A Bernard Mazo, IM

Tu avais deux paires de lunettes souvent
sur le nez et sur le front
pour ne jamais per­dre de vue
ni la beauté dés­espérée du monde
ni le ver­sant secret et la part sombre
que le poème retient dans ses filets.
Un salut d’une voix chantante,
le sourire à la proue, un bon mot
pour réchauf­fer un court instant
le reflet glacé  des jours en cendre.
Et puis la main sur l’épaule amie,
cet autre qu’on écoute en fouillant
dans les gre­niers de nos mémoires
les odeurs fugi­tives et les frag­iles images
qui nous font des promess­es d’éternité.
Oui, penché sur ta table de travail
dans l’obscure rumeur du temps,
ten­ant la dragée haute à la camarde
tu auras pris la parole
au nom de tout ce qui ne veut pas mourir
pour chanter le regret
de cette vie qui nous appar­tient si peu,
alors que ta mélan­col­ie dev­inait déjà
dans le froid mor­tel de l’exil,
ce cha­peau resté sur la table
qui un jour à son tour
nous par­lerait telle­ment de toi

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