Oscil­lant « du goût des sèves à la pas­sion des formes », le recueil de François Mont­maneix baigne à la fois dans le con­cret et le sym­bole, voire la méta­physique. Il est plein d’envols, d’aubes, d’infini et d’horizons, de fruits (les grappes trop hautes), de lumière surtout. Et de nuit. Il accueille ensem­ble l’oiseau (qui cepen­dant « n’a écrit pour per­son­ne »), la grenouille (qui fait tenir un moment le monde sur son nénuphar avant de l’engloutir avec elle en plongeant et en inven­tant le temps), cent soleils et les « mil­liards d’interrogations d’une nuit qui ques­tionne sans fin ». Les images abon­dent, l’élégie n’est pas dédaignée, la nos­tal­gie affleure en quelques évo­ca­tions d’avant, d’« un temps de bœufs ren­trant cou­verts de brume », et la mémoire sen­si­ble y est tenace comme ce « man­teau mouil­lé qui met­tra une vie à séch­er ». Voilà pour ce qui est du reg­istre de la per­cep­tion, du vécu et de l’émotion.

Pour­tant, avec ce livre, nous sommes loin d’une poésie pointil­liste ou min­i­mal­iste, qui se con­terait d’évoquer, mais bien dans une suite de poèmes con­fron­tés à « l’abcès vivant de la beauté du monde », explo­rant l’inadéquation entre les mots et les choses, ain­si que « l’air qui rôde entre les mots » eux-mêmes. Car la langue est expéri­men­ta­tion du néant, et l’on songe à Mal­lar­mé tant le nom scelle de divorces, ren­voie à ce qui tou­jours se dérobe. « L’absence inachevée de qui vient sans jamais être là » fait échos à la dif­fi­culté de coïn­cider avec soi dans les labyrinthes du temps et le mys­tère de l’être. Quant au poème, l’auteur nous le rap­pelle en qua­trième de cou­ver­ture, « avant d’être un instan­ta­né, un futur au passé, un présent habité, un lende­main pos­si­ble, un lieu d’être, (il) est essen­tielle­ment un espace plan recou­vert de mots en un cer­tain ordre assem­blés »… Et d’interroger « les désor­dres de cet ordre-là ».

La vie « partageable ».

Les ciels, les temps, les mon­des con­stituent « l’équation aux mil­liards d’inconnues » et les mots sont « exilés » par « la vio­lence des ques­tions ». La dérélic­tion est là, cos­mique (« absol­u­ment per­due en l’univers, la terre n’est qu’une pointe d’aiguille »), exis­ten­tielle avec « le dégoût de n’être / rien que cet immen­sé­ment rien », elle pousse le poète à la ten­ta­tion du silence avec « les nuits d’un cos­mos sans réponse », et il peut s’écrier : « Je me tais de toutes mes forces ».

Il ne s’agit pour­tant pas de « s’en aller de la mai­son des signes » et une forme du salut passe bien par la langue et la parole poé­tique. « Ce qu’il tai­sait le met­tait en péril » prévient d’ailleurs François Mont­maneix. Le poème est aus­si soif, appel du monde, et d’une cer­taine façon il le fait advenir. Le mou­ve­ment est dou­ble car c’est aus­si « le mou­ve­ment du monde / qui vient au devant des mots mis à l’ombre / dans les pages non coupées du grand livre ». Ce qui importe, c’est que le réel (au demeu­rant si peu cern­able) et le monde intérieur ne cessent leur dia­logue, même dif­fi­cile et incer­tain (« d’un pied sur l’autre il oscil­lait de la réal­ité trop courte à l’expansion du dedans »), même trou­blé de dis­so­nances… L’inconscient lui-même, le songe (« la fab­rique d’images qui emprunte à la nuit ses out­ils »), la musique par­ticipent à ce réveil réciproque, cette dynamique qui fait la vie « partage­able ». François Mont­maneix, mélo­mane (il fut directeur de l’Au­di­to­ri­um Mau­rice-Rav­el de Lyon) use de la com­para­i­son avec « le lied entre le chanteur et le pianiste par­courant ensem­ble l’espace dans lequel ils vont au monde, ain­si qu’il vient à eux »  pour évo­quer cette quête de présence et cet enrichisse­ment mutuel et viv­i­fi­ant à tra­vers la langue.

Yves Bon­nefoy qui a doté le recueil d’une pré­face longue et fouil­lée, affirme qu’ici « ce n’est pas le cos­mos qui devient humain, c’est l’humain qui devient cos­mique » avant de par­ler de « dilata­tion de l’être au monde » dans la poésie de François Mont­maneix. Il explique dès lors le titre par ce qu’il entend dans les mots de George Sand : un vœu de lumière. Il me sem­ble en effet le véri­fi­er dans un poème comme « Fraîcheur » évo­quant, avec la nais­sance du jour, l’immersion dans l’universalité du vivant en un choral de correspondances.

 

De cette rue la première
à émerg­er du sommeil
bon­dit une clarté qui se hâte
d’a­juster le ciel aux fenêtres
Un air frais revient de sa fièvre
sur les derniers accords d’un chant
de marins à la fin de la mer
quand bat le pouls de ceux qui aiment
sur un banc sur un quai sous un balcon
avant même que l’arroseur
ait remis le soleil au travail
sur les trot­toirs éton­nés d’être en vie
dans le défer­lement d’un flot d’enfants
qui appor­tent des ruis­seaux à l’école
en s’é­clabous­sant d’infini
luisants légers de flaques d’avenir
et de toute la terre à gagner
par un seul arbre au cen­tre de la cour
où les moineaux qui boivent l’aube
la piéti­nent pour mieux se convaincre
qu’à peine une heure plus tôt
le jour était ailleurs qu’ici.

 

Leçon d’énergie que ce « laiss­er ver­dure » : face à l’impalpable, l’incompréhensible, l’invisible, les ques­tions sans réponse « pour­tant sont pleines d’une vie / et d’un sens tou­jours en avant / de ce qui aurait pu être dit ». « Une part du monde à venir » est bien dans les mots.

 

François Mont­maneix, acteur impor­tant de la vie cul­turelle lyon­naise (il fut notam­ment mem­bre fon­da­teur du prix Kowal­s­ki), emprunte le titre de son douz­ième livre, « Laiss­er ver­dure », à George Sand et aux mots qu’elle prononça dans son dernier souf­fle. Énig­ma­tiques, ils pro­posent une piste de lec­ture de ce recueil, d’une belle den­sité d’écriture, pub­lié par Le Cas­tor astral.

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