coupe file

je l’ai cherché
cen­timètre par centimètre
dans l’ancienne gare
aux fenêtres sur la Seine

j’ai vu, en per­dant quelques bonnes
secondes,
comme le sacré cœur dessinait
sur le ciel
un électrocardiogramme

il n’est pas là, ni là, là non plus
je l’ai cher­ché cen­timètre par centimètre
en atten­dant qu’il sur­gisse dans la salle suivante

l’amant per­du par­mi les amants
futurs

et je ne l’ai plus jamais trouvé
ce tableau de Pissarro
avec un trou­peau de bre­bis fleuri sur le chemin

 

 

la plus belle journée (I)

c’est là quand
tu tends la main
et elle disparaît

tu retournes (reviens)
au seul point
qui existe encore

sur le champ aveugle
du monde

et tu dis

ok. et maintenant ?

 

 

 

clause

j’ai pen­sé que je pour­rais être
mon propre
nègre

écrire mes livres
à ma place
vu que je n’ai pas le temps
pas le talent
pas d’inspiration
ni le souffle
pour quelque chose
de si impondérable
(qui arrive avec la pluie
et j’ignore même si elle s’en va)

qui pour­rait me don­ner s’il vous plaît
un ordre de grandeur
com­bi­en ça coûte
d’être
ton propre
nègre

 

 

let­tre à V. (II)

 

parce que je pou­vais écrire
à quelqu’un
j’aimais l’exil
comme un accouche­ment sous péridurale

j’oubliais que je n’étais
qu’un œil de graisse
qui reste toujours
à la sur­face de l’eau
et au fond du verre

j’oubliais que je n’étais
qu’une tache d’huile
noire
sur un macadam
étranger

les entrailles à vue
en guise d’arc-en-ciel

 

 

paysage

tu ne m’écrivais plus
quelques jours durant

comme une anesthésie
m’embaumait
le temps mort

la vie passait
par­mi les obstacles
aigus
per­son­ne ne saignait
jusqu’au bout

dans ce monde
nous n’avons
que du temps
que du temps

 

 

écorche­ment

je me suis enveloppée
en entier
avec Paris

Paris, c’est
ma ceinture
de chasteté

une chrysalide
une chrysalide
un cocon
de soie
cri­ent-ils tous

en atten­dant
les dédicaces
sur les bouts
de bandage
de la momie.

 

 

 

le cimetière de mots

il ne pousse pas
de la terre
de l’herbe verte

il ne tombe pas du ciel

des cail­lots de pluie
de vent
de lumière

non
non
il ne jail­lit pas
comme la source
du tré­fonds du puits
du plus pro­fond du cœur

non
le mot
le mot
pousse
sur le cimetière
de mots
le mot
pousse
sur le cimetière
de mots.

 

 

 

la peau très fine du monde (VIII)

 

Paris
ne croit pas aux larmes

l’enfant
tire

sur la luge
l’ange
aux ailes
gelées.

 

 

 

 

poèmes traduits du roumain :

Sélection du recueil Parisul nu crede în lacrimi, éd. Junimea, Iaşi, Romania, 2016.

 

 

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