Le livre s’ouvre sur une cita­tion de Juar­roz, et l’on saisit immé­di­ate­ment le rap­port du poète à la vie spir­ituelle. Ce choix de citer Juar­roz en ses poésies ver­ti­cales dit tou­jours  beau­coup du poète qui le fait. Le posi­tion­nement en ver­ti­cal­ité est archi­tec­tur­al, posi­tion en dedans de la recherche spir­ituelle mais – et pourquoi pas ? – en dehors de con­cep­tions déistes, religieuses, ecclésiales et cetera. Juar­roz, qu’on le veuille ou non, cela situe. Et Recours au Poème ne peut qu’aimer le tra­vail de Nunez Tolin écrit à l’ombre de la cathé­drale Juar­roz. Tout est pro­fondeur ici, chez Juar­roz comme chez Nunez Tolin. Nous sommes en ter­res de poésie, autrement dit de sacral­ité, au sens de ce qui est bien plus impor­tant que ce que nous, nous sommes, non en un sens religieux – ce qui est sacré car cela fait plus sens dans le réel, plus de réel. De ce point de vue, la rela­tion au sacré n’est pas oblig­a­toire­ment « religieuse », elle peut même être pleine­ment athée. À cette échelle, les petites guer­res de chapelle n’ont aucune espèce d’importance. Nous sommes en ter­res de poésie, donc, avec les mots / sons de ce poète / homme, lisant et vivant en dedans la poésie d’autres poètes / hommes. Il y a de l’écoute dans les sons de Nunez Tolin. Et ce n’est pas si fréquent finalement.

La poésie de Nunez Tolin par nom­bre de ses aspects fait penser aux grands textes des théolo­giens dits négat­ifs, Silé­sius ou Eck­hart, ain­si du reste qu’aux maximes des sagess­es de l’orient. Une même quête de la présence dans le con­cret de la matière vivante ici-bas. Et cette volon­té acérée d’être soi-même présent au réel de l’instant, la chose la plus dif­fi­cile en fait pour un homme. Etre .

Et là, être.

 

Il y a cette opac­ité de la matière où l’être est à
son plein ren­de­ment d’être.
 

Et dès l’entame du recueil :

 

L’homme n’est pas une unité.
 

Le monde n’est pas une unité dont on ne serait
pas même un frag­ment qui lais­serait sup­pos­er le
remem­bre­ment possible.

 

Nous nous sen­tons bien enten­du en con­tra­dic­tion, au sein de Recours au Poème, avec une par­tie de cette con­cep­tion mais, et c’est cela qui prime, cette con­tra­dic­tion se noue au niveau du complémentaire.

Serge Nunez Tolin, poète rhé­nan, héré­tique con­tem­po­rain. Cela me plaît. Mais aus­si poète de l’orient :

 

Cette chute qui nous entoure et nous rapproche
du néant sans fond de tomber.
 

Le présent détaché de toute école du présent, il
reste ce mou­ve­ment qui détache l’eau de la rive.

 

Une poésie de la présence, presque une médi­ta­tion servie par la litanie récur­rente du titre, revenant sou­vent dans le corps du livre. Méditation :

 

S’immobiliser, jusqu’à être l’immobilité ; parler
jusqu’à être le mot que l’on dit ; être ce retrait,
cette abstrac­tion du monde, cette dess­ic­ca­tion de
l’être : nœud noué par personne.

 

On pense alors au dernier Daumal.
Ce recueil est un face à face sere­in avec la res­pi­ra­tion qui nomme ce monde.

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