Stras­bourg, rue du Bain-aux-Plantes, sur le côté droit de la Grand-rue en allant vers la cathédrale.
L’Ile ou un canal, le bruit d’eau de l’écluse.
Façades  pans de bois, blanch­es, et le mar­ron brun des colombages,
Plusieurs étages, le plus haut
En avancée sur les autres. Par­fois  mai­son vert sul­fate, ou seule­ment ses contrevents.
Une en frag­ile ocre rose.
Petits rideaux rouges d’une autre qui fait restaurant :
Mai­son des Tav­ernes, 1572,
Et la rangée de géra­ni­ums flétris tout en haut.
Le sys­tème d’écluses, avec chenaux pré­cip­i­tant drue l’eau vers la rivière,
Fait comme si quelque chose d’une gare
Etait là posé, sans men­er nulle part.

Si peut-être pas­sant vite un matin  par Stras­bourg, j’ai suivi tes pas ?
Sans savoir où te por­taient ces pas.

Petite rue des Den­telles, rue du Four-des-Tanneurs,
Me voilà sur la place Ben­jamin Zix
Avec d’assez grands pla­tanes, bran­chages nus, et les petites boules d’akènes
Don­nent du léger au gris du ciel, aux bâtiss­es quelque peu cossues.

Rue des Serruriers
Une étroite façade mais quand même
Trois fenêtres dans la largeur, certaines
Avec des volets verts à découpe d’un cœur,
Sur le fond rouge du torchis irrégulièrement
Par­cou­ru par la bois­erie en gros marron.
Le tra­pu d’une église à côté, place Saint Thomas :
Le vert som­bre de ses toits, et traces de mousse sur des par­ties de ciment.

Si peut-être pas­sant vite un matin  par Stras­bourg, j’ai suivi tes pas ?
Sans savoir où te por­taient ces pas.

La cathé­drale en goth­ique com­pliqué, mais son élé­va­tion ressen­tie fine
À cause de minces colon­nettes de pierre, à cause de la présence
De cette mai­son en façade vitrée
Sur un coin de la place devant.
Dedans la haute nef et l’abside en rose mauve du chœur,
Dou­ble galerie de vit­raux large­ment lumineux
Dans le bas-côté droit.
L’orgue comme une con­fis­erie, bois­erie rouge et or, accroché dans la nef à gauche.

Si peut-être pas­sant vite un matin  par Stras­bourg, j’ai suivi tes pas ?
As-tu mieux que moi compris
Tout le détail de cette archi­tec­ture de ville ?

Encore qua­tre pla­tanes sur la place fer­mée presque du Marché neuf.

(Stras­bourg,  le 24 jan­vi­er 2009)

                                                 *

En longues coulées douces dans la Death Valley,
Par­cours bien vivants des voitures, plaisir
Par­mi tant de couleurs dans la roche nue, tant de formes.
Quelques bâti­ments pour le con­fort des touristes
Des pistes qui sont dev­enues des routes, allure tran­quille des voitures :
Même si le paysage est grand per­son­ne qui va s’y perdre.

Val­lée pour­tant qui porte
Le nom de la mort. La mort, on la voit presque
Dans les ruines et restes d’anciennes mines, dans
Le vil­lage qu’on a finale­ment instal­lé (pas loin du Vis­i­tor Center)
Pour les Indi­ens tim­bisha shoshone (beau­coup d’autres disparus).

La mort et les tra­vailleurs chi­nois pour l’extraction du borax
Leurs cha­peaux coniques sur d’anciennes pho­tos, leur pelle à la main
Près d’un petit tombereau monté
Sur de grandes roues métalliques, me voilà porté par celles de la râteleuse autre­fois pour le foin, aujourd’hui
Je par­cours bien vivant l’histoire autant que de l’espace,
Touriste du passé, dans le con­fort de l’écriture
Et l’ombre de grands tamaris, ma chaise de toile
Avec dans l’après-midi (les oiseaux se sont tus)
L’immobilité par­faite de la mon­tagne dans la Death Val­ley, et parfois
Le bruit de pneu d’une voiture qui passe, comme lasse et qui ne sait pas
Ce qu’elle est dans la chaleur de ce 27 avril, ni
Dans les sou­venirs qu’on efface, en les écrivant.

(Le 27 avril 2011, aux Etats-Unis)

                                   *

Par­fois le désir d’écrire me vient
Parce que je pense, plutôt qu’à mon père,
À ce livre que je veux continuer,
Por­trait du père en tra­vers du temps,
Avec le peu de con­trainte que je me suis donné :
Garder les poèmes dans l’ordre chronologique de leur apparition
Ce qui n’empêche pas que peu à peu se précise
Une sorte de com­po­si­tion, chaque nou­veau poème
Se sou­venant à l’occasion
Des autres qui l’ont précédé, et le souci d’écrire un livre
Te chas­se hors du poème bien plus qu’il ne t’y maintient.

(Le 20 sep­tem­bre 2012, à Zagora)

                                  *

Qu’étot qu’te t’imagines que te dirais,
Pas si grand-chose,
Mais livre ou sen­ti­ments pour toi me portent ;
Et j’ai bien vu ton plaisir à me lire
Avant que toi
La mort t’emporte.

(Le 20 sep­tem­bre 2012, à Zagora)

                                 *

Je n’aurai pas tou­jours suivi ce con­seil que don­nait Rilke :
Il faut avoir beau­coup vu, sen­ti, éprouvé ;
Il faut être resté assis auprès des morts.
Paroles que rap­porte Jean-Claude Pin­son : Mais à quoi bon
La poésie aujourd’hui ?

Je n’ai pas vu ton vis­age apaisé
Comme a dit quelqu’un, parce que surtout je voudrais
Rester dans ta com­pag­nie de frère vivant.

Il n’y a pas d’apaisement dans la mort, il y a
Que tu as quit­té la couleur et les bruits du monde
Comme a fait le père.

À quoi bon ce poème dont main­tenant les mots
Sont si peu que j’ai vu, si peu que j’ai senti
De votre vie, et seulement
Vaine douceur au désar­roi d’aujourd’hui ?

(Pen­sant à mon frère Rémy, le 4 jan­vi­er 2014)

                                *

Bar­ro était un cheval qu’a eu Jean-Jacques Audubon
Con­stance Rourke en par­le dans un livre traduit en français,
« Un cheval bai avec des jambes qui tour­naient au noir », et je me souviens
De ce gros livre que tu avais sur les chevaux et de là sans doute
Que tu tirais tous les mots pour m’apprendre
La couleur  baie, isabelle ou pie des robes…
Je ne sais pas d’où venait ce livre
On te l’avait peut-être don­né au château, à un retour de chas­se à Cheverny
Et te voilà par­lant avec des mots pas courants
De tes chevaux de labour et de travaux dans les champs
À ton petit garçon ébloui.
M’en reste encore l’oreille et la mémoire étonnés
Et même, si j’y pense un peu fort,
Le quelque chose d’enjoué dans ta voix.
Je me sou­viens du nom d’une jument blanche, d’un mâle pas facile, ni bai ni alezan, noir
Comme les sabots noirs de Bar­ro. Et toi aussi
Tu savais recon­naître beau­coup d’oiseaux.

(Le 13 mai 2014)
    

 

image_pdfimage_print