Du fond des plus affreux des gouffres et des folies
Cette respiration pourtant encore
De l’effrayante odeur des hommes et des bêtes quand ils vont
A la mort sur des rails ou glissent sur l’acier noir de la mer
Cette croyance tant chevillée au corps
Des caresses brûlantes sur les plaies effroyables ouvertes
Avec l’atroce politesse de la lenteur quand les bourreaux
Ont tout leur temps pour distiller l’acide inique
Cette volonté folle que le temps ne meure
Des six millions huit cent dix mille litres d’eau qui tombent
Chaque seconde du haut du Niagara dans un ventre
Forcé par l’entonnoir jusqu’à éclater en papillons de chair
De la baignoire jusqu’aux fleurs pourpres des caves
Cette illusion toujours que tout recommence
De cette fête triste sous le soleil du soir dans une cour
Ployée d’ombre où une femme aux trois quarts effondrée lève
Ses bras bleus vers l’absence troublante absence de ses seins
Après qu’on l’a photographiée endormie sur le sable de fer
D’une chambre dont les murs d’amour l’attendaient
Cette certitude exaltante d’un autre ciel
De l’effroyable indécence des corps entassés sur ce ciel
Quand le sol même ne les soutient plus que tout a
Explosé s’est brisé haché ravagé soufflé défait défiguré
Quand il ne reste plus que l’empreinte d’une ombre
Et que tout est sans jour sans nuit sans cri
Dans ce silence obscur qui étouffe le vent fou les rivières
Cet embrasement de soi qui élève plus haut
De cette fille adorable cette fille terrifiée qui vivait avec
Un chat sans nom et ne rêvait que d’un petit déjeuner
Qui lui aurait donné toutes ses illusions indispensables
Alors qu’elle avait tout perdu son non son amour son frère
Et cette illumination intérieure qui échappe aux miroirs
Cette pluie finale qui inonde et révèle le cœur
De la mélancolie son lourd manteau sur les épaules
Sa bile noire qui trouble l’eau des yeux et laisse sur le sol
Comme jeté d’un ailleurs improbable sur une terre étrange
Dont on ne parle pas la langue dont on ne connait pas le ciel
Ces mots qui consolent et absolvent et font croire
Des griffes jaunes de celles qui arrachent les paupières
Et empêchent de donner à l’amour ses prénoms convoités
Jusque dans les mots qui trébuchent sur les lèvres bleuies
Cet élan magnifique de l’espérance jusqu’au bout…
Pp108-109 (Les Sept Saisons)