On ne s’est jamais par­lé, vous et moi,
tout au plus un : – Grüezi, Made­moi­selle
Lüsch­er. – Grüess di wohl..., je n’étais alors
qu’un mai­gre gamin blême et blond ardent.

Je vous aperce­vais, vous regardais
venir de loin, à pas petits et lents,
je vous attendais au bord de la rue.
Vous alliez. Tou­jours tout de noir vêtue,
en grand deuil eût-on dit mais deuil de qui ?
– vous étiez bien Fräulein Lydia Lüscher –,
votre para­pluie ouvert appuyé
sur l’épaule, en milieu d’après-midi,
vous alliez droit devant vous, sous le ciel
bleu d’un jour de soleil – c’était l’été,
c’était tou­jours l’été –, vous cheminiez,
pliée en deux par le fardeau de trente
mille et quelques autres mil­liers de jours,
seule ombre entre les maisons espacées.
Vous approchiez, tou­jours vos pas faisaient
chu­chot­er les grav­il­lons gris et secs.
Vous étiez là, devant moi, de profil,
men­ton col­lé, cloué sur la poitrine,
vous passiez. Je vous regar­dais passer
et sous votre para­pluie en ombelle
pas à pas vous éloign­er, disparaître.

Morte, enter­rée au village.
Peu vis­itée ou jamais, sa tombe
avec la croix de bois noire
est le lieu de ren­con­tre des herbes
(que dans les autres petits jardins
on voit d’un sour­cil froncé)
et d’un peu de mousse à la Toussaint.
Il est loin d’être éternel,
le grand som­meil de Mademoiselle
Lydia L., un matin on lui dit :
– Hé ! vous, en bas, levez-vous,
allez où vous voulez, c’est fini !
Ain­si fait-elle, ain­si marche-
t‑elle au soleil en faisant crisser
le gravier tout au long d’un poème.
 

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