Nadine Ltaif nous convie, dès les premières pages de son nouveau recueil, à une traversée au pays de l’écriture.
Elle annonce d’emblée la couleur , hamra, rouge comme le soleil, la peau brûlée des phéniciens et de leurs descendants, leur sang chaud, le rouge du plaisir mais aussi du sang versé.
L’auteur joue avec le nom Phoinike qui signifie couleur rouge pour les Grecs et phénicien dont les méditerranéens sont les descendants.
En arabe ‚rouge se dit hamra. C’est aussi le quartier de son enfance.
Elle écrit dans
Beyrouth – la –Rouge
Cadmosienne
Phoinikienne
du murex
coquillage antique
une couleur pourpre
qui fit la gloire
de tout un peuple.
Ode donc à la gloire de Beyrouth, sa ville natale qu’elle a dû quitter en toute hâte avec sa famille en août 1975, au début de la guerre civile.
En ce dimanche matin de 2012, accompagnée de ses amies, elle se retrouve dans le quartier de son enfance. Ce n’est pas un hasard si elle a choisi tel hôtel, telle rue. Les gens vont-ils la reconnaitre? Elle n’y échappera pas !
Nadine décrit d’un ton léger et amusé leur joie de vivre qui, si on la connait, a déteint sur elle aussi. Dire ce qui est grave avec la joie en elle, celle de l’instant présent.
L’hôtel Hit
Nous habitons
comme par hasard
à moins de trois cent mètres
du lieu de mon enfance.
Ces choix, dit-elle, ne sont pas fortuits et les hasards n’existent pas.
Mais il faut accepter avec ironie l’esprit de clan, l’insistance sur l’affirmation d’une identité. Rien à voir avec le Québec qui l’a adoptée, où elle a trouvé mari et bâti une famille sans qu’on lui pose des questions.
« Quand sortirons-nous de cet esprit clanique! Je pense à mes beaux-parents québécois. Ils me reçurent…sans me demander mon origine, ni mon identité »
Une qualité qui semble être aussi un reproche car elle se désole de l’aseptisation de l’Amérique, de l’ennui qui y règne, du matérialisme sauvage, de son instinct de mort.
Tant de végétation mais aussi tant d’immeubles en béton sur lesquels se cognent les oiseaux. L’auteure de Hamra me raconte qu’elle voit là une faille dans ce foisonnement de végétation et ce trop plein de constructions comme quelque chose qui ne va pas.
Dans Détresse, elle constate le sentiment d’isolement et de solitude propres à l’Amérique. Rivés à leur écran, les nord- américains sont devenus des robots. Personne ne parle, ou alors on se parle à soi- même , on est prostré dans sa solitude.
Dans un autre chapitre, (on en compte cinq, et cinq se dit hamsa en arabe), elle salue le courage des enfants syriens réfugiés au Liban, le courage du père, son humour aussi comme lorsqu’il feint de parler l’arabe égyptien afin de repousser les militaires venus par mégarde chercher ses deux fils.
Une confidence de Nadine : c’est la première fois qu’elle parle de cet événement douloureux qu’est l’exil, de l’hôtel construit par son père à qui le livre rend hommage. Mais ne fallait-il pas un certain recul pour le raconter?
Elle devait également refaire le voyage du retour avec ses trois amies pour se donner un autre recul par leur regard et la possibilité d’aller explorer à quatre des quartiers de Beyrouth et des endroits du Liban qu’elles n’avaient jamais osé visiter seules auparavant.
Au départ donc, il y a ce désir de voyager et de faire voyager le lecteur au cœur du pays et au cœur des mots.
Nadine situe l’origine du poème à la naissance de l’alphabet et à l’origine de la langue et de l’écriture. Le poème est vu comme une danse avec ses courbes à l’écrit, sa musicalité à l’oral.
L’arabe, comme toute langue sémite , se lit à l’envers .
Ce n’est pas non plus un hasard si Nadine se retrouve avec ses amies dans l’envers du décor
Face à un Occident qui ne finit pas de s’oxyder et qui enferme ses morts dans des urnes,
elle nous présente un Moyen Orient qui nous a légué une civilisation entière. Les urnes, justement, avaient jadis le même emploi .D’inspiration grecque, ces jarres servaient aux Phéniciens pour y verser les cendres des morts…l’éternelle histoire….
N’a‑t-on rien compris en Amérique du Nord? Faire mauvais usage de tout ce que l’Antiquité a offert, a inventé, alors que les pays originaires de nos civilisations souffrent sous les balles. Mais voyez leur courage,leur volonté de vivre à faire des printemps !
Néanmoins, ce qui importe est de montrer plutôt la continuité et non le clivage trop facile entre Orient et Occident.
Pour le faire, Nadine Ltaif passe par la mythologie, le mythe d’Europe enlevée par Zeus et métamorphosée en taureau sur les côtes phéniciennes.
Elle fait appel aux filiations ancestrales.
J’appelle aux filiations ancestrales
la Grèce est –elle
vraiment étrangère
pour une Libanaise ?
Le Québec, lieu d’où elle écrit, est, pour tout un chacun, si difficile à supporter en hiver. La rigueur de la saison l’a rendue immobile .Il est grand temps que les mots bougent, qu’ils se réveillent .Son but : consoler le monde, montrer par des métaphores, que nous sommes semblables où que nous nous trouvions.
Bourdon
ne viens pas butiner
la fleur
je ne veux pas me laisser prendre
tu ne peux pas me truquer
Dans le décor
nord-américain
ne pense pas
que tu butines
autrement
que sous le soleil
de la Méditerranée
Ce beau poème, coupé d’anecdotes et de réflexions qu’est Hamra comme par hasard, publié au Noroît en 2014, nous réconcilie avec ce qui reste de vie en nous par son rire contagieux, son ironie et son indignation .Nadine Ltaif a su trouver le point infini de l’origine, sa consolation- sa réconciliation.