La poésie n’est pas un répit entre deux jours brisés ni une sim­ple pause entre deux romans, c’est ce même jour brisé en plus de deux romans, une rose épineuse riche de par­fums orig­i­naires du jardin per­du où nous étions heureux et unis à Dieu, non seule­ment fleur aux formes gra­cieuses ou son par­fum, mais quelque chose d’autre aus­si, de plus fort et de plus pesant que l’éphémère beauté d’une roseraie.

La poésie n’est pas l’ou­bli assoupi par­mi les feuilles que le vent soulève dans les champs à l’au­tomne, elle n’est pas une berceuse pour enfant à la foi suave et creuse ni même une con­so­la­tion pour l’adulte, elle est le vent du sou­venir des choses orig­inelles, le pain quo­ti­di­en pour l’en­fant et l’adulte que Mné­mosyne dépose sur une table mod­este ; c’est l’essen­tiel écoule­ment de l’être et de ses mots qui nous pro­longe à tra­vers la mémoire.

La poésie n’est pas le sim­ple orne­ment d’un vase grec ni une fig­ure étrusque sur la cime d’un tem­ple, ce n’est pas non plus l’étrusque qu’il nous faudrait encore déchiffr­er, car les télé­phon­istes, les voleurs et les espi­ons, eux s’oc­cu­pent des chiffres ; ce n’est pas la rup­ture ni la cas­sure du lan­gage car le lan­gage est brisé depuis longtemps déjà, ce sont les os cassés de celui qui est tombé et la recherche des caus­es à sa chute.
La poésie est notre marche sur les eaux.

Ce n’est pas une sorte de musique, d’im­age, de mètre, de rime ni de vers incon­nus, c’est une con­trée fan­toma­tique et tran­quille d’où afflue la sonate autom­nale, c’est une porte — celle-là même qui mène vers une lib­erté dif­férente de la tienne ; c’est le droit d’af­firmer l’ex­is­tence de tout et par là même renon­cer à ce tout.
La poésie, c’est la fonte du mon­tic­ule de glace.

Toute rime est bien­v­enue lorsqu’elle s’é­goutte sur mon cœur vide, et tout poème dif­férent du mien ; mais il faudrait à mes yeux que tous ces élé­ments s’a­gen­cent d’eux-mêmes comme organes d’un corps nou­veau-né, pour que le chant puisse réelle­ment exister.
Car il y a des rimes et des chants dénués de poésie ; il y a aus­si de la poésie qui ne trou­ve jamais son poète.
Mais il n’y a ni machine à rimer ni à poé­tis­er en dépit des labeurs du com­pos­i­teur et du plan de l’architecte.

Les mots ne sont pas des notes, des dessins, des briques, ils ne dansent pas au son de la musique ni n’en­trent avec joie dans les plans, on ne peut les trans­former en un mur, ils ne s’assem­blent pas en nou­veau palais du gou­verne­ment, ils sont plutôt désobéis­sants et vont là où l’en­vie leur prend d’aller.
Dieu seul con­naît le rythme qui les entraîne car ils n’ont pas été créés selon l’idée des hommes ou même selon leur plan mais préex­is­tent à l’ap­pari­tion de toute chose.
Répan­dus au gré des rythmes, des hommes et des astres, émergeant des nébuleuses pre­mières, ils prédirent la réal­ité et créèrent l’his­toire et le monde.

Au com­mence­ment était la Parole, le Logos, la voix du Seigneur et en elle le feu bleuâtre d’où naquit Adam.
L’homme créé par la voix reste voix seule­ment, l’homme qui vint du feu et que ce feu brûla plus encore jusqu’à le consumer.
Il en sera ainsi.
Mais créer un nou­v­el Adam
avant la débâ­cle sera le devoir du premier.
La poésie, c’est la voix de cette flamme même mouil­lée de larmes humaines, c’est la tran­si­tion de l’hu­main vers l’hu­main bien au-delà des eaux du temps.

 

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