’art mod­erne et con­tem­po­rain de Genève) et ancien directeur de la Vil­la Arson (Nice), Chris­t­ian Bernard est aus­si un poète des plus dis­crets. Jusque là il envoy­ait (et con­tin­ue de le faire) ses poèmes sous forme de mini-pla­que­ttes à ses amis. Ses pre­mières pub­li­ca­tions (rares) datent de 1966. Mais il inau­gure aujourd’hui les édi­tions papi­er de Sitaud­is avec un recueil très para­dox­al de son­nets.  Par la déstruc­tura­tion de la forme fixe ils devi­en­nent de véri­ta­bles nou­velles express.

Chris­t­ian Bernard sous pré­texte d’honorer la forme fixe lui fait un enfant dans le dos pour met­tre à nu une sorte de créa­tion hybride afin de mon­ter un pont entre le passé et le futur, fic­tion et poésie. L’auteur mal­traite à sa main la struc­ture la plus prisée de la poésie française. Pour autant et en dépit de l’humour caus­tique il ne s’agit pas d’un sim­ple jeu. Ses textes sont de petits bijoux rich­es de glisse­ments et d’insolences ravageuses. N’en déplaise aux puristes on ne pour­ra plus par­ler de coupures à l’hémistiche et autres vaca­tions farcesques du genre au moment même où le  philosophe mon­tre son nez sous les man­teaux de vision du poète.

Celui-ci   règle ses comptes à nos mémoires et aux livres qui leur tien­nent de garde fou :

« Nos sou­venirs sont des cab­i­nets d’a­ma­teurs et nos
livres des bib­lio­thèques couchées Scher­zo Dies rirai
Chausse-trappes portes dérobées phras­es piégées

(…)

 Cather­ine Crachat te tient lieu d’ange gar­di­en tu
la sens dans ton dos dans ton angoisse sourde et
muette La prose du monde est sans pourquoi »

 

Ces deux « ter­cets » illus­trent par­faite­ment la langue sans arthrose de l’auteur qui par ailleurs élim­ine tout point de ponc­tu­a­tion. Et lorsqu’ils appa­rais­sent ce n’est plus en tant que signe mais comme élé­ment à part entière de ses nar­ra­tions « à angles obtus FWD ou poèmes bar­bares au pilon point-virgule ».

Le son­net ne fait pas dans la vieil­lerie. Il pro­pose une nou­velle forme de nar­ra­tion dans un temps où la rapid­ité de lec­ture impose la forme la plus ramassée qui soit. Cul­ti­vant les décalages, les effets retards comme les avancées il n’y a de place ici ni pour col­is fichés ni pour ver­ro­terie sauf à y voir débarouler un éléphant. L’humour rap­proche le sérieux directeur du Mam­co des irréguliers belges de la langue qu’il affectionne.

Tel un avi­a­teur fou Chris­t­ian Bernard laisse plan­er bien des énigmes à coup de loop­ings et autres fig­ures non réper­toriés. Ne croyons donc pas l’auteur lorsqu’il affirme  « Jamais nul vrai plaisir à tir­er ces  lignes sinon celui par­fois de voir  ou d’en­ten­dre la dou­blure ou  l’é­cho qui susurre la désen­tente ». Chaque texte est une relance à bras pro­pre à provo­quer   le  plaisir du texte  au moment où pour cette  « Petite forme » celle du poète est à son apogée.  Le créa­teur prend par revers toute une post­moder­nité poé­tique en revendi­quant le car­ac­tère fal­lac­i­eux, énig­ma­tique mais tout autant fes­tif de l’image. L’œuvre assume donc des utopies que d’aucuns con­sid­èrent comme « bour­geois­es » — on se demande bien pourquoi.

 

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