Richard Rognet est un poète à l’œuvre con­séquente, dis­tin­guée par divers prix, la plu­part en fait, depuis 1978, à l’exception du Goncourt de la poésie. Il est mem­bre de l’Académie Mal­lar­mé. Les mau­vais­es langues penseront ce qu’elles veu­lent de cela mais, dans le monde poé­tique français con­tem­po­rain, cela pose un poète. Car Rognet est un poète authen­tique, et c’est la pre­mière chose qui frappe à la lec­ture de ce très bel ensem­ble de poèmes, dont une par­tie a déjà paru dans la revue Diérèse – l’une des excel­lentes revues papi­er du paysage poé­tique actuel. Depuis 2003, l’essentiel de son œuvre paraît chez Gallimard.

Dans les méan­dres des saisons, suivi de Elle était là quand on ren­trait, touche au plus intime de l’homme/poète, et donc de ce qu’est un humain. Exacte­ment l’un de ces livres de poèmes qui affir­ment, sans le vouloir, comme par nature ou par essence, que la poésie, bien qu’écrite, n’a guère à voir avec la lit­téra­ture. Nous sommes ici dans les pro­fondeurs de l’être, là où rien ne se racon­te ou ne se la racon­te mais où tout se vit. où jamais aucune rai­son raison­nante ou intel­lec­tu­al­i­sa­tion forcenée ne vien­dra expli­quer quoi que ce soit ; car il en va ain­si de l’humain, d’être un lieu inex­plic­a­ble, mal­gré toutes les ten­ta­tives idéologiques et autres. Et c’est juste­ment cela, peut-être, qu’il y aurait à com­pren­dre (au sens de saisir par intu­ition ou imag­i­na­tion créa­trice). De mon point de vue, c’est sur ce précipice, sur cette ligne de faille là, que l’on lit un grand poète, et c’est pré­cisé­ment cela que nous affir­mons comme étant poésie des pro­fondeurs au sein de Recours au Poème. La chose est sim­ple. Après, évidem­ment, l’être humain con­tem­po­rain, fort en bassess­es, peut lire en nous le con­traire de ce que nous sommes, grand bien lui fasse ! Nous ne sommes opposés à aucune manière de saisir le réel du monde.

Ici, nous sommes au cœur de l’éclaircie.
Bien­v­enue aux poètes !
Et bien­v­enue à la poésie de Richard Rognet.

 

Si l’ombre qui s’enfuit emporte
avec elle les ines­timables fruits
de ta mémoire, rattrape-là,
serre-la fort con­tre toi, jusqu’à
 

la faire entr­er dans ton corps, car
cette ombre est peut-être le double
de toi ou ce qui des humaines joies
a résisté à l’assaut des tristesses
infinies, à l’éparpillement des chants
 

qu’on révérait jadis, dans un temps
qui n’existe plus, parce qu’on n’a pas
su retenir ses gloires, ses passages
sur nos mains, entre nos doigts, dans
nos regards, dans ces mille et mille
 

reflets qu’un peu plus d’attention, de
fer­veur, aurait pu sous­traire à l’oubli,
aux secrets de nos morts engloutis
 

dans leur nuit.

 

 

Et cela par­le des pro­fondeurs du réel :

 

 

je fais con­fi­ance aux pier­res des mon­tagnes dont
le silence affer­mit la pléni­tude du présent qu’il
nous faut sans cesse arracher aux griffes du passé.

 

C’est bel et bien au cœur du silence con­tem­po­rain des pier­res que se trou­ve le pro­fond réel (de notre point de vue, lequel en vaut bien d’autres). Qui ne sent pas immé­di­ate­ment cela peine à saisir le con­tem­po­rain. C’est pourquoi la poésie est aujourd’hui une absolue néces­sité humaine, et c’est pourquoi le temps est venu d’un recours.

Richard Rognet en appelle à « la pléni­tude du silence ». Tout se joue, en ce moment même, .
Mer­ci au poète, d’être authen­tique.

 

 

 

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