Éric Séné­cal donne à lire un recueil assez atyp­ique inti­t­ulé Tu vas attrap­er froid, titre qui ren­voie à une phrase banale du quo­ti­di­en alors qu’il définit ses textes comme des éthopées. L’éthopée désigne, en rhé­torique, la pein­ture des mœurs et des pas­sions humaines. Il faut donc pren­dre ce mot comme une invi­ta­tion à décoder  les pros­es et les poèmes de ce livre. Les textes sont, sur le plan matériel, très dif­férents : si le vers libre domine, c’est à côté de  pros­es dont on ne sait trop si elles sont des récits/reportages, de brefs essais ou des poèmes en prose… La poésie, il faut en par­ler, et pour cela lire “Pages d’écri­t­ure” où Éric Séné­cal racon­te son expéri­ence d’une com­mande d’un texte pour une revue. Et c’est, au-delà de la cir­con­stance, une réflex­ion sur la poésie dans la société actuelle. Il faut relever ces pro­pos expédi­tifs : “Une grande part de l’édi­tion de poésie est aujour­d’hui […] inutile, absconse et auto­suff­isante…” Et dans une note en bas de page, il stig­ma­tise, non sans humour, “le con­sen­sus mou et bedonnant des pages de cri­tiques des revues qui en pro­duisent, où tous les livres ont des qual­ités, surtout ceux des col­lègues sus­cep­ti­bles de ren­dre la politesse…” Voilà qui ne facilite pas l’en­vie de par­ler de son livre : ou il est abscons et le cri­tique sera alors taxé d’in­com­pé­tence, ou ce dernier se risque à abor­der pos­i­tive­ment le dit livre et il peut alors être car­ac­térisé de bedonnant atten­dant un ren­voi d’as­censeur ! Pré­cisons-le de suite, je n’at­tends rien de Séné­cal, ni de son éditeur…

    Reste ce recueil. Et la ques­tion qu’en dire ? Ou com­ment lire ? Séné­cal a, tou­jours dans le même texte, ces mots éclairants : “Il m’est vite apparu impos­si­ble […] de définir au préal­able ce qui fourni­ra l’ob­jet d’un livre”. Dont acte, voilà qui rejoint une pre­mière impres­sion à la lec­ture de Tu vas attrap­er froid. On peut penser que cer­tains de ces textes ont été écrits sous l’ur­gence et d’autres non. Le mélange des gen­res, des formes (pros­es et vers, par­fois réduits à un mot ou deux) plaide pour cette impres­sion. D’où cette sen­sa­tion d’un recueil d’ex­péri­ences qui lais­sent le lecteur sur l’ex­pec­ta­tive. Autant Pages d’écri­t­ure ou Bout du quai, ou encore Réc­it de dédé l’avi­a­teur m’ont con­va­in­cu d’emblée, autant cer­tains poèmes m’ont lais­sé sur ma faim. Le résul­tat n’est, par­fois (et je souligne ce mot), pas à la hau­teur de l’ex­i­gence que recèle le terme éthopée.  Même si la pein­ture de l’en­fance qui se con­stru­it d’un poème à l’autre est une réus­site. Mais peut-être n’ai-je pas su lire comme il fal­lait ce recueil…

    Écrivant ce qui précède, je ne peux m’empêcher de penser (et de citer) ces deux phras­es de Salah Stétié dans l’aver­tisse­ment  à son essai Rim­baud, le huitième dor­mant, paru en 1993 chez Fata Mor­gana : “Toute lec­ture est en défini­tive un semi-dia­logue et un demi-mono­logue. Elle ren­voie, à tra­vers les mots d’autrui, à la pro­pre voix altérée du lecteur.” Sans doute s’ap­pliquent-elles  ici ? Peut-être…

 

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