Les mots sont privés du sens par ici,
Ils vont et vien­nent par bribes ;
Assouan aux arbres en fleurs, instan­ta­nés du vert turquoise
De la riv­ière, du vert mosquée , satin de la rivière
Au couch­er du soleil, des blocs de pierre fon­dus en deux,
Des ouvri­ers qui amè­nent des pierres
Et con­stru­isent  ensuite des tem­ples, des reliefs gravés d’une Reine
Atteinte d’éléphantiasis,
La Reine Hat­shep­sout pour qui son amant sculp­tait des pierres,
D’immenses obélisques sur cette terre aride, ce soleil violent
Qui donne nais­sance à toutes choses, et puis la sueur, sueur froide
Et les chiens du désert, tor­turés par la faim et la colère, ils sont
Les âmes ressus­citées des ouvri­ers qui vivaient  et mouraient pour la
Reine et pour le soleil, et pour cette terre ami­don­née qui donne la vie
Avant de la repren­dre,  et les jours qui ren­voient les miroirs, réfraction
De la pluie froide. Mirage  de l’eau qui peut coûter la vie,
ou le prix d’une pel­licule Kodak et d’un verre d’eau,
route miroi­tante qui ne mène nulle part ou à un panneau
mal éclairé  annonçant une auberge graisseuse,
où  les enfants arabes affamés vendent des bis­cuits à cinquante piastres,
et puis deman­dent des cig­a­rettes, image de l’Astor square à New York
où ils vendent  des vête­ments, des gâteaux puis men­di­ent une cigarette,
la vie qui vaut un jeton de métro ici,
sim­ples mirages de survie,
mirages de cet aqua-sable lunaire et puis le soleil, les blocs
de pierre de civil­i­sa­tions dis­parues qui ont gran­di et ont brillé
comme le soleil et sont tombés dans l’empire Kodak, dans l’oubli
de la coloni­sa­tion occidentale,
les maîtres-archi­tectes  qui ont gravé leur pro­pre vie dans ces pierres
qui ne nous racon­teront pas cette his­toire, avec leurs couleurs bâtardes
et leurs images de gloire, images d’Ankhs noirs
et de la sagesse du Troisième Œil, voilà les villes de la boue et de la mort,
les villes qui ne vous répon­dent pas si vous ne les sec­ouez pour arracher leur cœur,
qui n’est qu’un mirage après tout, et une oasis pleine d’eau irréelle,
un faux descen­dant d’Isis ; L’œil- qui- pro­tège observe tes mouvements,
tu bouges dansant, avec grâce comme une danseuse ori­en­tale qui
pré­conise la foi, cha­toy­ante, tou­jours cha­toy­ante dans l’air, cette chaleur,
ce voile provo­quant retombe sur des corps et des vis­ages puis s’évapore dans l’air,
air chaud, soleil hideux, ciel bleu turquoise, les chacals,
ou peut-être les dieux de la route, ces minces divinités marchent le long
de la route qui demeure jaunâtre, blanche et frêle,
avec les rythmes des tablas
et ceux des très petits tam­bours, la route appa­raît et disparaît
par bribes, et voilà l’air qu’on ne respire pas, la poussière
qu’on avale, l’eau  absente que l’on ne peut pas boire, les pilules qui remplaceront
la nour­ri­t­ure au siè­cle prochain, le Dia­ble déguisé en Dieu, l’odeur de viande séchée et
de pain souf­flé, les lésions de peau répan­dues sur les cadavres,
des désirs momi­fiés qui tra­versent les siè­cles, la vie s ‘en va,
et le faible espoir :
dans la prochaine civil­i­sa­tion la vie serait meilleure,
elle doit l’être.
Mais le temps s’effiloche et con­tin­ue, entre dans le nou­veau siècle,
En com­mu­nion, une fois que tu as déchiffré tout cela, le reste devient facile,
La façon dont  le Caire a été construit,
Edfou et Comombo,
En sor­tant du ven­tre du Dieu Croc­o­dile et du
Dieu de la fer­til­ité, Min,  qui ont rendu
Tout ce qu’a été sac­ri­fié sur l’autel de la faim.

 

Traduit par Geneviève Huttin

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