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Au menu de La Boucherie littéraire : Marlène Tissot, Thomas Vinau et Laure Anders

Marlène Tissot, Un jour, j’ai pas dormi de la nuit

 Le temps de l’insomnie. Cet entre-deux. On y est comme échoué. L’esprit en errance. On se sent désactivé, plutôt incapable. Dur de suivre le rythme du quotidien,

le matin, on habille nos humeurs par pudeur
puis on descend les poubelles, comme tout le monde

On sait bien qu’on ne rêve plus, que les rêves se tiennent hors de portée
les rêves c’est comme le bon pinard
on y prend goût trop facilement
et j’ai pas les moyens
et j’ai pas l’envergure

Marlène Tissot, Un jour, j’ai pas dormi de la nuit,  La Boucherie littéraire, 2 018

Difficile d’être soi, d’être dans la ligne dite normale, quand on se perd entre crépuscule et aube, entre soi et l’autre, entre les autres et soi-même. Entre la vie attendue, celle que souhaite offrir la société (métro/boulot/dodo-villa/piscine/apérobarbecue- etc.) et sa vie avec son quotidien, ses hésitations, ses peurs, ses réussites aussi ; sa difficulté à rester dans la norme…

 

Parfois j’aimerais me voir de dos
me regarder partir
me laisser m’éloigner de moi
trouver enfin un peu de paix

 

Le poème demeure à l’affût de la faille, cherche la fissure où s’engouffrer avec son imaginaire créatif, hors norme. Alors forcément il traverse la société réelle comme un décalé insaisissable. Il patauge dedans.

 

les temps sont durs pour les rêveurs
surtout ceux qui restent éveillés

Il prévient aussi

tu peux m’apprivoiser
mais n’essaie pas de me dompter

 

Un livre à lire et à relire, beaucoup de richesses à explorer, à laisser résonner. Un livre à écouter, à plusieurs voix, dans une ambiance de veillée.

 

 

Laure Anders, Cent lignes à un amant

Une aventure amoureuse en cent lignes poétiques, pourquoi pas? 99 vers commencent avec un "Je vous embrasse"...

Une manière d’explorer le réel autant que de jouer avec la punition d’antan. Explorer le corps de l’autre, explorer son être ; explorer le monde :

ce sont bien des pistes qui arpentent les terres de ce qu’on appelle faute de mieux poésie.

Laure Anders, Cent lignes à un amant, La Boucherie Littéraire, 2018

Une aventure d’écriture qui en ouvre d’autres : à chacun d’imaginer le thème de ses cent lignes à rédiger pour demain et à faire signer…

D’ailleurs cette nouvelle collection de la Boucherie Littéraire nommée Carné poétique présente le poème en sandwich entre des pages blanches : une invite à écrire. Antoine Gallardo revisite le livre de poèmes interactif (on retrouve par exemple cette idée chez Pluie d’étoiles éditions avec une invitation à écrire et à illustrer). Qui se risquera à écrire dans un livre ?

Et que deviendront ces écrits ? Des listes de courses si on a le livre dans sa poche ? Des prises de notes ? Des dessins ?

Une aventure à suivre…

Thomas Vinau, Notes de bois

Dans la collection Carné poétique, ce petit livre rouge au cœur, et blanc autour. Cuisiné façon hamburger en quelque sorte mais naturel. Sans ajout de sauce. L’hôte invite son lecteur à pénétrer dans son bureau et à suivre ces heures de travail, face à la fenêtre, avec pour accompagner ses pauses café

Rond de café = Hublot

 

Thomas Vinau, Notes de bois, La Boucherie Littéraire, : 2 018

de courts textes verticaux qu’on imagine écrit sur un de ces vieux buvards qui protégeaient à l’époque des encres, le bois du bureau. Pas grave si c’est juste un cahier de brouillon.

Mon cahier est ce radeau
de goudron et d’encre
Mon stylo cabine de capitaine
et la poussière 
mon équipage

 

Des pages à déguster lentement, bouchée par poème. Lentement. Histoire de prendre le temps de gouter l’univers de Thomas Vinau. Ce qu’il voit, entend, touche, sent … lorsqu’il se met au bureau avec la tentation de l’écriture. De petits instants minuscules comme il les affectionne et qu’il aime partager.

À notre tour, sur les pages blanches, d’y noter les nôtres. Nos petits minuscules. Directement, sans filet ; ou au contraire après un temps de macération…

De mon bureau je vois
une cabane en bois
une branche de pin
une merde de chien

Trois oiseaux sur la branche
des mésanges à tête noire
je penche
je gagne ma journée
à travers la fenêtre

 

Un petit livre qu’on pourrait imaginer dans les mains des enfants d’une classe. Après sa lecture et une lecture sur la durée, on inciterait les enfants à partir en quête des minuscules … à écrire à leur tour, librement. Inciter à voir le monde, à l’écrire : ce devrait être une évidence pour l’école.

 

Je n’ai pas quatre dromadaires
ni de galion ni de vaisseau
ni d’ailes au milieu du dos
Le monde est grand par la fenêtre
une galaxie dans un verre d’eau
On a les sirènes qu’on mérite

Ici derrière ce mur de bois
il arrive qu’un indien en bottes de sept lieues
chasse l’ours avec Peter Pan
croyez-le ou non
mais ça arrive