La déso­la­tion de l’e­sprit, le vrai tour­ment de la con­di­tion, est de voir intel­li­gence et Amour se divis­er et s’op­pos­er dans l’homme. De ce tour­ment, il est bon et néces­saire que des témoins soient par­mi nous, et qu’ils le chantent. Pierre Emmanuel

 

Dans son ABC de la lit­téra­ture, Ezra Pound dis­tin­guait le mau­vais cri­tique en ce qu’il par­le d’abord du poète avant de par­ler de la poésie !

Pour « dire » Ossang mieux que tout autre, il y a en ce livre la post­face sub­lim­i­nale de Claude Pélieu Ossang saute dans sa voiture rouge au coin de la rue de la femme qui pleure… Et tout, ou presque est dit.

Je tacherais d’évo­quer, moi, le verbe d’Os­sang. Sa voix poé­tique, car c’est une voix qui vient frap­per vos audi­tifs canaux lorsque vos yeux par­cours les lignes de cette poésie. Des lignes qui sont comme des routes, des chemins, des couloirs aériens. Asphalte des mots, terre des mots, air de haute sphère des mots. Une voix un peu haut per­ché, un peu érail­lée, chromée, tou­jours un peu ironique qui vous cin­gle, vous sul­fate, véloce, mor­dante comme un soleil en fusion, piquante comme un grand froid sibérien, comme un vent d’aci­er argentin. La voix  qui sil­lonne les fron­tières escarpées « dans le froid spé­cial des matins de voyage ».

Impi­toy­able­ment mod­erne et sans pitié aucune pour les illu­sions mod­ernistes le verbe d’Os­sang vire­volte sur les hori­zons glacés d’un monde en aci­er oxy­dé. Impéné­tra­ble voy­age cyclique. Il sait aus­si chanter les visions cré­pus­cu­laires des beautés altérées et pour­tant immuables. Venezia Cen­tral comme point cen­tral d’un effon­drement, d’un affolant désas­tre pour­tant assumé, déjà con­sumé par le chant. Auro­ral et autom­nal, le chant poé­tique d’Os­sang sait se haler aux pales rais de mul­ti­ples soleils blancs croisés aux fils des ans et des kilo­mètres (de langues et lan­gages aus­si) avalés. Il est d’une lignée rim­bal­di­enne ce psalmiste là, lignée qui, par essence fait rup­ture et brisure mais qui, con­traire­ment à la con­tre-ini­ti­a­tion malar­méenne, ne débouche aucune­ment sur un « néant ».

Comme la musique, dans l’es­souf­fle­ment nihilis­tique de l’a­cous­tique, s’élec­tri­fia pour n’être plus, tout entière, que vibra­tion féerique et démonique à la fois, de même la poésie d’Os­sang est élec­trique de toutes ses fibres. La parole est mekané, rafales tech­niques (au sens grec d’artis­tique), pul­sa­tions angéliques et rebelles, en créneaux cri­tiques dans les vu-mètres !

 

Point de hasard si la mytholo­gie rock­’n rol­li­enne s’exprime
dans les ter­mes de Kali Yuga. Sexe et destruction.
Et nous autres, bar­bares adeptes du Tri­dent de Merde et de Soleil,
citoyens d’ex­il de Venise et de son incendie
nous n’avons peur que de « l’autre ciel » (la nuée de souf­fre émanant
de la con­tre-ini­ti­a­tion).p. 26

 

A la suite de Venezia Cen­tral, can­to nucléaire à la cité des Doges comme cœur défait de l’Eu­rope, sous l’om­bre tutélaire d’Ezra Pound mar­tyr, les sta­tions des voy­ages spa­tio-tem­porel du poète élec­trique s’en­chaî­nent. Elles s’enchâssent les unes dans les autres. Con­den­sé de prose poé­tique hale­tante sur les limes escha­tologiques, dans les espaces crus des no man’s land, le verbe d’Os­sang har­monise les excès énergiques de la vitesse et de la rage. 

Pluie de neige et Unité 101, comme des syn­op­sis, nous par­lent depuis les hautes posi­tions du ver­tige téléologique. Le verbe claque en sec­ouss­es tel­luriques. La phrase est longue comme les dens­es nuages de ciel à vitesse grand V reflétés dans des ver­res fumés, mais jamais à bout de souf­fle. Elle est suc­ces­sion, super­po­si­tion découpée au scalpel d’im­ages de mer­cure, noir et blanc plein d’un con­traste qui fait mieux percevoir les couleurs. Et puis il y a comme une pro­fonde et plus lente inspi­ra­tion et c’est Cet aban­don quand minu­it sonne.

La poésie d’Os­sang, poète de l’i­ci et de l’après-demain, paysages de fin de voy­age, paysages de fin de la fin pais­i­ble et rav­ageant, comme l’éther premier.

 

Je voulais le monde, bien que l’oeil froid du Soleil d’hiver
déverse en moi la pesan­teur d’une inquié­tude sat­urni­enne. p.35

 

Paysage et silence. La poésie, sa poésie est cette zone trou­ble, zona inquina­ta, zone dou­ble de silence et de réponse… De répons­es par­fois sour­des par­fois inquié­tantes de silence. Par­fois, encore, aus­si explo­sives qu’une apoc­a­lyp­tique rédemption :

 

Dieu par­le dans une nuit étrange où l’ag­i­ta­tion ne se dénomme pas.
Et l’on est bien en peine, au moment de relire ces phras­es néantes
et com­pliquées, d’af­firmer d’où elles vien­nent et conduisent.
Dieu n’ex­plique rien. Il fonde un espoir comme on nour­rit son attente.

(Land­scape et silence. p.63)

 

 

 

 

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