J’ai été cette jour­nal­iste de guerre en… Egypte

                                                                  Poème en neuf parties

 

Par­tie 1

Je tra­verse le Bazar de Khalili, la puan­teur du Caire,
épices ambrées et tapis fraîche­ment tis­sés emplis­sent mes narines
de plaisir ; ces images de pau­vreté, de sexe clan­des­tin et de
t‑shirts, ces images de men­di­ants, ces images du Tiers
Monde qui s’écroule tan­dis que le Pre­mier Monde est à son aise,
ces images des rues de New York et des ruines de la ville, ces
images de l’Avenue A, de ses men­di­ants sur les trot­toirs et de leurs
petites petites tass­es, ne me quit­teront jamais, ces images de villes
strat­i­fiées, couche après couche, ville sur ville, toutes s’écroulent et
tombent dans ma bouche sur­réal­iste ; je les déguste puis je ren­tre en courant
jusque dans les draps humides de l’hôtel où je pleure l’après midi, les
rues du Caire sont pleines de Hanu­mas abrités sous
de blancs Barakhanas, et les enfants en mules de plas­tique, ils
déam­bu­lent dans Giseh, qui n’est pas le quarti­er le plus pau­vre, mais qui
s’écroule aus­si, je marche par­mi ces box fraîche­ment bâtis,
ces hôtels aux pan­neaux tapageurs, aux planch­es trag­iques, tout
est écrit à l’envers et ain­si en est-il de mon des­tin ; dans mon
esprit je voy­age dans les rues de New York : les mêmes
ruines, les mêmes bâti­ments aban­don­nés pleins de gens
pau­vres, le même sang, le même saut dans la matrice
sémi­tique, la même blessure, saignante.

Les voitures sont anci­ennes ici et vrai­ment mys­térieuses ; un vis­age, celui d’un
jeune homme qui m’attire dans sa minus­cule bou­tique : il est avide
de me ven­dre son or alors que c’est l’argent que j’aime parce qu’il a de
l’âme ! je dis « sabahir » (bon­jour) à ma pau­vre âme
qui se réjouit parce qu’elle est encore en vie et qu’elle respire avec
l’antique cité, 18 mil­lions de per­son­nes tra­versent la brume
mati­nale, le bus évite les chameaux,
Néfer­ti­ti dort bercée par ses rêves où elle descend les flots du Nil,
la reine  Hat­shep­sout cherche ses bas­kets, puis elle allume sa
Kent améri­caine et recrache la fumée ; dans la ville,
un quarti­er qui s’appelle Zama Lek, avec son hôtel Hilton Ram­sès, le
plus haut bâti­ment du Caire ; là où Ram­sès s’est arrêté Hilton a pris la
relève, la ter­reur, l’exploitation, le sen­ti­ment que les Latino-
Améri­cains ont bâti les Hilton et les Sher­a­ton, tout
comme Ram­sès II a bâti les tem­ples, tout comme Kheops
a bâti sa pyra­mide, en exploitant les pau­vres, tout comme
le sanc­tu­aire de Ra a été bâti, écla­tant de beauté, les Grecs
l’appelaient autre­fois Héliopolis…

Je me retourne dans ma tombe et fais un rêve sai­sis­sant sculp­té par
les éper­ons de son imag­i­na­tion cryp­tique : nous obéis­sons au soleil,
les dieux ani­maux, Anu­bis, Seth, Horus,
oiseaux, cobras, et chiens galeux, et puis
la fas­ci­na­tion s’évanouit.
De tout le Pan­théon c’est lui que je préférais :
on l’appelait Ptah, pro­tecteur des artistes et des artisans,
et des voleurs et des voyageurs, et j’aimais
Thot, patron des scribes et des écrivains,
un dieu lunaire s’il en est !
mon vieil ami Aureus, sym­bole religieux là-bas,
per­son­nifi­ait une couronne royale,
le sym­bole du pou­voir et de la magie, l’œil du soleil,
à New York pour­tant, il lui fal­lait ven­dre de la came.

Images d’excréments, images de gloire ; images de la gloire
qui s’écroule sous le poids de l’oppression, pour revenir de nouveau,
sous un autre nom, une autre forme, un autre masque ;
et un autre frag­ment d’âme.

Main­tenant, je dois me con­va­in­cre de cette cer­ti­tude : j’ai déjà vécu là
autre­fois et j’étais un babouin, le dieu de la sagesse, Thot, mais
je devins aus­si Akhen­aton et un rebelle,
j’entrai dans le soleil et la matrice était brûlante, mon Ka était très
fatigué : en forme de stat­ue, il est mon pro­tecteur, une des formes de mon
âme qui a déjà par­cou­ru tant et tant de routes poussiéreuses,
la com­préhen­sion des men­di­ants, le refus de les oublier,
le refus de me voil­er les yeux d’un rideau opaque,
les images d’eau, images de ruines immo­biles qui se dés­in­tè­grent près du
lac, images d’une oasis verte faite de let­tres hébraïques et arabes
écrites à l’envers, images de mon âme sous la forme de mon Ka
intime lu de gauche à droite et des palmiers qui m’avaient
ignorée parce qu’il n’y avait rien d’impur en moi, rien
que ce silence dans lequel je me plongeai, dans lequel je me réjouis,
après tant de siè­cles, lorsque la civil­i­sa­tion était un berceau,
et que je n’y étais qu’un enfant .
 

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