STATION 1

 

Le temps bran­dit sa hache
Au tran­chant s’ajoute la cognée

Rouge le sang
Incan­des­cence de sa lave
Les crocs plan­tés du prédateur
S’abreuvent d’innocence

Le noir bannit
Crêpe bran­di aux marges de la honte
Bras blancs par­mi les immondices
Bouch­es tétant le sein des fous

Rouge et noir
Jetés en pleine face
Brusquement
Au détour du chemin

Alors que l’arbre tend
Dans son poing noué de branches
La dernière lumière
De ses feuilles

 

***


STATION 2

 

Enten­dez-les cogn­er à votre porte

Du froid  ils ont gardé l’hiver
Bras bleuis bal­lant le long des bustes

De l’aride  ils ont gardé la faim
Ven­tres mous             regards enténébrés

Dans les cuvettes sales
L’eau des morts

Au creux des mains
L’amère désespérance

 

Regardez-les avancer sur les routes

De pous­sière ils se sont vêtus
Des bêtes ils ont pris le crin
Des épines ont fait des couronnes

Et rien de près ou de loin
Pour alléger leurs pas

 

***

 


STATION 3

 

La mis­ère qu’ils portent
N’est pas celle du Monde

Petites croix anonymes
Pour quel Simon de Cyrène ?
Pour quel Golgotha ?

Cru­ci­fix­ions anonymes
Pour quel sauvetage ?

À deux pas de là
On tue le veau gras

 

***

STATION 4

Ils vivent dans l’ouvert
Mais rien ne les emplit

Adossés à l’abîme
Pas incertains
Regards de bêtes

Farouch­es

Où est la main qui protège ?
Où est la terre qui nourrit ?
Où est la colombe qui apaise ?

Ils n’ont rien
Rien de près ou de loin

 

***

STATION 5

Qui sup­porte les pleurs de l’enfant ?

Entravés sont nos bras

Sur le chemin pour­tant il suffirait
De se baisser
De le hiss­er sur la mule
De le porter à l’auberge
De laiss­er deux écus
De le con­fi­er à la confiance

Et de pour­suiv­re le chemin

 

***


STATION 6

Traces de mes paumes ardentes
Sur cette ultime étoffe
Qui te sert de linceul

Pré­ten­tion de mes mains vides
Sur ton corps déserté

Folie de vouloir t’accompagner
Par ce geste
Dessous la pierre froide

La sève remontera
Et les bour­geons se devi­nent sous l’écorce

J’ai peur d’oublier ton visage

 

***

 


STATION 7

Beauté absente
Sou­venir de ce qu’elle fut

L’ocre peint le seuil
De ta porte au couchant

Mêlée aux larmes
Une pous­sière d’or
Col­ore tes joues

De l’Eden que reste-t-il
Depuis le jour où
Les bich­es se sont enfuies ?

 

***

 

 

STATION 8

Le vent baise les palmes
En chuchotant

N’écoute que cela
Et si tu l’oses
Joins ta voix à la sienne

Prière ou chant
Qu’importe !

Capte si tu le peux
Le souf­fle qui te dresse
De ce lit de terre froide

Réchauffe-toi à cette haleine
Délie ton corps 

            et va

 

***

STATION 9

Poète myrophore
Tu dis­tilles un chant sublimé
Sous­trait à la matière

Onc­tion de mots con­tre l’oubli
Huile tiède sur mon front
Pour un dernier passage

Une odeur de tilleul
S’est oubliée dans le poème

Suf­fi­ra-t-elle à embaumer
Ces corps suppliciés
Ressur­gis hors des fosses
Sur le papi­er glacé
De l’Histoire ?

 

***

STATION 10

                                                    À Etty

 

Que nous dit ce silence ?
Mutisme , prélude à l’ultime cri

De l’autre côté
Un champ de lupins bleus
Et des appels muets
Se déchirent sans larmes
Sur les barbes d’acier

Nos pau­vres mots
Pour­ront-ils empêch­er l’oubli
De ceux à qui la voix reprise
Est tombée dans la boue ?

 

***

 

STATION 11

 

L’Etoile

                         le berger

L’Etoile

                         le bourreau

 

***

 

STATION 12

Aux pre­mières salves
Ils sont tombés
Sur le côté
Doucement
Recueil­lis par la terre

Sur leurs nuques courbées
Que le soleil avait dorées
La mor­sure fatale

Sous le ban­deau des paupières
De l’autre côté du regard
Quel ultime visage ?

 

***

STATION 13

La mort
A brisé la cruche vide

Le léger par­fum de l’Etre
S’est mêlé au Grand Tout

Dans nos mains
Des débris encombrants
À enfouir

 

***

STATION 14

L’enfance est là
Qui bat sa coulpe
Dans ces corps exténués

N’en doutez pas

Il y a un rire
Sous ces regards brouillés

Il y a un rire
Dans ces poitrines étroites

Il y a un rire

Qui dort
                    et qui attend

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