Il n’y aura pas de suite à cette parole…
Une race nou­velle va naître, qui ne portera que son visage.
Sans ascen­dance, sans adop­tion. Sans recon­nais­sance, sans migration.
Niant toute aube tout de même que tout crépuscule…
Une race ver­ti­cale jusque dans sa langue,
se procla­mant partout chez elle.
Une race affamée, assoif­fée et iras­ci­ble ; d’une impa­tience irré­press­ible revendi­quant toutes les justices.

 

Une race non point incen­di­aire, dis­ant de soi, mais inflam­ma­ble comme des moines de Bouddha
dans le cri d’exil des neiges de Tibet lancé en drag­on de feu dans l’épouvante et l’émoi des foules ;
une race pro­liférant sur toute la sur­face du globe,
sans étreinte, mais par la splen­deur de sa flamme exaltée dans l’arithmétique d’une multiplication
des lat­i­tudes par les longitudes,
vingt-qua­tre heures croix
vingt-qua­tre heures ;
dans la puis­sance du temps ;
à la racine car­rée de nord ; à la racine cubique de sud ; à la racine bicar­rée d’est ; et l’ouest, tou­jours à la puis­sance zéro comme pour dire l’unité des­ti­nale de même cen­dre, le nihilisme d’une terre rêvant éveillée, 
et déjà dans sa mort !
― le scan­dale de l’invraisemblable défaite de la lumière :
le soleil se dis­solvant dans les ténèbres, 
vain­cu, éteint ;
la nuit s’étalant et rég­nant en paix 
comme une évidence !
Une race nou­velle va naître,
qui n’aura que mépris 
pour nos vaines espérances.
Il n’y aura pas de suite à cette parole,
pas plus qu’il n’y aura de pré­dic­tion qui tienne debout
sur la fin pré­ten­due de l’Histoire.
Une race nou­velle va naître.
Elle proclam­era apporter à notre terre
la promesse de la cein­dre d’un équa­teur de feu.
Il n’y aura pas de suite à cette parole
nous deman­dons quelle est la vio­lence de l’infranchi          qui dort en lui s’attarde devant la carte des tueries
nous deman­dons quel jour voit son monde 
dans l’in­tim­ité de sa tempête
l’é­clat intérieur qui la rend étrangère à toute séparation
Un grand fleuve d’om­bres pressent l’in­vis­i­ble histoire
défaite dans son lit le tiers-mys­tère de toi.…. 
en sor­tie de nudité
La mis­ère est un géno­cide, elle arrache à l’homme,
en le ren­dant totale­ment dépen­dant, sa taille d’homme.
Com­ment penser sa dig­nité, quand le vital n’est acces­si­ble que par la grâce des autres ?
Paroles mys­térieuses de la clair­voy­ance, écoute initiale
où l’on entend rêver les fonds.
Ici la nuit vient boire en l’homme.
Eteins tes yeux, inutiles à la lumière de ce jour.
Ren­verse-les sur la nuit,
sur ce rivage de ténèbres où notre siè­cle a sa demeure, où sont détenues nos souffrances,
nos appels aveu­gles tâton­nant sans jamais trouver
l’issue d’une libération.
Eteins tes yeux.
Ouvre-les sur la myr­i­ade de tré­sors d’étoiles dis­souts en tes larmes, l’océan emblavé de semences du ciel.
Eteins tes yeux.
Vois dans la nuit de tes iris l’étendue étoilée.
Trie. Offre nous cette pierre, cet astéroïde en errance
d’amour qui devien­dra lumière de vie
avec l’émergence de regards nouveaux
Eteins tes yeux.
Dans l’innocence retrouvée,
feuil­lette les nuits du monde, et monte,
à la vierge page du som­meil de Jacob,
sur l’échelle verticale,
comme y vont et vien­nent de la terre au ciel
les anges inquiets…
Une race nou­velle va naître,
d’enfants très savants, légistes et mys­tiques-nés, qui dans le fos­sile retrou­veront les mots de la tragédie,
et dans la pous­sière, les éclats des rires cyniques ruis­se­lant des coupes d’ivresse des palais fantômes,
et dans les pier­reries, le sang et les blessures réfugiés dans le scin­tille­ment des rubis,
et dans le vent, ils mon­treront les soupirs, les gémisse­ments, les angoiss­es et les silences, comme autant d’antigènes de la peur,
et dans la lumière, appen­dus telles des appari­tions, des vis­ages à créer, des vis­ages à per­dre, selon qu’il est écrit en leurs rit­uels très secrets et très vénérés,
une race nou­velle va naître ; d’enfants très savants,
qui refusent le des­tin de mules à charg­er de famines que se léguaient de généra­tion à génération
les human­ités anci­ennes, sur le dos ne por­tant rien à elle mais le poids d’un rêve, d’une paix, trop lourde pour la pos­er sur les tables d’une loi qui n’a pas la force de l’amour.
Ils se tien­nent au pied des Alpes, des Atlas et des Himalaya, et ils poussent ensemble.
La mon­tagne bouge, elle se penche, elle s’incline. Les prières passent, enfin…   elles vont et se rejoignent là-bas, de l’autre côté des mas­sifs, sur le front d’horizon,
pour y faire, exaucées, la source d’un ori­ent nouveau.
Il n’y aura pas de suite à cette parole,
une race nou­velle va naître…(…)

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