Dans l’avant-propos de ce boulever­sant recueil, l’auteure racon­te les cir­con­stances du décès de sa mère, morte un dimanche, seule chez elle, après avoir regardé à la télévi­sion un feuil­leton nom­mé «  La mort est un poème ». Coïn­ci­dence trou­blante qui ouvre le ter­ri­toire de l’énigme, celle de la mort et celle du som­meil qui lui ressem­ble, celle de la langue qui creuse la sidéra­tion et le manque, car « tant mourir n’est pas partir »…

« L’immédiat de la douleur dans la perte d’une mère a rep­longé l’adulte que je croy­ais être dev­enue dans un cer­tain lan­gage de l’enfance retrou­vée », pré­cise encore Lau­rence Bou­vet. Et c’est un fait que devant l’« évi­dence du corps-silence », dans le cha­grin qui ressasse « la présence dans l’absence », les sou­venirs remon­tent, et avec eux des bribes de lan­gage, des mots, (« c’est la vie », « étein­dre la lumière en sor­tant », « c’est pas la mort d’aider sa mère », etc.) tan­dis que les for­mules enfan­tines manè­gent et que la souf­france remue la parole et la déstruc­ture. «  Démem­bre­ment de (l)a gram­maire », « déhanche­ment de la phrase », jeux de mots (« con­tin­ue elle/continuelle ») et répéti­tion-leit­mo­tiv sont autant de moyens que trou­ve cette « larme de fond » pour sub­ver­tir par la poésie le lan­gage policé, trou­ver par le « doux leurre » une voie à l’expression du boule­verse­ment intime et de l’angoisse. Une façon de forcer la langue qui n’est pas sans rap­pel­er par­fois la manière d’une Valérie Rouzeau.

« La douleur est ce doux leurre 

d’une présence qui demeure ». 

Oui, mais elle est aus­si, pour la fille, l’occasion d’un ver­tige, celui de se recon­naître en sa mère : « rien ne m’est d’elle qui ne soit moi qui ne soit elle ». Et pour la femme, celui de décou­vrir la pro­fondeur d’une inépuis­able sol­i­dar­ité : « Entière en chaque femme te voilà / par­celles de toi chez toutes / elles te ressemblent ».
Et puis, bien sûr et comme au bout du compte, la dérélic­tion fau­file cette langue mater­nelle décousue, recousue, de ses rap­pels aux désor­dres de notre sort tan­dis que « dans le trou de la page » la soli­tude s’insinue et que la con­science se tient en éveil par l’étonnement, « s’il n’est pas faux que nul ne tient sa mort pour véritable ».

Ce texte a d’abord paru sur le site de la revue Tex­ture, dirigée par Michel Baglin :

http://revue-texture.fr/

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