Je n’aime pas les poèmes documentaires
je n’aime pas les poèmes de l’amour en douleur
je n’aime pas les poèmes de pleurs indignes
ni les poèmes de rose mauve et de fièvre
ni ceux de fauves ou mièvres
je n’aime pas les poèmes de vit­rine personnelle

J’aime bien les poèmes qu’il faut lire
profondément
et les poèmes d’arrachement

Je n’aime pas les mots fades
ni les mots compliqués
dans les poèmes
à moins qu’ils ne ser­vent de faire val­oir à une idée

Je n’aime pas les lecteurs de poèmes
stupides
ni les esprits à sens unique obligatoire
ni les poèmes à certitudes
ni les lecteurs à certitudes

Je n’aime pas que l’on n’aime pas mon poème
je n’aime pas ne pas aimer mon lecteur

J’aime faire un poème par amour du lecteur
Je n’aime pas qu’un poème reste inédit
ni ne pas le mesur­er à l’épreuve
du regard des autres

J’aime les poèmes clin d’œil
coups de pied
et pourquoi pas les poèmes guilizili

J’aime mieux dire :
« j’ai du mal à entr­er dans votre poème »
plutôt que carrément :
« je n’aime pas votre poème »
ou penser 
« c’est de la merde son poème »

C’est trop frag­ile un poète
j’aurais trop peur de le casser
et d’ailleurs
il est pos­si­ble que plus tard je découvre
que je n’avais alors vrai­ment rien compris
pas même entre­vu la démarche
et sa sub­til­ité ou l’étrangeté
et du poème et du poète

J’aime rester sans voix en lisant un poème
et je voudrais bien
à chaque fois
frap­per de stupeur
mon auditeur-lecteur

J’aime trou­ver des mots de langue humaine
à cris de bête et à mur­mures de feuilles
j’aime appel­er un chat un rat
ou lanternes
des vessies

J’aime mieux un poème à gri­mace amicale
plutôt qu’à sourire de mépris

J’aime atten­dre et attendre
que mûrisse un poème
même si j’ai peur de le perdre

Mais je n’aime pas les rêvasseries stériles
des nuits chargées
ou les générosités
d’enthousiasmes subits
et me méfie des grands élans et des poèmes de nostalgie

J’aime les poèmes qui sont du genre point final
les poèmes « c’est comme ça »
sans deman­der si
« oui ou non ? »
« et alors, qu’en pensez-vous ? »

Je n’aime pas don­ner les clés
ni expliquer
ni argutier
ni me bless­er aux juge­ments des classificateurs
à ceux de ceux qui savent
à ceux qui ne voient pas le fond
sous la forme

Je veux offrir avec ou sans partage
un moment de ce temps-privilège
sorti
de la rage
de rien
du vent
à pren­dre ou à laisser

Peu importe

 

Paris novem­bre 2008

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