Passage en revues. 

Autour de : Revue Alsacienne de Littérature n° 121 et La Traductière n° 32

 

 

La Revue Alsa­ci­enne de Lit­téra­ture est une insti­tu­tion, en par­ti­c­uli­er dans le domaine de la poésie, et une insti­tu­tion de très haute tenue. Ce 121e numéro (tout de même !) placé sous le signe du thème « com­mencer » ne déroge pas à la règle. Le dossier est l’une des 5 par­ties qui com­posent la revue, avec « Pat­ri­moine », « Voix mul­ti­ples », « Chroniques » et des notes de lec­ture. Mais le dossier, évidem­ment, en forme le cœur. On lira ici des voix divers­es, qui sou­vent comptent dans le paysage poé­tique français et européen actuel (car la RaL est ouverte aux autres mon­des que le nôtre et à toutes les langues, avec une présence forte de l’allemand, espace frontal­ier oblige) : Anne-Marie Souli­er, Alain-Fab­re Cata­lan, Dominique Deschênes, Eva-Maria Berg, Aline Mar­tin, Wen­deli­nus Wurth, Peter Lan­del, Danièle Faugeras, Jean-Claude Wal­ter, Emma Guntz, Yves Rudio, Maryse Staiber, entre autres… Fortes et divers­es, des voix qui le plus sou­vent vien­nent de loin.

Il en va de même dans le choix des voix mul­ti­ples, avec par exem­ple des textes de Fer­nan­do Pin­to do Ama­r­al, Ivan de Mon­bri­son, Jean-Paul Gun­sett, Thomas Letouzé, Clau­dia Scher­er, Ronald Euler, Jacques-Hen­ri Cail­laud, Hel­mut Pil­lau… Il nous sem­ble utile en ce temps con­fus (que nos amis indi­ens con­sid­èrent par­fois comme une fin de cycle – kali yuga) de citer la ver­sion française de ce beau poème de Matthieu Bau­mi­er, dédié à Rose Aus­län­der, accom­pa­g­né dans les pages de la revue d’une superbe ver­sion alle­mande signée Eva-Maria Berg :

 

Je suis né
dans un pays de neiges
et de cendres
 

Pays où l’on n’arrive
Jamais.
 

Et que jamais,
on ne quitte ni ne connaît
Pays d’où per­son­ne ne vient,

le soleil croît
en larmes de cendres,
débris de neiges noircies
et d’âmes englouties
dans l’étincelle
des silences enfuis
 

Je suis né – ici,
ain­si que naît la peur.

 

La con­fu­sion des esprits, nos amis indi­ens dis­ent que c’est à cela que l’on recon­naît ce qu’ils appel­lent kali yuga. Il y a beau­coup à saisir et appréhen­der au loin de la place Saint Sulpice. La mul­ti­plic­ité des voix et le refus de toute forme binaire de la pen­sée, cela répond à bien des égare­ments contemporains.

Chroniques et notes de lec­ture fer­ment les pages d’une revue que l’on a bon­heur à lire.

 

Revue Alsa­ci­enne de Lit­téra­ture n° 121 »Com­mencer ».
Les Amis de la Revue Alsa­ci­enne de Lit­téra­ture. BP 30210. 67005 Strasbourg.
Mail : ral@noos.fr
Blog : www.larevue-ral.blogspot.com
Le numéro : 22 euros
Abon­nement annuel (2 n°) : 40 euros

 

***

 

Une année a donc passé car… revoici (enfin !) La Tra­duc­tière ! La revue « inter­na­tionale (main­tenant) de poésie et d’art visuel » prévient que ce numéro est le dernier à paraître sous la direc­tion du poète et tra­duc­teur Jacques Ran­court, fon­da­teur de la revue en 1983. Lin­da Maria Baros assure la qual­ité de rédac­trice en chef. Ce numéro est excep­tion­nel dans tous les sens du terme, com­posé de deux dossiers pas­sion­nants : « le poème comme fic­tion » et « poésie chi­noise con­tem­po­raine ». Ici aus­si, le tra­vail asso­cie le français à d’autres langues, en diver­sité et ouver­ture sur la réal­ité du monde dans lequel nous visons. Jacques Ran­court donne un édi­to­r­i­al exposant le pro­jet du « poème comme fic­tion », refu­sant les posi­tions rad­i­cales de refus de la fic­tion en poésie (posi­tion qui n’est pas nôtre, Recours au Poème s’opposant plus ontologique­ment au monde prosaïque, sous toutes ses formes, monde que nous nom­mons, avec Bau­drillard et Debord, monde du Sim­u­lacre) et/ou con­sid­érant, au con­traire, que tout est fic­tion, la poésie y com­pris (ce qui n’est pas une posi­tion poé­tique ou philosophique mais exclu­sive­ment politi­co-mil­i­tante). Ran­court : « ni la pre­mière ni la sec­onde hypothèse ne nous con­vi­en­nent à La Tra­duc­tière. Nous croyons au tra­vail médi­a­teur de la parole, pour peu que celle-ci s’ancre dans l’attention au monde et sache pren­dre la dis­tance néces­saire pour en met­tre à jour les ten­sions, la com­plex­ité, la vie intime en quelque sorte ». La pro­fondeur, en somme, diri­ons-nous. Plus loin, le directeur de la revue met les choses au point avec tel ou tel quidam pré­ten­tieux (ou trop aigri) : « Nous ne croyons pas que tout ait été dit et qu’il n’y ait plus qu’à répéter, qu’à faire de la den­telle, fût-ce pour amuser quelques badauds ». Nous sommes en accord avec cette posi­tion, cette oppo­si­tion néces­saire et non binaire ; les rares fois où l’on entend par­ler de poésie à une heure décente, par exem­ple sur France Cul­ture au moment du « marché », il est des « respon­s­ables » pour affirmer ce genre d’ineptie : tout à été dit, tout a déjà été fait… On peine à croire pareille sot­tise. « Le monde est en change­ment per­pétuel », oui ! Jacques Ran­court, nous sommes d’accord avec vous. Ici, se tient réelle­ment le camp authen­tique du pro­grès.

Le dossier pro­posé est pas­sion­nant, avec des con­tri­bu­tions, entre autres, de Max Alhau, Gabrielle Althen, Lin­da Maria Baros, Jea­nine Baude, Eva-Maria Berg, Anne Bihan, Judith Bish­op, Clau­dine Bohi, Denise Desau­tels, Dominique Hecq, Anise Kolts, Hugues Labrusse, Philippe Mathy, Aksinia Mihaylo­va, Myr­i­am Mon­toya, Shizue Ogawa, Cécile Oumhani…. À lire avec force attention.

Tout comme le sec­ond dossier, inti­t­ulé sobre­ment « Sept poètes chi­nois ». Ceux qui s’intéressent à la Chine, à l’Orient en règle générale, le com­pren­dront : 7, ce n’est pas rien. Ce dossier est né de la rela­tion établie avec la revue poé­tique, artis­tique et lit­téraire de Shen­zen,  Enclave, et par l’amitié de Michel Madore et Cao Dan. En ter­ri­toires de poésie, l’état de l’esprit poé­tique, cet autre manière de dire agapè, cela « pro­duit » beau­coup. Les sept poètes ici présen­tés « ont en com­mun d’être nés en Chine au début des années 70, de pub­li­er dans Enclave tout en vivant dans des régions dif­férentes du pays, et d’être impliqués eux-mêmes dans la société con­tem­po­raine, que ce soit du côté du jour­nal­isme, du théâtre, du monde artis­tique ou de la tra­duc­tion de poésie ». Et j’ajouterais : d’être des poètes de grand tal­ent. Pré­cisons que les tra­duc­tions sont faites à par­tir du chi­nois. On lira avec prof­it Han Bo, Hu Xudong, Jiang Hao, Jiang Tao, Ming Di, Tai E et Zhang Er. Ce dernier donne aus­si une très intéres­sante intro­duc­tion à ce dossier. J’en prof­ite pour inviter nos lecteurs à décou­vrir l’une de ces poètes dans nos pages : Ming Di. On saura alors, avant de le lire, pourquoi la paru­tion de ce dossier en France est d’une impor­tance majeure. Mer­ci à Jacques Ran­court, de cela mais aus­si de toutes ces années passées à dévelop­per cette excel­lente revue, en même temps que le fes­ti­val fran­co-anglais de poésie. 

 

 

 

La Tra­duc­tière, numéro 32, année 2014.
Direc­tion : Jacques Rancourt
http://www.festrad.com/
10 rue Auger. 75020 Paris.
Le numéro : 20 euros.
Abon­nement (qua­tre ans) : 74 euros
poesie@festrad.com 

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