Olivi­er Cousin, en sa dernière pub­li­ca­tion aux édi­tions La Part Com­mune, nous offre à lire 77 poèmes et des pous­sières. A bien y regarder, nous comp­tons bien 77 poèmes. Mais alors, en quoi con­sis­tent donc ces pous­sières ? Ces pous­sières sont la thé­ma­tique du recueil. Cinq par­ties, avec Dépous­siér­er l’hori­zon, puis Bal­ay­er devant la porte du temps, ensuite Pous­sière de soi dans les yeux, avant On ne bal­aie pas les mots impuné­ment pour finir par Pous­sières d’en­fance.

Ces 77 poèmes se heur­tent à la pous­sière, bal­aient l’e­space entier de la vie, de manière sim­ple et par­fois de façon prime­sautière, comme pour cacher l’im­por­tance de ces minus­cules par­tic­ules qui fondent à chaque instant la pléni­tude insoupçon­née de nos vies.

Un livre con­fron­té à ce qu’on tente habituelle­ment de bal­ay­er, de met­tre à la poubelle. Or ici, ces pous­sières sont le sel de l’ex­is­tence. 77 poèmes, par­fois datés, cer­tains de 2003, sou­vent de 2009, 2008, 2007… Le résul­tat est un recueil, don­né à lire au quo­ti­di­en. Mais que forme-t-il, ce quo­ti­di­en dans lequel le poème agrège la pous­sière pour en faire quelques mou­tons à men­er paître dans l’e­space vital de  nos champs contemporains ?

Paul Gellings, en qua­trième de cou­ver­ture, pré­cise : “Plus que jamais, Olivi­er Cousin définit sa poé­tique comme une stratégie de survie tem­porelle, lais­sant, de fait, enten­dre que toute lit­téra­ture véri­ta­ble s’écrit à rebours du temps. Ain­si voyons-nous pren­dre forme la vérité d’un lan­gage vigoureux et limpi­de qui con­stitue le meilleur refus que nous puis­sions oppos­er à l’é­coule­ment de la durée, tou­jours si restreinte dans notre cas d’hum­bles mor­tels.(…) Ce tra­vail sur les arcanes du quo­ti­di­en s’ap­préciera, d’ailleurs, dès le titre du recueil, qui annonce une poésie non pas réduite en pous­sière, mais une pous­sière méta­mor­phosée en un lyrisme aus­si effi­cace que sub­til.

Le sub­til char­rié par le quo­ti­di­en, lorsqu’on vit en Bre­tagne avec les marées pour rythme car­diaque, ce sont les villes por­tu­aires qui les offrent au regard du poète, et bien des métaphores déli­cates gran­dis­sent les travaux et les jours qu’on croiraient aller de soi. Ain­si ce poème :

 

 

Au port du bout du monde

 

Au dernier bout de la terre
le port sourit au large
demi-cer­cle d’une blancheur ternie
evel ban­nieloù ouzh ar wern

Le port com­prend toutes les vies
accepte toutes les devises
par­le toutes les langues

Même s’il malmène toutes les grammaires
il con­jugue tous les verbes
pas unique­ment par­tir ou arriver

C’hoan­toù mont kuit
o vont hag o tont
stag ouzh ma huñvreoù
evel ban­nieloù ouzh ar wern

Le port déploie le filet des rêves
au-delà des crachins et des brumes
oubliant tous les mou­tons de la lande

 

Sous les pas du poète arpen­tant le lit­toral bre­ton se glis­sent les mou­ve­ments de la mer, et atter­ré dans un Fin­istère lit­téral et men­tal, tout au bout de la terre, il y a la mer en mur, un mur comme un vais­seau cos­mopo­lite, appor­tant la diver­sité du monde par où le regard s’en­ri­chit de menus détails infinis.

Mais la voix du poète, aus­si tran­quille soit-elle, sait s’ac­centuer d’ironie qui n’en fait pas un chanteur engagé mais d’une lucid­ité sur laque­lle il s’ap­puie pour élever son chant :

 

Géométrie vari­able du pays émergeant

 

Cette société fleure bon le com­merce triangulaire
Self-made busi­ness­men
appa­ratchiks à l’oukase facile
sbires dociles à l’occase
et parias à l’é­conomie parallèle
pour seul espoir

Homi­cides exponentiels
Souf­france qui monte perpendiculaire
comme la fumée de bûch­ers ancestraux
Mod­èle unique
de l’âme en fractions
ven­dues au plus payant

 

Son chant, tou­jours à sa manière de ne pas y touch­er, s’af­fronte à l’épopée : Quand je sors de mes gonds/je n’emporte pas les clés/Mon impa­tience a des limites/et je reviens à toute berzingue/la douceur de l’ag­neau entre les jambes/la red­di­tion lig­otée dans un sourire/offrande pour l’en­ne­mie adulée

 

Mais après avoir bal­ayé l’hori­zon, après avoir dépous­siéré le cours du temps, après s’être ôté tout souci égo­tique de l’œil, le poète revient aux sou­venirs d’en­fance dans lesquels il trou­ve sa mai­son et nous livre un final d’une humil­ité exemplaire :

 

Je me demande même si ce n’est pas
dans cet antre que j’ai été mis au monde
dans l’en­tre-deux d’un hiv­er et d’un printemps
Je me demande même si ce n’est pas
dans cet abri que je veux un jour lointain
ne plus faire qu’un avec mon ombre

 

 

Remon­tant le cours poé­tique d’O­livi­er Cousin, nous abor­dons main­tenant Sous un ciel sans paupière, paru égale­ment, avec l’e­sprit de la fidél­ité poé­tique, à La Part Com­mune. Le pré­faci­er de ce beau livre, Marc Le Gros, souligne : “Ce que j’ai d’abord perçu dans ces petits poèmes aus­si peu “poet­po­e­t­eux” que pos­si­ble, c’est le regard pré­cis, la minceur nerveuse, l’al­lure, l’élé­gance même d’une langue qui ne s’é­pais­sit pas, qui ne se “charge” pas, qui ne s’empâte pas et qui est exacte­ment aujour­d’hui ce que je cherche en poésie”.

Nous allons donc lire un poète sans effet, sans débor­de­ment, sans lit­téra­ture out­ran­cière où lyrisme caduque. Dégagé des pièges du passé, le chemin du poète est une sente que l’on abor­de par une porte basse.

Le livre com­mence par un dessin de Jean-Yves André. Ce dessin est un emblème : un cer­cle que tra­verse une branche d’o­livi­er. Nous voici sous le signe méditer­ranéen, et passé le miroir du cer­cle, nous entrons dans le monde du poème pour ce qu’in­car­ne l’o­livi­er : la paix peut-être, et la beauté des mythes grecs. Vient alors le pre­mier poème :

 

Racines croisées

Sous ma souche
se mêlent racines
de hêtre et d’olivier
A la croisée
d’an­tiques chemins
guidant mes branches
vers des mon­des qui se saluent 

 

Voici la Bre­tagne natale, l’aire cel­tique du poète se mari­ant au fond mérid­ion­al, avec un respect ouvrant le déploiement de l’être à de nou­veaux hori­zons. Les mythes antiques sont là, mêlés au rythme con­tem­po­rain, et le mélange installe en l’e­sprit du lecteur une durée hors du temps :

 

Ici à Knos­sos je ferais bien un
avec le cosmos
A la rigueur
si Ovide ne se prê­tait plus au jeu
des méta­mor­phoses
je dirais comme Jorge de Sena :
“Mais, si un jour j’ou­blie tout,
j’e­spère pou­voir vieillir
en prenant un café en Crète
avec le Minotaure,
sous le regard des dieux sans vergogne.”

 

Nous mar­chons avec le poète en Grèce. Et la présence de Nikos Kazantza­kis nous fait un bien fou, l’homme qui pro­longea l’Odyssée d’Homère en un poème de 33 333 vers, avant de con­quérir le monde par des romans qu’on ne lit plus, après avoir com­posé son chef d’œu­vre Ascèse :

 

Crimes de lèse-crétoiseté

 

Oubli­er que Zor­ba le Grec était crétois

Ecrire poste restante au Gréco
pour le traiter d’ob­scur pein­tre tolédan

Pren­dre Nikos Kazantzakis
pour un ingénieur aéronotique
et le cap­i­taine Mikhalis
pour un arma­teur de Pirée

Pleur­er comme un veau
dans un mou­choir rouge
à l’ap­proche du Minotaure

Se croire capa­ble de résister
33 333 fois à la tentation
de vivre sans s’imprégner
sur les rem­parts d’Héraklion
du seul régime cré­tois qui vaille : 
“Je n’e­spère rien,
Je ne crains rien,
Je suis libre”

 

Et la Grèce, la Grèce actuelle, telle­ment pres­surée par une Europe moné­taire lui faisant oubli­er ses orig­ines fon­da­tri­ces, la Grèce, pour Olivi­er Cousin, garde une force d’at­trac­tion qu’au­cun siè­cle ne pour­ra jamais anéan­tir. La Grèce est ! Et cet être éter­nel ne pose aucun regard sur les con­tem­po­rains mor­tels que nous sommes, son exis­tence gravée à coups de clefs stel­laires dans les con­stel­la­tions immémoriales :

 

Memen­to…

 

On a beau s’être rincé
l’oeil à Corinthe
la bouche à la source Castalie
ou avoir déclamé au mont Lycaos

et in Arca­dia ego
on a beau quit­ter la Grèce
des tas d’im­ages fortes
imprimées à jamais
on doit admet­tre que le pays
lui ne gardera rien
de nous

 

Ce ciel sans paupière d’O­livi­er Cousin, au titre énig­ma­tique, trou­ve son orig­ine dans un poème presque final nom­mé RUMMAD DE L’OLIVETTE. Un poème d’une beauté somptueuse, libéré des codes alié­nants de notre monde com­péti­tif, poème dont on ne dira rien pour inciter le lecteur à marcher vers ce petit joy­au aux ramures affranchies.

Sous un ciel sans paupière a obtenu le Prix de poésie Camille Le Merci­er d’Erm.

 

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