XV.
Le poème est le visage dans le miroir
plus vrai que le visage et le miroir.
Le poème est le flux du sang
au-delà du corps,
le rythme du sang au-delà du sang
—ses lits rigoureux, son battement sourd et unitaire
Le poème est le rythme de l’autre en moi
au-delà de moi, toujours, au-delà
où mon silence se frappe à ton rythme
et répercute sur moi, qui solfie dans le poème
un rythme nouménal,
chiffre qui fait écho dans l’écho
qui est corps véritable
—le nouménal en toi et en moi—
le cycle des sphères se touchant et s’abandonnant
—s’éloignant, oui, l’une de l’autre,
mais se détachant aussi de soi
chacune
dans sa féconde et dorée négligence.
Je me déplie dans son rythme.
Dans son métronome
capricieux et fugace
l’univers déplie ses fantasmagories
—sa vérité.
Il n’y a pas de traduction possible
—ou bien si, il y en a une :
de l’un à soi-même,
de l’un à cela qui tâtonne et vainc
ce qu’on sait de soi
—son pauvre empire.
Le poème, dis-je,
je dis la musique, je dis le mouvement
de la danse dans le corps, de la pierre sculptée…
Et la musique dans la trace et dans la pierre, dis-je,
et le mouvement sinueux et ferme du poème,
docte cadence, chute la plus heureuse au croisement
de tous les sens.
XVI.
De très loin nous venons
de très loin
le carquois plein d’éloignements
peuplé
d’ombres lumineuses
bornes
pour comprendre
pour continuer
pour continuer à chercher
pour continuer à errer et à retourner
ô enthousiasme
sonore architecture
de vitraux incendiés
musique elle est
cette vie lumineuse
XVII.
Dans des navires les jours passent
va savoir vers quelle rive
Dissolution
Dissolution
Rien
Rien
ne se dilue
—Pour le reste
il n’y aurait pas de rivage
:
un drame de masques vagants
là où la voix est reine
et règne
une musique sculptée
en eau et en pierre
En navires
comme des ailes
de colombes
ils passent
étendues
Va savoir quel festin de sens
de vides
d’imprononçable
certitude
célèbrent
là-bas si creux
dans la vaste éthérée en-
sommeillée ondoyante
nauséeuse
sphère blanche de la mer
va-et-vient d’ombres
va-et-vient
de terres révélées
Quelqu’un demande à revenir
Revenir
au fond et renaître
Qu’est-ce qu’on voudra ?
Dans des navires les jours passent
Rouge Vert Bleu…
Ils battent
agrippés aux voiles
comme de pâles bras pubères flottant
au ras de l’horizon
Qu’est-ce qu’on voudra ?
Une chanson
s’élève
profonde
grave
ombreuse
élémentaire
Passent les jours
voguant
sur un fleuve aux algues sveltes
se cinglant
au ras du ciel
(Montréal, Éditions du Noroît, 2013)
traduit de l’espagnol par Nelly Roffé
Las linternas flotantes
(Buenos Aires, Bajo la luna, 2009)
XV.
El poema es el rostro en el espejo
más verdadero que el rostro y que el espejo.
El poema es el flujo de la sangre
más allá del cuerpo,
el ritmo de la sangre más allá de la sangre
—sus cauces rigurosos, su latido sordo y unitario.
El poema es el ritmo de lo otro en mí
más allá de mí, siempre, más allá,
donde mi silencio se topa con tu ritmo
y repercute en mí, que solfeo en el poema
un ritmo numinoso,
cifra que hace eco en el eco
que es cuerpo verdadero
—lo numinoso en ti y en mí—
el ciclo de las esferas tocándose y abandonándose
—alejándose, sí, una de la otra,
pero desasiéndose de sí también
cada cual
en su dorada, fecunda negligencia.
En su ritmo me despliego.
En su metrónomo
caprichoso y fugaz
despliega el universo sus fantasmagorías
—su verdad.
No hay traducción posible.
-—o sí la hay:
de lo uno a sí mismo,
de lo uno a aquello que tantea y vence
de lo que sabe de sí
—su pobre imperio.
El poema, digo,
digo la música, digo el movimiento
de la danza en el cuerpo, el de la piedra esculpida…
Y la música en el trazo y en la piedra, digo,
y el movimiento sinuoso y firme del poema,
docta cadencia, felicísima caída en el cruce
de todos los sentidos.
XVI.
De muy lejos venimos
de muy lejos
el carcaj de lejanías lleno
poblado
de sombras luminosas
hitos
para entender
para seguir
para seguir buscando
para seguir errando y regresar
oh entusiasmo
sonora arquitectura
de encendidos vitrales
música es
la vida luminosa
XVII.
Pasan en naves los días
hacia vaya a saber qué ribera
Disolución
Disolución
Nada
Nada
se diluye
—Por lo demás,
no hay ribera
:
un drama de máscaras vagantes
allí donde la voz es reina
y reina
una música esculpida
en agua y piedra
En naves
como alas
de palomas
pasan
extendidas
Vaya a saber qué festín de sentidos
de vacíos
de impronunciable
certitud
celebran
allá tan hondo
en la anchurosa etérea a-
dormilada valseosa
nauseada
blanca esfera del mar
vaivén de sombras
vaivén
de tierras reveladas
Alguien pide volver
Volver
al fondo y renacer
¿Qué se querrá?
En naves pasan los días
Rojo Verde Azul…
Flamean
asidos a las velas
como pálidos brazos púberes ondeando
a ras del horizonte
¿Qué se querrá?
Se eleva
una canción
honda
jonda
umbría
elemental
Pasan los días
bogando
por un río de esbeltas algas
cimbreando
a ras del cielo