Il vient au monde
pour épouser une étoile

Al-Sha­hawy

 

   Chaque occa­sion de décou­vrir en langue française un immense poète con­tem­po­rain de langue arabe est une mer­veille. On ne peut donc que remerci­er les édi­tions de l’aile, situées à Nantes, dont le cat­a­logue pro­pose aus­si des livres signés Maram Al-Mas­ri ou Najeh Jegham. Une seule porte et des demeures, le titre de cet ensem­ble d’Ahmad Al-Sha­hawy dit beau­coup sur le sens de la poésie du poète, maître d’œuvre d’une poésie qui ne délie pas le sacré du poème. Nous sommes ici dans la lignée des grands poètes soufis d’hier, et la poésie Al-Sha­hawy est par nature poésie du dévoilement.

Ahmad Al-Sha­hawy est né en Egypte, en 1960. Jour­nal­iste, fon­da­teur de men­su­els, directeur de pages cul­turelles, poète, invité dans les prin­ci­paux fes­ti­vals de poésie de la planète, il a mal­heureuse­ment été vic­time de per­sé­cu­tions, du fait de l’orientation intérieure de sa poésie, ce que nous dit son pré­cieux tra­duc­teur et passeur en langue française, Mohamed Miloud Ghar­rafi : « Voilà pourquoi le poète fait con­stam­ment l’objet d’attaques vir­u­lentes de la part des extrémistes religieux en Egypte, l’accusant d’hérésie. Al-Azhar, la haute insti­tu­tion religieuse, a ordon­né le retrait du marché de son livre Recom­man­da­tions pour l’amour des femmes et a émis une fat­wa appelant les musul­mans à ne pas le lire. La réponse du poète est sans équivoque :

 

Je vio­le l’obscurité
pour en extraire la lumière »
     

 

Il suf­fit sou­vent au poète authen­tique de deux vers pour sign­er sa « mar­que », à l’image des com­pagnons con­struc­teurs d’autrefois et de leurs poèmes/cathédrales. Et en le lisant on ne peut qu’être en accord avec les mots de son traducteur/passeur : « Lire l’œuvre de Sha­hawy, c’est accéder sans rit­uels au tem­ple de la poésie (…) nous y feuil­letons tous les livres sacrés et y voyons plusieurs portes et… une seule demeure : celle de la poésie. (…) A l’instar d’un ascète se con­tentant du min­i­mum vital tout en aspi­rant sans cesse à la con­nais­sance divine, Sha­hawy nous intro­duit dans l’insatisfaction et la quête per­ma­nente du sens occulté par des mots ordinaires. »

Et en effet :

 

Le silence dort dans ma poésie
et ce qui y appa­raît est caché.
 

J’aspire à des let­tres secrètes
Je veux une autre lumière

 

Comme nom­bre de poètes de toutes les épo­ques dont la poésie est reliée au Poème, ain­si qu’à un Principe d’architecture de la vie, Sha­hawy évoque beau­coup la Femme dans ses vers, une femme proche, sa mère, une femme plus éloignée, celle qu’il aime et qui lui manque, mais aus­si la Femme principe, celle dont l’occident a pu par­ler en tant qu’  « éter­nel féminin », ce qui fut aus­si l’immense préoc­cu­pa­tion de Jung par exem­ple. De ce point de vue, ou bien le long de cette voie/voix, la réal­ité du monde est réal­ité fémi­nine et la femme micro­cosme repro­duit en elle l’œuf macro­cosme de l’univers. On le voit, cette poésie ne par­le pas du vide sidéral qui envahit cette époque où règne la quan­tité, mais bel et bien des qual­ités qui for­ment le réel de la vie et des vies. On joue ici dans une autre caté­gorie que celles des minus­cules « ren­trées » dites « lit­téraires ». Cela par­le de l’éternité de ce qui ani­me la vie en dedans de l’homme. Des mon­des qui pal­pi­tent en nous.

Ain­si :

 

Ce dont je rêve
est encore inconnu
Je suis le par­leur qui ne sait pas
        et le silen­cieux qui sait

 

Ou encore :
 

Toute femme
        qui a don­né son cœur à un poète
attend de voir son image
         dans le poème
 

C’est pour cela que la terre souffre

 

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