« Ain­si l’œil, égaré sur une vaste plage,
Voit les flots fugi­tifs s’éloigner du rivage,
Décroître, s’aplanir, bien­tôt n’offrir aux yeux
Qu’un tran­quille hori­zon con­fon­du dans les cieux »

Louis Ray­mond de Carbonnières

 

Le pre­mier amour con­jure le spec­tre d’un monde d’adultes aux ailes rouil­lées, aux rêves effon­drés, aux bras d’automates qui s’ouvrent devant vous mais ne se refer­ment plus. Il prend la place du théâtre mondain, du men­songe citoyen et d’un devenir aux tem­ples déserts, mitoyens de la mis­ère au front ridé. Rideau. Place au soleil. À tous les soleils levants.

  La lumière est ici, avec elle.

  Elle se révèle à mon regard naturelle­ment, comme le print­emps dévoile le bleu du ciel ou l’or de votre peau. Elle retire lente­ment fards, masques et parures et m’offre la vision d’une elle-même ensor­celée, d’une elle-même ensor­ce­lante : une elle‑m’aime et moi aussi.

Jail­lie à vif d’une flamme vir­ginale, la pas­sion nous prend tout entiers dans son souf­fle ani­mal : les étin­celles du soleil par­courent nos corps au galop dans un fra­cas d’océans.

Nous régnons en ce monde où l’être aimé devient tout, l’unique vis­age de ce qui n’a pas de vis­age, cet ailleurs sans rivage qui soudain s’offre à nu. Nous régnons en servi­teurs de la pre­mière brûlure, livrés à la fer­veur  et à la dic­tature de nos dix-huit ans.

Nos corps sont des cygnes sauvages glis­sant sur la riv­ière du désir ; nos cœurs, deux vagues qui s’élèvent au flux et reflux de nos souf­fles impa­tients, puis rep­lon­gent en leur source indi­vise, enter­rant l’espace et le temps sous le sable mou­vant d’insondables abîmes. L’immensité qui m’appelle, c’est l’océan qu’elle m’accorde, tout entier, en un enlace­ment. Et j’ai pour elle le même océan dans les bras. Que puis-je, sinon suiv­re l’onde occulte qui m’emporte loin des étouf­foirs ter­restres, nos corps siamois pour seule attache ?

Si l’infini est sans attach­es,  le sien est une attache de sang et de lumière, un lien  d’amour indé­nouable. Quelle âme résiste à l’ivresse du vin d’amour, et au désir d’absolu qui en pres­sa la vigne ?  Quels amants n’abritent point, au saint-des-saints de leurs corps entremêlés, la mémoire d’une pléni­tude à faire renaître ?

Nous sommes ivres ; et notre ivresse, sans descente : cinq années d’insolente beauté, de toute puis­sance insolée, cinq années que nous tra­ver­sons comme un seul jour, une seule nuit blanche, voyageurs sans bagages sur un con­ti­nent sans saisons, dans la canicule d’un été perpétuel.

 

 

 

   Et puis vient la chute.

 

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