dans le sai­sisse­ment de l’angoisse il y a cette ten­sion extrême de tous les mus­cles comme pour retenir l’effondrement du monde –

tou­jours et encore retrou­ver une assise sans s’y installer tout l’art d’exister on a beau le savoir il s’agit tou­jours à tout moment d’être à même de se mari­er à la moin­dre sec­onde c’est une ques­tion d’amour et seule­ment d’amour comme de plonger dans un bain glacé comme de sen­tir – dans le sai­sisse­ment du froid – le souf­fle chaud de son haleine comme de se tenir à la lim­ite où cela ne rompt pas comme mourir et renaître cela apprend et réap­prend comme de pass­er à autre chose mal­gré la las­si­tude qui énerve mal­gré l’irritable ennui la fatigue en se lais­sant gliss­er absorber bien mal­gré soi trans­porter par la con­cen­tra­tion du monde qui survient tout d’un coup et redonne un libre souf­fle sans même qu’il faille s’en ren­dre compte c’est une mer­veille comme ces risques que l’on ne peut pas ne pas pren­dre sinon c’est plus que menaçant ne pas reculer aller jusqu’à s’avancer s’avancer c’est atti­rant c’est ter­ri­fi­ant c’est plus fort cela ne s’évite pas on sait intime­ment que l’on n’en meurt pas comme de faire chaque chose en la faisant vrai­ment marcher en marchant sourire en souri­ant donne une ampleur qui ras­sure juste comme il faut se com­pren­dre comme une réponse pos­si­ble mais per­dre le fil de ses pen­sées et laiss­er ain­si place à l’idée qui se fixe paral­yse c’est dans le domaine de l’effrayant tout aus­si effrayant un cer­tain bouil­lon­nement s’épaissit par­fois s’il ne trou­ve le bon rythme une pen­sée chas­se l’autre et l’on se retrou­ve sans rien l’équilibre se cherche et ne se trou­ve pas de pen­sées en pen­sées comme par paliers tout autour de soi se cherche et n’est plus sen­si­ble c’est un tour­bil­lon qui gagne il y a eu et il y a et il y aura tant d’êtres à sec­ourir en pleine nuit seuls dans le sen­ti­ment de la nuit que seule la nuit peut sec­ourir avec l’allant de ce qui reste se sou­tenant indis­tinct – si là ils pou­vaient enten­dre – le jour où se ressent la pos­si­bil­ité de ne peut-être plus jamais se sen­tir capa­ble de marcher dans la rue comme un vac­ille­ment vers le bas inar­rêtable arrive la plus sim­ple des illu­mi­na­tions toute la force qui se donne à tout moment sans en avoir l’air sans jamais rien deman­der en retour une fois arrivé jusque là on devrait s’en retourn­er avec un cœur den­sé­ment à jamais débor­dant et y croire et faire plus qu’y croire sans plus se laiss­er démen­tir par des riens tout se donne tout d’un coup pour ne pas se dis­pers­er ne pas crain­dre d’être brusqué dérangé per­tur­bé trou­blé brouil­lé inquiété – par quoi –  car comme avant et autrement rien ne sera jamais plus comme avant – installer toute la dis­tance d’une sauvage retenue ne pour­ra rien con­tre le sen­ti­ment aus­si peu coupable que déraisonnable à bien y réfléchir si spon­tané qu’ici et main­tenant le monde ne fasse qu’un tour sur lui-même et que tout change en un regard quelle impuis­sance devrait empêch­er d’y croire du moment que l’impatience et le mou­ve­ment du cœur se con­fondent à ne faire qu’un là le monde entier le monde en son entier le sen­tir se rassem­bler de toute part sen­tir là ensem­ble tous les êtres vivants et morts sen­tir tout le passé se ramass­er dans la con­sis­tance cohérente de l’instant sen­tir l’avenir s’ouvrir ce n’est pas un rêve même le temps d’un instant qui dur­erait moins longtemps que le plus petit temps pos­si­ble c’est comme une prière qui se répéterait à l’infini la Rai­son matérielle aura tou­jours rai­son et ramèn­era toutes choses à la rai­son pour que parce que rien ne lui échap­pera et elle se véri­fiera tou­jours et encore dans le moin­dre détail et soumet­tra et don­nera tort et encore tort quoi qu’il puisse arriv­er portera ses coups sans jamais se laiss­er adoucir touch­er un cœur qu’elle n’a pas embrassé c’est l’embrasser s’en remet­tre à l’innocente inso­lence qui relève de l’avenir qui sait ce qu’il en advien­dra cela n’en finit pas à ne plus en finir il suf­fi­rait seule­ment d’y croire de ne pas en douter quelle que soit la seule pro­fondeur de soi exigée cela ne tient à rien l’avenir en répond tout y con­sent tout un monde en dépend il y va du monde dont nous répon­dons cela nous appartient

tout comme au pre­mier jour
du pre­mier jour

 

L’é­tat actuel des choses (édi­tions Al Man­ar, 2012)
 

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