Les Edi­tions Sauvages font bien de ressor­tir de l’ou­bli l’œuvre du poète Paul Quéré. Mal­gré la mort, c’est comme une sur­vivance arrachée à un futur tenace qui nous est pro­posée avec la réédi­tion aug­men­tée de Suite bigoudène effilochée.

Paul Quéré fait par­tie de ces poètes dis­crets qui, préférant « Tout sim­ple­ment : être! Le reste n’é­tant que fior­i­t­ures : penser, écrire, ou faire quoi que ce soit. », ne sur­vivent que dans la mémoire de ceux qui l’ont con­nu. C’est injuste et c’est pourquoi l’ini­tia­tive de ses amis bre­tons des Edi­tions Sauvages est non seule­ment louable mais égale­ment néces­saire.  Pour que le tra­vail de cet artiste com­plet (poète mais aus­si pein­tre, céramiste, créa­teur de revues de poésie) soit remis dans la lumière.

Bre­tagne, car Paul Quéré y trou­va la terre de l’har­monie de sa présence au monde. Bre­tagne en ses sols insoumis, dans son quo­ti­di­en de créa­tion : « Créa­tion, créa­tiv­ité, pourquoi pas sim­ple­ment Créi­ture? ».

Mais créer, c’est faire par­ler son âme. Et l’at­tache­ment à un pays se mesure à la qual­ité de l’âme qui s’en dégage. « Bre­tagne. Ici on ne pense pas, on chante, on danse la pen­sée. On ne pèse pas les mots, les argu­ments, on les laisse s’ac­corder à une mélodie, une musique interne sus­citée par le lieu, l’élé­ment, pluie et vent. Le corps la joue, comme les branch­es de l’ar­bre, la voile du bateau, le con­duit de la chem­inée, le rocher bat­tu de la vague. L’âme caisse de réso­nance? ». Alors la terre comme âme de la créa­tion, c’é­tait sans doute évi­dent pour lui, d’au­tant qu’il tra­vail­lait la terre dans son ate­lier de « poè­terie » du sud Fin­istère. « Comme le raisin en vin, l’âme se con­ver­tit. En “poésie” ».

Paul Quéré nous ramène aus­si à la Bre­tagne de Xavier Grall qui écrivait « Les vieux de chez moi ont des îles au fond des yeux » et à qui il sem­ble répon­dre : « Et pour com­bi­en de temps encore les vieilles de ce pays porteront-elles sur leur tête la viril­ité des mon­u­ments aux morts ? ».

Tout le recueil est mar­qué par une quête de l’har­monie entre l’au­teur, le lieu (la géopoé­tique de son ami Ken­neth White n’est jamais loin) et les mots : « Être en har­monie avec l’e­space vécu comme une célébra­tion : nous nous sen­tons, ici, plus près d’un Ori­ent même extrême, que d’un Occi­dent bavard, raison­neur, rati­ocineur, dont nous ne pou­vons saisir les paroles tant leur flot nous sub­merge, nous étouffe, nous noie. »

Cette recherche d’une terre-écri­t­ure, de ces « lieux-dis­ants » qui por­tent en eux la trans­parence des sen­sa­tions à écrire en poèmes, tra­verse toute cette suite bigoudène effilochée. Paul Quéré cher­chait sur ces « écriter­res » de nou­velles voies pour dire la mort, l’ab­sence, le cos­mos, le silence, l’âme, et l’âge qui effiloche la pensée.

Recherche de l’har­monie, l’équili­bre, la zéni­tude ori­en­tale, mal­gré le quo­ti­di­en agité « Nous n’en pou­vons plus d’être en équili­bre sur la crête des nerfs… ». Expres­sion qui con­serve tout son sens encore de nos jours…Trouver dans la terre bre­tonne ce point d’équili­bre. Mais Paul Quéré n’est pas l’homme d’une seule terre, il est aus­si du ter­ri­toire de l’écri­t­ure, de la créa­tion : « J’écris / pour mar­quer le ter­ri­toire / de ma vie ? De ma mort ? ».

A tra­vers ce livre, l’on décou­vre égale­ment le com­pagnon­nage de Paul Quéré avec cer­tains auteurs :  Ken­neth White et Xavier Grall (lui aus­si n’a eu que des filles…) déjà évo­qués mais aus­si Georges Per­ros (la forme de la pre­mière par­tie inti­t­ulée Meil Boulan n’est pas sans rap­pel­er Les papiers col­lés), Bernard Noël et Paol Keineg dans l’ex­i­gence lit­téraire, d’où ce côté par­fois her­mé­tique relevé par cer­tains lecteurs. Mais plutôt qu’her­métisme, je par­lerais plus volon­tiers de recherche d’une nou­velle écri­t­ure avec une petite dose de mys­tère pour ennoblir plus encore la poésie.

Les mots de Paul Quéré restent d’une moder­nité cer­taine. C’est pourquoi cette réédi­tion par Les Edi­tions Sauvages méri­tent de trou­ver un lec­torat impor­tant. Lisez Paul Quéré et partagez Paul Quéré.

 

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