1

Au bord
du corps de la nuit
dix lunes se lèvent.

 

2

Une cica­trice rap­pelle la blessure.
La blessure rap­pelle la douleur.
Tu pleures encore une fois.

3

Quand nous mar­chons au soleil
nos ombres sont comme des barges de silence.

 

4

Mon corps gît
et j’entends ma propre
voix qui gît près de moi.

 

5

Le rocher est plaisir
et il s’ouvre
et nous y pénétrons
comme nous pénétrons dans nous-mêmes
chaque nuit.

 

6

Quand je par­le à la fenêtre
je vois que tout
est tout.

 

7

J’ai une clef
J’ouvre donc la porte et j’entre.
Il fait noir et j’entre.
Il fait plus noir et j’entre.

 


D’après une Litanie

 

Il y a un champ à ciel ouvert je m’allonge dans un trou que j’ai creusé jadis et je loue le ciel.
Je loue les nuages qui sont des poumons de lumière.
Je loue la chou­ette qui veut habiter en moi et le fau­con qui ne le veut pas.
Je loue la fureur de la souris, la con­sid­éra­tion du loup.
Je loue le chien qui vit dans la famille et ne sera jamais l’un d’eux.
Je loue la baleine qui vit sous les froides cou­ver­tures de sel.
Je loue la for­ma­tion du cal­mar, les dômes de méandres.
Je loue le secret des portes, l’ouverture des fenêtres.
Je loue la pro­fondeur des placards.
Je loue le vent, les généra­tions mon­tantes de l’air.
Je loue les arbres sur les branch­es desquels se perchera le Coq du Por­tu­gal et le Coq polonais.
Je loue les palmiers de Rio et ceux qui pousseront à Londres.
Je loue les jar­diniers, les vers de terre et les petites plantes qui se louent les uns les autres.
Je loue les baies sucrées de George­town, du Maine et le chant du moineau à gorge blanche.
Je loue les poètes de Waver­ly Place et de la Onz­ième Rue, et celui dont les os se trans­for­ment en émer­audes noires quand il se dresse dans le vent.
Je loue les hor­loges pour lesquelles je vieil­lis en un jour et raje­u­nis en un jour.
Je loue tous les tours et détours de l’ombre, ceux que je vois et ceux que je ne vois pas.
Je loue tous les toits du toit aque­ux de l’étang au toit d’agile des douanes.
Je loue ceux qui ont fait de leurs corps des ambas­sades défini­tives de chair.
Je loue l’échec de ceux qui ont de l’ambition, les auteurs de prospec­tus et de car­nets de rien.
Je loue la lune pour sup­port­er les hommes.
Je loue le soleil ses hommages.
Je loue la souf­france du regain et la félic­ité du déclin.
Je loue tout pour rien parce qu’il n’y a pas de prix.
Je me loue pour la façon dont j’agis avec une pelle et je loue la pelle.
Je loue le motif de la louange grâce à laque­lle je renaîtrai.
Je loue le matin dont le soleil brille sur moi.
Je loue le soir dont je suis le fils.


La longue soirée triste

 

Quelqu’un dis­ait
quelque chose sur les ombres recou­vrant le champ, sur
les choses qui passent, sur la façon dont on dort au petit matin
et dont le matin arrive.

Quelqu’un par­lait
du vent qui meurt mais revient,
des coquil­lages qui sont les cer­cueils du vent
mais les intem­péries continuent.

C’était une longue nuit
et quelqu’un dis­ait quelque chose sur la lune déver­sant son blanc
sur le champ de maïs, qu’il n’y avait rien d’autre
que cela encore et encore.

Quelqu’un par­la
d’une ville où elle était allée avant la guerre, une pièce avec deux bougies
con­tre un mur, quelqu’un qui dan­sait, quelqu’un qui regardait.

Nous com­men­cions à croire

que la nuit ne s’achèverait jamais.

Quelqu’un dis­ait que la musique était ter­minée et per­son­ne ne l’avait remarqué.

Puis quelqu’un a dit quelque chose sur les planètes, sur les étoiles,
qui étaient si petites, si lointaines.



Et tu dis

 

Tout est dans l’esprit, dis-tu, et n’a
rien à voir avec le bon­heur. L’arrivée du froid,
l’arrivée de la chaleur, l’esprit a tout le temps au monde.
Tu prends mon bras et dis que quelque chose va arriver,
quelque chose d’inhabituel pour lequel nous avons tou­jours été préparés,
comme le soleil qui arrive après un jour en Asie,
comme la lune qui part après une nuit avec nous.

 


Ma mère par une soirée de fin d’été

 

1

Quand la lune apparaît
et que quelques granges battues par le vent se détachent
sur les collines légère­ment bombées
et bril­lent d’une lumière
voilée et pleine de poussière
qui flotte au-dessus des champs,
ma mère, ses cheveux arrangés en chignon,
le vis­age dans l’ombre et la fumée
de la cig­a­rette s’enroulant
sur le lus­tre jaune pâle de sa robe,
se tient près de la maison
et regarde le suin­te­ment de la dernière lumière
en bas dans les laîches,
les dernières îles gris­es de nuages
dis­parais­sant de vue et le vent
ébou­rif­fant le man­teau couleur cen­dre de la lune
sur la baie noire.

 

2

Bien­tôt la mai­son, avec ses stores refer­més, enverra
de petits tapis de lueurs
dans la brume, la baie
com­mencera sa bruyante houle
et les pins, épis effilochés
grim­pant la colline, sem­bleront effleurer
les faibles scories des cieux.
Et ma mère regardera dans les allées d’étoiles,
les tun­nels infi­nis du néant,
et tout en regardant,
sous le charme de l’heure,
elle se dira que nous nous aban­don­nons chaque nuit
aux orages silen­cieux de la déchéance
qui lacèrent la chair pleine de plis,
et elle ne saura pas
pourquoi elle est ici
ou de quoi elle est prisonnière
sinon des con­di­tions de l’amour qui l’ont amenée à ça.

 

3

Ma mère ren­tr­era à l’intérieur
et les champs, les pier­res nues
dériveront en paix, les petites créatures –
la souris et le mar­tinet – dormiront
aux extrémités opposées de la maison.
Seul le gril­lon sera debout,
répé­tant sa note unique stridente
aux planch­es pour­ries du porche,
aux rideaux rouil­lés, à l’air, à l’obscurité à mon­ture invisible,
à la mer qui reste fidèle à elle-même.
Pourquoi ma mère devrait-elle se réveiller ?
La terre n’est pas encore un jardin
qu’il faut retourn­er. Les étoiles
ne sont pas encore des cloches qui sonnent
la nuit pour les disparus.
Il est beau­coup trop tard.

 


Vers pour l’hiver

 

pour Ros Krauss

 

Dis-toi
quand il fait froid et que la gri­saille tombe de l’air
que tu continueras
de marcher, en entendant
le même air peu importe l’endroit où
tu te trouves –
à l’intérieur du dôme de l’obscurité
ou sous le blanc craquelé
du regard de la lune dans une val­lée de neige.
Ce soir quand il com­mence à faire froid
dis-toi
que ce que tu sais n’est rien
d’autre que l’air que jouent tes os
quand tu con­tin­ues de marcher. Et tu seras capable
pour une fois de te couch­er sous le petit feu
des étoiles d’hiver.
Et si jamais tu ne peux pas
con­tin­uer ou revenir et que tu te trouves
là où tu seras à la fin,
dis-toi
dans ce dernier afflux du froid à tra­vers tes membres
que tu aimes ce que tu es.


 

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