Jacques Merceron, Coiffures et mégalithes pulvérisés

Par |2022-11-06T09:19:57+01:00 28 octobre 2022|Catégories : Jacques Merceron, Poèmes|

Dans le salon de coiffure
Teinture
Balayage
Lissage
Tous les –ages sur fond
De musique insipide
Tan­dis que je tente de lire pour tenter
De m’incruster plus avant
Dans l’intimité de la pierre
Dans les ver­tig­ineuses spi­rales de Gavrinis
Dans le squelette abattu
Des géants de granit
Désenterrés

Rad­i­cale mémoire des pierres
Des men­hirs et dolmens
Des cairns des tombes à couloir
Et l’aventure des pionniers
De l’archéologie mégalithique

Mais fait irruption
Bal­ayant tout
Dans l’instant de grâce
Louis Arm­strong et son
What a Won­der­ful World
Voix mélodie m’enveloppent
Toute lec­ture cessante

Arm­strong me saisit
De sa poigne
À la racine des cheveux
M’entraîne dans la spirale
Bal­ancée de sa voix rauque et
Suave

Oh ! paradoxe
Per­cu­teur et polis­seur des métronomes
Implacables

Pas exagéré de par­ler de
Charme envoûtement
Moment de suspension
Absolue du Temps
Pendant
Ah !
Deux min­utes et dix-huit secondes

Impos­si­ble à reconstituer
Impos­si­ble à prolonger
Mais puri­fié
Deux min­utes et dix-huit secondes

21 avril 2022

*

Gnossi­ennes de Satie

Cli­quetis
Plumetis de notes produites
Sur des gammes légèrement
Désar­tic­ulées désaccordées

On grav­it en déhanché
Et redescend des degrés
En spirales
On glisse sur
D’entêtants anneaux de Moebius

On emprunte
Des escaliers d’Escher 
Où de loin en loin
Des march­es font défaut

Aube ou crépuscule
Du monde
On attend un lever de rideau
Qui ne vient jamais

On pro­gresse peu dans ce
Château de Marienbad

Ô lourde
âpre flu­ide hyp­nose de ses miroirs
Biseautés
Tout en girations

Dans ses grands parcs labyrinthiques
En trompe‑l’œil
On croise de belles et lentes processions
De femmes errantes échappées
Des tableaux de Delvaux

Et dans le lointain
Tour­nent encore
Mis au pas

Silen­cieux

Des chevaux de manège
Autour de l’orbe du ciel

14–16 mai 2022

*

Satori arcueil­lais 

Me plaît le guin­go­is de Satie, Erik
Le cli­na­men arpégé de sa triade
De morceaux en forme de poire

Leurs chevaux de bois soudain
Échap­pés du carrousel
Leur vail­lant petit trot et
Leurs ruades nerveuses
Pétaradantes 
Leurs soubresauts
Claquant comme éventails
Ou bien leurs pas solennels
Cadencés
Un rien hallucinés
Puis

Clau
di
quant
Iront s’abreuver
Au Chat Noir
Beau matou
Dont la queue ébouriffée
S’électrise aux nuits
De Montmartre

Tou­jours assoif­fés de vie
Hen­nis­sant à la bar­rière d’Enfer
Et piv­otant à la Vache Noire
Vers l’aqueduc
À Arcueil rejoindront
(cortège oh ! tant tantrique
que satyrique)
Le bouc enguir­landé de Ron­sard  
Et Bibi-la-Purée (qui jadis cirait
Les pom­pes de Verlaine)
Et puis retrou­veront Satie-Socrate
Et les blan­chisseuses des bords
De Bièvre (mais point
Dona­tien mar­quis de Sade)
Pour des agapes dionysiaques
Et rosicruciennes
Sous l’œil gai et brumeux
Du géant Sire de Malassis

25–28 avril 2022

Présentation de l’auteur

Jacques Merceron

Né à Paris en 1949. Fut pro­fesseur de lit­téra­ture médié­vale aux USA (Bloom­ing­ton, IN). Habite à présent à Mont­pel­li­er. A pub­lié livres et études sur le Moyen Âge, la mytholo­gie, les tra­di­tions et savoirs pop­u­laires (con­tes, légen­des, médecine mag­ique…), un Dic­tio­n­naire des saints imag­i­naires et facétieux (Seuil, 2002), un Flo­rilège de l’humour et de l’imaginaire des noms de lieux en France (Seuil, 2006). Par goût, en poésie, aime et pra­tique le grand écart, du « mer­veilleux » au « facétieux ». Aime par-dessus tout Ner­val, tout Ner­val, et les poètes rémouleurs du rêve. Leiris et Michaux aus­si, en tant qu’équarisseurs du lan­gage, Rabelais, les films de Tati, Jacques, la musique humoris­ti­­co-rosi­cru­­ci­enne de Satie, Erik… Poèmes récents en revues papi­er (Décharge, Nou­veaux Dél­its, Arpa, Ver­so, Diérèse, Motsà Maux, La Nou­velle Cigale Uzé­geoise (haïkus) ; Éphémérides feuilles détachées. Une antholo­gie, éd. Pourquoi viens-tu si tard ? (haïkus) et en revues en ligne (Recours au poème, Le Cap­i­tal des Mots, Lichen, Le Jeu­di des Mots). Recueil récent : Par le rire de la mouche (haïkus), avec des dessins de Jacques Cau­da, éd. Pourquoi viens-tu si tard ? (janv. 2022).

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