C’est tou­jours un authen­tique bon­heur de saisir un vol­ume né chez Rafael de Sur­tis, ses pages couleur soleil lev­ant, cousues main, et son beau papi­er. Pages à peine tournées qui s’ouvrent sur ce René Char  :

« L’univers de la matière est plus mensonger
que le monde des dieux. Il est loisible
de le mod­i­fi­er et de le retourner ».

 

Avant de don­ner la parole à André Breton :

 

« Le procès de l’attitude réal­iste demande à être instru­it, après le procès de l’attitude matérialiste ».

 

On a pu penser que Bre­ton était autre chose qu’un poète des pro­fondeurs, engagé dans cela même (la pro­fondeur ver­ti­cale) qui vaut déf­i­ni­tion du mot « spir­i­tu­al­ité ». Et de la chose. Drôle d’idée. En tout cas, nous sommes ici en ter­res de con­nais­sance, nous qui – juste­ment – instru­isons au quo­ti­di­en ces dif­férents et néces­saires procès des atti­tudes réal­iste et matéri­al­iste. Pour ceux qui se deman­deraient encore de quoi Recours au Poème est le nom, les choses doivent devenir claires : nous sommes le procès quo­ti­di­en de « l’antipoésie ». En com­para­i­son, Fouquier-Tinville doit être tenu pour un comique. Cela se fait et se fera sans bruit, dans la dis­cré­tion de ce champ de bataille que sont les pages d’une revue. Et nous nous con­tre­fi­chons d’une époque qui pré­tend à l’inexistence des guer­res sous toutes leurs formes quand, juste­ment, toutes les formes de guerre sont à l’œuvre, partout, autour et en nous, à cha­cun des instants de nos vies. Il est des uni­formes / armures plaisant (e)s à vêtir, n’en déplaise aux ado­ra­teurs de la divinité bisounours à la mode. L’heure est à la lev­ée en masse des poètes.

La Vie immatérielle de Serge Tor­ri porte l’incandescence à cette hau­teur ver­ti­cale là, celle de la poésie élevée. Je ne con­nais pas le poète, j’ignore s’il sait que son atelier/œuvre s’inscrit dans la guerre sainte en cours. Celle d’un Dau­mal. Mais je le soupçonne d’être au courant de ce qui se trame dans la join­ture des pavés blancs et noirs. C’est pourquoi l’emploi du mot guerre ou de toute forme de vio­lence lan­gag­ière ne doit pas être enten­du comme expres­sion d’un dés­espoir, bien au con­traire. Ils vont se lever les chants du monde et se relever les tem­ples ! Une ques­tion cyclique aus­si naturelle, sim­ple et belle qu’un brin d’herbe.

On lira prochaine­ment de ses poèmes dans nos pages.

Cet ensem­ble de textes poé­tiques et/ou sur la poésie sont textes d’irrigation, par le Poème dans le creux du poète. C’est un état de l’esprit, lequel est à la fois peu fréquent et… bien plus fréquent qu’on ne le pense de prime abord. Ici, la poésie est ini­ti­a­tion au tout du réel, dans et en dehors de ce vais­seau qu’est l’homme/poète. C’est pourquoi la paru­tion de ce livre chez cet édi­teur là est chose par­faite­ment sen­sée : Rafael de Sur­tis tra­vaille depuis de longues années à une espèce de jonc­tion entre avant-gardes poé­tiques et artis­tiques. Une manière de grig­not­er les soubasse­ments sor­dides de la pré­ten­due « moder­nité », cette illu­sion qui ne veut rien de plus que, juste­ment, nous empêch­er d’être réelle­ment mod­ernes. Alors, au cœur du livre sur­gis­sent des poèmes dédiés au poète/éditeur/pèlerin (gnos­tique) Paul San­da. Sous l’égide, ici aus­si, du tra­vail entre blanc et noir. On croise ensuite, comme par néces­sité, une fra­ter­nité : Claudel, Elu­ard, Char, Roy, Sain­tEx­upéry, Armand Robin, Cocteau, Baude­laire, Jean, Césaire, Cio­ran, Ponge, Etiem­ble, Rim­baud, Artaud.

Et Dau­mal, for­cé­ment. Novalis, bien sûr : « Car toute œuvre poé­tique ramène au sein de la com­mu­nauté éter­nelle le monde qui, en devenant ter­restre, s’en est exilé ».

Le livre se ferme, comme l’on ouvre une porte don­nant dans l’infini.  

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