Les poèmes de Katerì­na Iliopoùlou ressem­blent à des tableaux sur­réal­istes. Le per­son­nage qui évolue sous nos yeux, Mon­sieur T., et l’univers qu’il tra­verse peu­vent aus­si rap­pel­er telle ou telle nou­velle de Gogol – Le Nez par exem­ple –, ou de Krzyzanows­ki – l’excellent texte inti­t­ulé La Super­ficine, dans lequel une cham­bre d’étudiant grandit au point de don­ner le vertige.
Katerì­na Iliopoùlou nous pro­pose quelques jolies méta­mor­phoses. Ce Mon­sieur T. est à lui seul tout un monde.

 

   Réveil du matin

Mon­sieur T. chaque jour s’éveille dans un autre homme.
C’est pourquoi il se lève si tôt.
Avant le jour.
Il monte les march­es des instants avec peine jusqu’à la salle de bains.
Com­mence à ôter les écailles de la nuit.
Les rues glacées, les jetées, les bancs,
les feuilles des arbres et les lacets des branches/
les textes illis­i­bles, les vierges sanguinaires,
les nuées d’oiseaux.
Quand il se retrou­ve tout nu
il pose les yeux sur le miroir
comme on accroche un manteau.
Mais au lieu des yeux il a deux poissons.
Étant doté d’une patience infinie
il laisse les yeux-pois­sons flot­ter libres dans le miroir.
Alors il vit le rêve le plus pur.
Le rêve de n’être personne.
La soli­tude la plus prisonnière.
Les mots croisés entière­ment noirs des grands fonds.
C’est ce qui donne à ses traits
ce qu’on nomme «pro­fondeur».
Ensuite ses yeux retrou­vent leur place.
Le miroir pour eux est désor­mais plus familier.
C’est ain­si qu’ils se reconnaissent.

 

Mon­sieur T. n’est pas le seul à subir de telles trans­for­ma­tions. Les rues qu’il arpente devi­en­nent des riv­ières, des ser­pents ou des branch­es ; les draps dans lesquels il se couche, une mer vio­lente ; le cit­ron­nier de son jardin, un fauve…
Les ani­maux – pois­sons, oiseaux, tigres – sont nom­breux qui, sur sa route, déposent quelques mys­tères à élucider.

Un vol d’oiseaux de mer atter­rit à ses pieds.
Der­rière eux en par­tant ils lais­sent un texte illisible.

 

Mon­sieur T. sem­ble très seul cepen­dant. Il lui arrive d’envier le sort des galets qu’on ramasse et jette au loin. Ses gestes se font par­fois si lents et répéti­tifs qu’il se rap­proche sans doute du règne minéral.

 

Mon­sieur T. s’assied à son piano
et frappe obstiné­ment une touche.
Et chaque fois que la touche blanche descend
le son est libéré dans la pièce
et se referme comme une tombe enter­rant toute chose en elle-même.

 

L’ouvrage est le cinquième titre de la col­lec­tion Le fer & sa rouille de l’éditeur L’Oie de Cra­van. C’est une jolie col­lec­tion de petits livres cousus main (dif­fusés en France par Les Belles-Lettres).

Quelques poèmes du recueil ont été pub­liés dans Recours au Poème (som­maire 8), au moment de leur paru­tion à Mon­tréal. Ils sont à lire – ou à relire – ici :
https://www.recoursaupoeme.fr/po%C3%A8tes/katerina-iliopoulou

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