Dans  les derniers textes de René  Meu­rant  sur­git une forme de sui­cide par erreur suprême. Le poète ne croit plus aux méta­mor­phoses et aux rébel­lions de ses pre­miers textes [(« Nais­sance de la Révolte » 1932 ou « Europe sans par­don » (1938)]. Il est vrai que la guerre est passée par là.  La poésie n’est plus que le relevé du repli iden­ti­taire du poète sur lui-même. Tout se passe comme si rien ne pou­vait être changé. D’où ce constat :

 

« Je  ne dénoue plus
Je tranche
Assez de légen­des de chants
De pièges à jours
J’écoute le seul chant de mon sang ».

 

De con­tre-corps par lequel l’écrivain lut­tait con­tre la soumis­sion le poème devient let­tre qua­si morte.

Meu­rant s’est en effet aperçu que le principe poé­tique est trop faible pour tenir le coup. Il n’aboutit qu’à une suite de ter­mi­nus ad quem qu’il prit d’abord pour des ter­mi­nus a quo.  Dès lors avec ces derniers textes Meu­rant avance dans son labyrinthe n’attendant plus aucune inter­ces­sion si ce n’est celle de sa femme (l‘artiste Elis­a­beth Ianovsky) dont « l’amour main­tient notre alliance ».   Mais en dehors de cette bouf­fée d’existence, la poésie quitte les accents glo­rieux pour se faire intimiste.et grave eu moment où  le poète tourne  sur lui-même et ne pos­sède peu d’espoir et ne croit plus au pou­voir « mag­ique » (dis­ait-il) de la poésie.  Il s’en prend au « livre » lui-même :

« Vivre. Brûler les livres »

Ecrit-il. Mais il est trop tard. Poète ou non on ne se refait pas : vie et écri­t­ure se con­joignent en un étrange com­pos­ite que la suc­ces­sion des textes dévoile en pas­sant du print­emps à l’hiver, d’un état nais­sant d’un état de latence. Le poème n’est plus désor­mais  qu’hypothèse de rien : il s’agit d’une suite de cor­rec­tions sans cesse repris­es mais ratées,  une manière de bif­fer ce qui vient de s’écrire en des suites de moments soumis à l’impulsion d’une néces­sité de les dire pour se sen­tir encore un peu dans l’existence.

Certes Meu­rant pos­sède encore en lui une exi­gence de glob­al­ité. Il sait qu’il existe des choses qu’on pense — sans par­ler pour autant d’une pen­sée — des choses qu’on pense à un moment don­né qu’il faudrait arriv­er à dire. Mais en même temps sur­gis­sent des con­tra­dic­tions (sur l’art, la poli­tique, l’existence elle-même) si bien que ce feuil­leté reste  insai­siss­able. L’écriture poé­tique ne parvient qu’à émet­tre une émul­sion de réal­ité. Reste pour­tant une notion de salut par l’écri­t­ure un salut for­cé  afin de ne pas mourir trop ou vivre trop mal. Mais  n’est-ce pas en con­séquence un sui­cide à petit feu ?  C’est une con­tra­dic­tion aus­si dont la « faute » paraît plus que néces­saire au poète. Il en va de sa survie  dans  la pas­sion de la vie dont il  essaye d’atteindre sinon le fond du moins un cer­tain vide :

 

« Les mir­a­cles sont des fils uniques.
Je ne marcherai plus dans les nuages
J’accepte le désert ».

 

Celui-ci reste tou­jours le fond de l’origine et le recom­mence­ment de la fin. Michaux le savait bien : « Au com­mence­ment, la répéti­tion » écrit-il.

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