La lec­ture du con­te « La plume d’Ange » nous ouvre à la magie d’un style et d’un univers. Nom­breux sont ceux qui, tel le mod­este auteur de cette chronique, sont fatigués par l’inlassable écri­t­ure post-célin­i­enne d’écrivail­lons sans tal­ent ni imag­i­na­tion, bien loin de l’au­teur du Voy­age au bout de la nuit qui détes­tait la facil­ité et la démagogie.

Aux amoureux de la lit­téra­ture digne de ce nom, tra­vail­lée avec amour, Mar­i­lyne Bertonci­ni donne à lire dans un style mag­nifique, enchanteur, ciselé un apo­logue mys­térieux. En har­monie avec l’histoire étrange du pro­fesseur Ange Tar­di­ni, le lecteur entre dans le réc­it et, l’ensorcellement le gag­nant, n’en sort que mal­gré lui – la dernière page dévorée. En me gar­dant de dévoil­er quoi que ce soit de l’envoûtante his­toire, que l’on me per­me­tte de don­ner deux courts extraits qui illus­treront le tal­ent de Mary­line Bertonci­ni : « Il se rap­pela alors très vive­ment la plume qui l’avait tant fait rêver, et il res­ta longtemps les yeux fixés sur les signes du matin. Peut-être que, s’il avait essayé d’écrire avec elle, peut-être qu’il aurait écrit le livre du monde. Elle avait les couleurs du mys­tère, elle aurait peut-être dévoilé les secrets de l’u­nivers. Peut-être… Il rêvait les yeux ouverts. » ; ou encore, quand le nar­ra­teur affirme qu’il n’existait « rien d’aus­si fasci­nant que le jeu de clair-obscur qui se mod­e­lait autour d’elle ; rien de plus étrange que cette fragilité aéri­enne, qui évo­quait pour­tant l’im­péné­tra­ble dureté du métal. Avant de se couch­er, il la posa déli­cate­ment sur la table de chevet. On aurait dit un joy­au d’où jail­lis­saient d’im­per­cep­ti­bles éclairs noirs dans la pénombre. »

Mar­i­lyne Bertonci­ni, La Plume d’ange, illus­tra­tions Emi­lie Wal­ck­er, édi­tions Chemins de plume, 2022, 16€.

Le réc­it lui-même, sa lec­ture finie depuis bien longtemps, con­tin­ue de nour­rir l’âme du lecteur. Comme toutes les œuvres d’art, cet apo­logue fait naître nom­bre de ques­tions, notam­ment exis­ten­tielles, sur le rap­port que nous étab­lis­sons avec l’acte d’écriture, ou encore sur ce que ce dernier peut avoir – ou oubli­er d’avoir – avec l’altérité. Posons-en quelques-unes, sur lesquelles « La plume d’Ange » se garde d’apporter des répons­es réductrices. 

Les pas­sion­nés du livre, de l’écriture, comme l’est Ange Tar­di­ni, le savent : la lit­téra­ture n’est un remède aux maux intérieurs que dans la mesure où l’esprit cri­tique et l’ouverture au monde accom­pa­g­nent le mou­ve­ment. Nulle­ment à l’abri des préjugés, le per­son­nage en fera l’expérience béné­fique vis-à-vis des êtres qui l’entourent, qu’il a enfer­més un peu tôt der­rière des épithètes défini­tives. De même, jusqu’où n’était-il pas aliéné, empris­on­né dans quelque geôle spir­ituelle, jusqu’à la mys­térieuse décou­verte de la plume ? Sa vie vieil­lie « avant l’âge » der­rière d’interminables « habi­tudes » étaient-elles choisie ou subie ?

Rien n’est affir­mé ici, tout est sub­tile­ment racon­té, et nous vivons son périple pour com­pren­dre le mys­tère de cette sub­lime et ensor­ce­lante plume, belle allé­gorie de toute activ­ité littéraire.

Ce con­te mag­nifique s’en­ri­chit d’un dia­logue con­stant entre la nar­ra­tion et les illus­tra­tions d’Emi­ly Wal­ck­er. Ces pein­tures don­nent à voir une inter­pré­ta­tion per­son­nelle de l’artiste qui, déploy­ant dans l’e­space et la couleur l’im­pres­sion de mou­ve­ment féerique du con­te, offre au lecteur le tal­ent et la vision d’Emi­ly Wal­ck­er. Cet apport d’une grande richesse, cette per­cep­tion orig­i­nale d’une artiste sont un don pré­cieux pour le lecteur.

 

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Jean-Yves Guigot

Enseignant le français et la philoso­phie, âgé de 52 ans, l’ac­tiv­ité à laque­lle je m’adonne sur le plan exis­ten­tiel est la quête de l’u­nité. L’écri­t­ure poé­tique est le lieu expéri­men­tal où se mêlent la vie et l’œuvre à naître, et les recueils, ain­si que ce vers quoi je tends, sont tournés vers cette quête. Le site lenchassement.com par­ticipe de cette expéri­ence à tra­vers tous les arts et les modes d’écriture.