Présentation et traduction de Cécile Oumhani
Yin Xiaoyuan, poète militante au sein du mouvement qu’elle a fondé pour une littérature qui transcende les genres, anime aussi l’EPS « Encyclopedic Poetry School », créé par elle en 2017. Elle fédère un groupe dynamique de jeunes poètes chinois à l’origine de nombreuses actions internationales, qui propose de nouveaux paradigmes pour le mélange des genres amplement ouvert aux cultures internationales, transformant l’écriture par des juxtapositions linguistiques acrobatiques, l’introduction de sujets scientifiques innovants, de références à des sub-cultures variées (rock, rap, jeux vidéos…), des emprunts linguistiques (Yin Xiaoyuan est aussi polyglotte et traductrice) et des thématiques historiques bousculées par des représentations étonnantes et non linéaires de la réalité, promenant le lecteur d’un lointain passé anté-historique à des spéculations sur un futur de science-fiction.
∗∗∗
Pteridophora Alberti 萨克森风鸟
Paradisier du Prince Albert
La faute en revenait au vent qui avait dispersé tous les traits tracés au fusain – mais l’Acteur d’Opéra n’a jamais renoncé à ses longues plumes de faisan (1)
« Il préfère qu’une charmante jeune fille le prenne et le chérisse, plutôt que de finir dans les tiroirs d’une armoire à plantes médicinales » (2) — le poème de l’orchidée de Xu Wenchang nous a toujours éclairé par la bionique : de la neige abondante avait le pouvoir de modifier les coordonnées de tout, tandis que l’altitude au-dessus du niveau de la mer dépendait de l’alignement des continents
On ne devrait jamais confondre une diva colorature avec un rôle de guerrière. Une lanterne tressée de bambou est tombée en poussière avec le vacarme d’une explosion, quand l’automne est venu, de capricieux rayons de lumière se sont échappés des coulisses. Vous n’avez jamais eu besoin d’un trou de ver pour voyager à travers l’espace-temps, les auras alentour vous transportent à travers les cieux et les océans
Un poète qui se tenait à distance des autorités accrochait sa toge académique noire sur la corde de chanvre vers le vent d’ouest. (3) Il avait fait passer sa vie en mode « film muet », si bien que le bruit blanc comme la teinture ocre tombait à côté de lui, sans même toucher ses vêtements
Il a traversé la scène des amants suicidés : au-dessus il y avait la cime d’un arbre à fumée et à ses pieds un sol nacré. Une voix dans ses écouteurs l’exhortait. S’il n’arrivait pas à temps, la couleur rose lotus sur ses joues disparaîtrait comme les gardénias
Avec la cape nuage de brocart à cinq couleurs (4) autour de son cou, il a tournoyé au rythme de la musique de fond d’un Sanxian en bois de rose, dont le mécanisme acoustique était tellement différent des instruments à cordes sumériens, égyptiens ou phéniciens. Son oreille était attirée par ses touches sur le canal de gauche
Intro, le poème d’ouverture, narration :
Le final prolongé d’un vers récité a déclenché son chant enchanteur, Zéphyr et Éole étaient en discussion pendant l’interlude : c’était un tel moment quand le soleil levant vert prune n’était pas encore mûr, ou quand les dernières lueurs s’attardaient à l’horizon, comme le chantait la riche jeune dame dans « Une pochette de trésor brodée » (5) : « Je ne devrais pas hésiter à partager avec cette pauvre jeune fille, qui pourra en bénéficier jusqu’à la fin de sa vie ! »
À qui lancera-t-il la pochette ? Avec toutes ces ventouses de rosée, ces saules pleureurs et ces lancers de manche mystiques (6) il luttait avec des chances dans la vraie vie
Le comptable écrivit sur du papier : Sumatra, l’île de Java et la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Il ne suggéra jamais des bottines de combat noires
pour poursuivre d’insaisissables ombres, puisqu’elles n’étaient pas aussi rapides que les chaussures ailées de Mercure
Il était facile de nettoyer les données avec du démaquillant, puisqu’elles étaient solubles dans la cire de bougie, le fard à joues, le baume et la fumée
Sa voix qui faisait écho sur la scène ne s’est jamais tue, laissant des cristaux comme des baies, des figues et des abricots, on disait qu’ils étaient les projections des choses qu’il avait aimées
La scène était un mirage sans fin et par moments une chauve-souris s’y introduisait
* Le paradisier du Prince Albert (Pteridophora alberti) est un oiseau de la famille des oiseaux de paradis (Paradisaeidae). C’est le seul membre du genre Pteridophora. Il est présent dans les forêts de montagne en Nouvelle-Guinée. Pteridophora alberti est une espèce sexuellement dimorphe. Les oiseaux de paradis paradisier du Prince Albert mâles adultes ont à peu près vingt-deux centimètres de long et pèsent de quatre-vingt à quatre-vingt-quinze grammes. La tête, la poitrine et le haut du corps sont noirs, avec des plumes irisées qui ressemblent à des écailles, le dessous de leur corps est jaune chamois. Les ailes ont de grandes taches ocres formées par la base et les pointes des plumes primaires. Les pattes sont gris-brun, le bec est noir avec une ouverture, couleur vert d’eau vif. Une tige de plume est deux fois plus longue que le corps de l’oiseau (à peu près cinquante centimètres), qui en comporte de quarante à cinquante en forme de drapeaux qui prennent racine derrière chaque œil. Elles sont bleu vif sur le dessus et rouge-brun sur le dessous.
Classification supérieure : Pteridophora
Nom scientifique : Pteridophora alberti
Famille : Oiseau de paradis
Ordre : passereau
Saxony Bird-of-paradise
The wind was to blame, for dispersing all the strokes drawn by charcoal—but Opera Actor never forsook his long pheasant tail feathers
“He prefers to be picked and cherished by a charming maiden, than to end up lying in drawers of a herbal medicine pharmacy”—Xu Wenchang ’s orchid poem always enlightened us with bionics: heavy snow had the power of modifying the coordinates of everything, while the height-above-sea-level depended on alignments between the plates
A coloratura diva should never be confused with a female warrior role. A bamboo-woven lantern fell to dust with an exploding noise when autumn came, capricious beams of light fled from backstage. You never needed a wormhole to travel through space-time, the auras around you always carry you across heavens and oceans
A poet aloof from officialdom was hanging up his black scholar gown on the hemp rope in the west wind. He had switched his life to “silent film” mode, so white noise like ochre dye dropped aside without even touching his clothes
He crossed the scene of suicide lovers: there was the canopy of a smoke tree above, and a pearlescent floor under his feet. A voice in his earbuds was urging him. If he failed to arrive on time, the lotus pink on his cheeks would vanish like gardenias
With the five-color brocade cloud shoulders around his neck, he swirled to the BGM by a rosewood Sanxian, whose acoustic mechanism was so different from Sumerian, Egyptian or Phoenician string instruments. His ear was awakened by its left-channel hints
Intro, the opening poem, spoken narrations:
The prolonged finish of a recited line triggered his enchanting singing, Zephyrus and Aeolus were having an argument in the interlude: it was such a moment when the plum-green rising sun was not ripe yet, or when the afterglow was still lingering on the horizon, as in “An Embroidered Treasure Pouch” the rich young lady sang: “I should not hesitate to share with this poor maiden, which may benefit her all through the rest of her life!”
Who shall he throw the pouch to? With all those dew-cupping, weeping willow and mystical sleeve-throwing he was wrestling with chances in his real life
The accountant wrote on paper: Sumatra, Java Island & Papua New Guinea. He never suggested black martial boots
for chasing the elusive shadows, since they were not as fast as Mercury’s winged shoes
It was easy to cleanse data with makeup remover, as they were resolvable in candle wax, blusher, balm and smoke
His echoing voice on the stage never died down, leaving crystals like berries, figs and apricots, it was said they were projections of things he used to love
The stage was a boundless mirage, and sometimes a bat sneaked in
Poème “Allotropes” lu par l’auteure, Yin Xiaoyuan, tiré du recueil Cloud Seeding Agent. http://www.pinyon-publishing.com/clou…
Notes
(1) Les compétences de base de l’Opéra de Pékin comprennent des mouvements de danse et des mouvements acrobatiques spéciaux pendant le chant et la récitation, ce qui est requis de tous les acteurs et toutes les actrices. Les compétences de Lingze comprennent la manipulation de deux longues plumes de queue portées sur des casques de guerrier, en les secouant et les balançant. Avec des mouvements de la tête et du corps, le secouement des plumes sert à exprimer des émotions comme la surprise, la haine, le bonheur et la légèreté.
(2) Citation du poème “Orchidée” de Xu Wei (1521–1593) (ses noms de courtoisie étaient Wenqing et puis Wenchang)
(3) Vers du “Chant de Pipa » de Bai Juyi (appelé aussi Bo Juyi ou Po Chü‑i ; en chinois : 白居易; 772–846), nom de courtoisie Letian (chinois : 樂天). Il était un poète chinois de renom et un fonctionnaire du gouvernement de la dynastie Tang. Beaucoup de ses poèmes concernent sa carrière ou des observations sur la vie quotidienne, notamment en tant que gouverneur de trois provinces différentes. Il est devenu célèbre comme auteur de vers écrits dans un style discret, presque vernaculaire qui était populaire à travers la Chine, la Corée et le Japon. « Pipa xing », qui a été traduit de différentes façons, comme « Chant de Pipa » ou « Ballade du luth », est un poème de la dynastie Tang composé en 816 par le poète chinois Bai Juyi, l’un des plus grands poètes de l’histoire de Chine. Le poème comprend la description d’une séance de pipa lors d’une rencontre fortuite avec un joueur près du fleuve Yangtze.
(4) Yunjian (云肩, cape nuage) est principalement faite de brocart en soie et en satin. Elle est souvent décorée de quatre motifs et faite d’un brocart aux couleurs vives. Elle ressemble à des nuages qui reflètent le soleil après la pluie et à un arc-en-ciel dans un ciel clair. C’est pourquoi on l’appelle cape nuage.
(5) L’opéra de Pékin “Une pochette de trésor brodée » : Xue xiangling, une fille issue d’une famille riche reçut de sa mère une pochette de trésor brodée, Suo Lin Lang le jour de son mariage, selon la coutume locale pour la naissance d’un enfant. Sur le chemin du mariage, il pleuvait. Quand Xue et sa famille s’abritèrent de la pluie dans le Pavillon de Chun Qiu, ils rencontrèrent une autre mariée, issue d’une famille pauvre, Zhao Shouzhen qui pleurait sur sa situation misérable dans une pauvre chaise à porteurs. Par une sorte de sympathie, Xue présenta Suo Lin Lang à la mariée Zhao ; puis ils se séparèrent, une fois la pluie arrêtée. Six ans plus tard, Xue fut séparée de sa famille et perdit contact avec les siens, à la suite d’inondations qui s’étaient produites à Deng Zhou. Xue dériva jusqu’à Lai Zhou et y rencontra son ancien serviteur Hu Po, qui recommanda Xue comme femme de chambre à la résidence de Lu Yuan Wai, une famille fortunée de Lai Zhou. En s’occupant du fils de Lu Yuan Wai, Tian Lin, Xue sentit des sentiments de tristesse envahir son cœur. Au même moment, elle retrouva Suo Lin Nong et pleura de chagrin en ramassant une balle pour l’enfant dans le salon du maître dans un petit pavillon et ainsi Xue comprit que Dame Lu était la mariée Zhao d’autrefois. Zhao questionna Xue sur sa vie et se rendit compte que Xue était la femme qui lui avait présenté Suo Lin Nang pour lui faire l’aumône. Dame Lu retourna la faveur à Xue et elles devinrent sœurs à la vie et à la mort dans une nouvelle existence nouvelle, faite de bonheur.
(6) Tous sont des gestes de la main à l’Opéra de Pékin.
Présentation de l’auteur

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