Le plus lumineux dans le poème est ce dont, sans doute, pas même l’au­teur n’a encore con­science. Tel le « Porte-Feu » dans la Grèce antique, dont Eschyle s’in­spir­era dans son immor­tel Prométhée, il porte ce dont il n’est que le mes­sager, sim­ple archer dont la mélodie orig­inelle lui échappe depuis toujours.

Bien que le poète soit étranger à ce qui, en amont, a amor­cé la sym­phonie mys­tique, son acte demeure néces­saire à la dialec­tique « insurrection/résurrection ». Cette dernière désigne le mou­ve­ment intem­porel que l’œu­vre d’art ou poé­tique ini­tie au cœur même de la des­tinée humaine. Le poème n’est jamais œuvre inno­cente, Georges Bataille le rap­pelait fort juste­ment dans la Lit­téra­ture et le mal, et son exis­tence s’en­racine dans ce qui est manque, douleur, désir d’être – et enchâsse­ment dans la total­ité au sein de laque­lle on se devine relié.

Ce dévoile­ment d’une « vérité » jusqu’alors imper­cep­ti­ble n’est pos­si­ble que par l’ex­péri­ence unique du créa­teur. En effet, le souf­fle des pro­fondeurs où se ressource son acte est un pur soulève­ment du mor­tel suaire des éner­gies fos­sil­isées – soulève­ment amor­cé par le souf­fle intem­porel dont seul le mys­tère a la clé.

Com­ment percevoir ce souf­fle ? Nous pour­rions le désign­er par l’in­lass­able poussée insur­rec­tion­nelle surgie, sans cesse, de ce que, pour para­phras­er André Bre­ton, nous nom­me­ri­ons « l’Or de l’âme ». Quand la mor­tifère énergie de la fatal­ité laisse libre le champ à l’én­ergie tra­ver­sant depuis tou­jours l’u­nivers, nour­ris­sant les œuvres de Beethoven et Mozart, de Van Gogh ou Hölder­lin, William Blake ou Niet­zsche, nul doute que le génie humain vive, dans cette « poussée insur­rec­tion­nelle », sa sub­lime résurrection.

Ne nous y trompons pas. Cette énergie n’a pas de nom – elle ne nous devient d’ailleurs con­sciente que par ce que René Char nom­mait la « salve d’avenir ». Elle est le sang coulant dans les veines du réel per­me­t­tant l’ar­rache­ment, à l’af­fadisse­ment uni­versel renais­sant sans cesse, de ce dont le Verbe est porteur.

Le Verbe rede­vient dès lors cet explosif que con­stitue, pour le poète et l’artiste, le désir d’être mes­sager de ce qui le traverse.

En ce sens, on se fait moins poète que le sim­ple con­tin­u­a­teur du cli­mat mélodieux dont on perçoit soudain la présence et dont on ressent qu’il nous revient d’en trans­met­tre l’énigme.

 

 

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Jean-Yves Guigot

Enseignant le français et la philoso­phie, âgé de 52 ans, l’ac­tiv­ité à laque­lle je m’adonne sur le plan exis­ten­tiel est la quête de l’u­nité. L’écri­t­ure poé­tique est le lieu expéri­men­tal où se mêlent la vie et l’œuvre à naître, et les recueils, ain­si que ce vers quoi je tends, sont tournés vers cette quête. Le site lenchassement.com par­ticipe de cette expéri­ence à tra­vers tous les arts et les modes d’écriture.