le moment vien­dra où elle ne se sat­is­fera plus
des miettes de temps restées dans ta paume
où elle tir­era un trait
et fera les comptes

les puces des menues lumières qui saut­ent sur l’étendue marine pourraient
ramen­er ton atten­tion un instant encore
des jours qui s’agglomèrent
à l’infini
mais de cet instant — dit-on — ni les paupières enflées des nuages
répudiés aux marges du vis­i­ble ni l’espérance
restée en toi n’aura plus de larmes

mais la peur vibratile se fera regard intérieur
pal­pant avec hési­ta­tion la couronne du chêne sur la colline
ren­ver­sée déjà
la tête en bas
dans l’abysse inexplicable

et comme la lumière t’a tou­jours mon­tré autre chose
qu’elle-même
cette inon­da­tion venue de l’intérieur d’elle-même sera
comme une épidémie hilarante

une bruyante foule de compt­a­bles alcooliques
sur les côtes abruptes de l’Olympe
vers les bistrots de la vallée
après avoir refer­mé leurs registres
pressés de prof­iter du week-end

il se fait tard
les sibylles tirent les volets des boutiques
la Pythie éteint le gaz
les numéro­logues et les astro­logues ont rangé leurs étals
les psychopompes
se sont déjà con­fort­able­ment instal­lés dans leurs trains
qui font la navette vers la périphérie de la réalité
après une semaine d’asphixie à tra­vers les souterrains
obscurs de l’au-delà
rem­plis d’eau soufrée et de formes lar­vaires de vie
et les sac­ri­fi­ca­teurs se sont déjà lavé les mains
aux fontaines

bien sûr que le mages ori­en­taux se sont attardés de marché en marché
et les char­la­tans qui vendent de la poudre de briques
épaule con­tre épaule avec les pipeurs de dés
et les petites vieilles cou­vertes de grains de beauté qui pré­ten­dent flairer
les pas raré­fiés du des­tin sur la route oblique
de la paume
frap­pant à la porte pau­vre­ment ouverte
sur le pro­fond des mystères

per­son­ne ne fait plus atten­tion depuis longtemps
à ceux qui te poussent à don­ner un bakchich au destin
même si… qui sait ?
et peut-être peut-être…

il te faut partir
                            tu n’as plus le temps de t’occuper des détails
quelques-uns t’ont été offerts et le moment vient
de restituer les nom­breux autres jours qui t’ont été
seule­ment prêtés
mais que dire sinon que tu avais mal com­pris le but de la transaction
toi qui croy­ais que tout cela t’était offert

la tristesse con­tin­ue évidem­ment à for­mer à la sur­face de ton âme
de la cale
comme les out­ils trop fer­me­ment tenus dans la main ser­rée du paysan
ain­si que cela arrive au cours des travaux et des jours
dans la tau­tolo­gie quotidienne

mais tu trou­veras d’instinct la route qui mène au débarcadère
qui n’autorise que l’embarquement
et tu com­menceras à faire avec agitation
des signes de la main en direc­tion de la rive aux mau­vais­es herbes
de l’au-delà

(en vain essay­erais-tu de crier en direc­tion de la barque
à tra­vers le bruit qui fuse des bistrots en même temps que la fumée
et la tran­spi­ra­tion de tant de soli­tudes qui vien­nent de naître
afin de négoci­er qui entr­era dans le lit de qui
un peu plus tard, vers minuit)

mais d’ici-là
en attendant
tu regarderas d’un air hébété une vieille inscription
délavée par les pluies sur le pan­neau près du ponton :
tisin didonai

 

 

traduit du roumain par Benoît-Joseph Courvoisier
 

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