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La revue Florilèges n°187

Y a-t—il des fleurs dans ce Florilège-là ? Le mot Florilège provient tout simplement de flos « fleur » et legere « cueillir, choisir ». Quelles fleurs vais-je donc y trouver ?  Me demandé-je naïvement. 

De fait, c’est une invitation pour moi. L’opuscule propose en ouverture une citation de Kundera à la recherche de la « mémoire de ce qui nous a émus » et qui donne à la vie « sa beauté ». Je plonge donc dans la lecture protégée par ce propos apaisant et en quête de ces fleurs secrètes tant attendues mais encore imaginaires…...    

A l’aube, je découvre d’abord « la captivante «  rose du matin » de Christian Amstatt, dont la couleur émerge après  une « nuit de torpeur » Une autre rose, apparait ailleurs, puissante, inspirée cette fois par « de la mignonne »  de Ronsard : cette« fleur de soleil »de Stéphane Mennessier est d’une éclatante beauté1. Elle révèle le magnifique baiser d’amour érotique d’un amoureux « médusé » par sa belle qui entre en une extase pourtant « pudibonde ».

Jean-Marie Leclerq évoque, quant à lui, « une fleur fanée » aux « pétales éplorés » sur un sol de pierre. L’ombre de cette fleur magnifique lui est néanmoins « comme un vêtement ».

Ce bouquet fleuri se disperse dans les pages à travers la pensée de Saint Pol Roux pour qui la poésie est l’art d’apprivoiser la « libellule de l’insaisissable ».

Revue Florilège n°187, Juin 2022.

Marie-Christine Guidone rappelle que la poétesse Marceline Desbordes- Valmore, « maudite » selon Verlaine,a soutenu les pauvres, les prisonniers, les déserteurs et les Canuts révoltés en 1831 et 1834. Précurseur – précurseuse ? – du romantisme, elle a en outre écrit Les roses de Saâdi. Ces roses-là débordent de sa ceinture « étroite » et se déversent en un « odorant souvenir ».

Et nous, quand on ferme le recueil, on a le sentiment d’avoir respiré – avec un doux plaisir – la fleur des mots.

Note

  • Ce poète a obtenu le second prix d’un concours de la maison de poésie Rhône-Alpes de Saint Martin d’Hères, poètes sans frontières : Dis-moi dix mots.




Enterre la parole de Gwen Garnier-Duguy prix Yvan-Goll 2020

Gwen Garnier-Duguy, fondateur du site Recours au poème, a reçu le prix Yvan-Goll 2020 pour son recueil Enterre la parole (Éditions de Corlevour). Le prix ne lui a été remis le vendredi 10 juin dernier, sur la grande scène du Marché de la Poésie. 

Gwen Garnier-Duguy publie ses premiers poèmes en 1995 dans la revue issue du surréalisme, Supérieur Inconnu, à laquelle il collabore jusqu’en 2005. En 2003, il participe au colloque consacré au poète Patrice de La Tour du Pin au collège de France, y parlant de la poétique de l’absence au cœur de La Quête de Joie. Fasciné par la peinture de Roberto Mangú, il signe un roman sur son œuvre, Nox, aux éditions le Grand Souffle. Ses poèmes sont publiés dans les revues Sarrazine, La Sœur de l’Ange, POESIEDirecte, Les cahiers du sens, Népenthès, Le Bateau Fantôme, La main millénaire, Nunc, Les hommes sans épaules, Phoenix, Siècle 21. Son poème Sainteté je marche vers toi a été publié dans L’année poétique 2009, aux éditions Seghers. Trois participations à des catalogues d’Art : – Auguste Chabaud, la ville de jour comme de nuit, paris 1907-1912, éditions Réunion des Musées Nationaux, 2003 – Roberto Mangù, Fuego, Editions Venti Correnti, 2006 – Roberto Mangù, Permanenza, Editions SHINfactory, 2007. En 2011, son premier livre de poésie Danse sur le territoire, amorce de la parole, paraît aux éditions de l’Atlantique, préfacé par Michel Host, prix Goncourt 1986. En mai 2012, il fonde le magazine en ligne www.recoursaupoeme.fr, exclusivement consacré à la poésie. Il est également l’auteur des ouvrages Le corps du monde, préface de Pascal Boulanger, Corlevour, 2014 ; Alphabétique d’aujourd’hui, L’Atelier du Grand Tétras, 2018, et Enterre la parole (Corlevour, 2020).

Gwen Garnier-Duguy, Enterre la parole, suivi de La nuit Phoenix, Lettre et postface de Jean Maison, 2019, 17 €.

À  l'occasion de la remise du prix, Gwen Garnier-Duguy a prononcé un discours que Profession Spectacle reproduit in extenso.




Un printemps en poésie chez Gallimard : Etienne Faure, Anna Ayanoglou, Daniel Kay

C'est un bien beau printemps que celui de 2022 chez Gallimard, avec ces titres de la collection Blanche, en poésie, belle comme un jour qui prend de l'altitude et nous accompagne vers le solstice d'été, et sa lumière. Trois titres très différents mais avec ceci en commun qu'ils font poésie, ce qui n'est pas rien !

∗∗∗

 

Etienne Faure, Vol en V

En prose, en vers, au fil des paragraphes, des tracés qui suivent l’allure d’un essaim justifié à gauche ou bien en blocs déposés au centre de l’espace scriptural, le signe est langage avant la langue  dans Vol en V. Épigraphes d’œuvre et de chapitres jalonnent ce recueil où les titres suivent les poèmes, comme pour les porter, mais pas que. Il existe un dispositif paratextuel très élaboré qui accompagne les vers d’Etienne faure, traverse le texte, l’enrichit, le retranche pour l’ouvrir à son essence qui est de laisser émerger la voix du monde. 

Ces titres situés sous les poèmes se présentent également comme un sous-titrage, mais il est permis de les considérer comme des titres car ils figurent dans la table des matières. Nous pourrions y voir une volonté de ne pas surcharger la lecture, de laisser la pluralité des sens affleurer sans alourdir l'appréhension de l'ensemble. C’est il semble une des fonctions de ce positionnement tutélaire. Mais lorsque l’on considère l’aspect sémantique de ces titres qui suivent le texte et sont en italique on se rend compte qu’ils en soulignent la trame anecdotique, qu'ils attirent l'attention sur l'instant de vie qui est la matière du poème... Un désir de mettre en exergue les éléments dévolus à un univers référentiel. Mais pourquoi ? 

Ces titres "à l’envers" portent les marques sémiques d’une littéralité qui en réalité magnifie la poésie, en dévoile la substance, et révèle toute la puissance du langage poétique. Comme une serviette japonaise qui une fois plongée dans l’eau se déploie et laisse apparaître une infinité d’univers, le poème soluble dans le regard du lecteur prend toute sa dimension une fois que l’instant de vie qui en a été l’origine est nommé, comme un instantané posé sur l’onde sonore des mots ondoyant dans un océan polysémique.

Etienne Faure, Vol en V, Gallimard, Collection Blanche, 2022, 144 pages, 16 €.

Dans la ville à pied, sans repli, sans arrière
pays, origines, hors cela, il emprunte
au début sous le nom de rue, pont, grève
un parcours exempté de fil, anonyme,
laissant l'impasse pour attraper les quais
via les passages, les cours et circuler
inclus dans la foule en mue sans arrêt
selon l'heure ou l'allure à laquelle on passe,
interdit soudain sous un nom, un bouquet
au mur scellé (mortellement blessé)
après la chute de naguère, le bruit d'un corps au sol,
épitaphe à jamais cernée du crible des impacts
encore aux murs, semblant redire : passant,
nous allons mourir, et personne n'en saura rien,
ou bien continuer de parler aux vivants
plus avant, ceux qui vont te survivre
— et le flâneur éclairé sous un angle
un instant exposé au soleil du soir,
médite à découvert avant de traverser vite,
regagner l'ombre.

Passage à découvert   

             

 

Comme pour dissoudre les passages, se fondre dans les décors qui servent de supports aux textes, dévoiler l'essence de ce que recèle la langue poétique, et soutenir les champs sémantiques à l'œuvre dans ce qui "fait" poésie, ces titres supportent et révèlent, renvoient au désir de relire le poème. Apparaît alors toute la puissance du langage poétique, ce qu'il permet de transcrire, qui est tout simplement l'indicible : la couleur d'un lieu, chargé d'émotions que tout concourt à communiquer, la profondeur d'un temps de vie arrêté qui déployé dans le présent du texte, l'éphémère de nos vies, capturé dans l'espace vacant du poème, là où tout se recrée à chaque instant. 

Alors les épigraphes prennent sens, car chacune met l’accent sur l’envol, celui du regard, celui de la langue libérée par la mise en jeu du poème.

   Nous nous touchons, comment ?
Par des coups d’ailes

Rainer maria Rilke
à Marina Tsvétaïéva
Correspondance à trois, Eté 1926

                   ∗

Comme à chaque saison c’est le
désir qui les fait venir de si loin.

William Carlos Williams,
Paterson, livre V

                  ∗

Ainsi appuyé au ciel 

Thomas bernhard
Sur la terre comme en enfer

 

Altitude topographique métaphorique qui est celle qu’offre la poésie, pour s'appuyer au ciel, porté par l'élan d'un Vol en V...

 

Promesse ajourée du langage
la pluie fourmille au sol
puis s’éparpille.
On dirait
- dentelière, reprenez-moi si je me trompe -
un point d’Alençon répété sur le vide
et qui finit dentelle, voire
jour Venise

jusqu’au motif

Anna Ayanoglou, Sensations du combat

 

Combattre est-ce vivre ? Est-ce écrire, lutter ? Il semble qu'intensément oui. La langue d'Anna Ayanoglou poursuit le monde, encore, tente de forer des puits au centre du silence, pour faire jaillir une lumière étincelante. Celle du poème, assurément. 

 

 

Prose poétique ou poème dans cette liberté de trait qui est encore et toujours à inventer, Sensations du combat brûle et emporte l'esprit au centre d'un langage vif, parois tranchant, parfois fédérateur de symboles qui alors convoquent des archétypes que la poétesse interroge. Ses origines, l'amour, et puis écrire, ce lieu investi par le regard spéculaire de l'énonciatrice qui emploie le pronom personnel de la deuxième personne du singulier pour témoigner de sa propre existence. 

On perçoit des bribes de vie, mais à peine, rien de lyrique, ou alors un lyrisme vivifiant, comme un combat contre les mots avec, pour changer la plainte en chant de guerre. Et surtout cette lucidité qui guide ne permet aucun apitoiement. C'est juste, c'est la vie regardée comme elle se doit de l'être, avec vaillance, celle d'une femme qui s'empare du temps et des chemins grâce à sa parole, et surtout grâce au silence que recèle le poème. 

Anna Ayanoglou, Sensations du combat, Gallimard, Collection Blanche, 2022, 88 pages, 13 €.

Rien d’autre que composite, agglomérat
– de langues approchées, apprivoisées
puis le temps passe, et rien, elles sommeillent
et leurs liens avec elles
mais tout sommeille – les terres, des aïeux
ou sans, peu importe, vraiment
– tous des membres fantômes
souffrances scintillantes
qui se réveillent par intermittence.

Sensations du combat passe à travers les âmes pour aller droit vers l'essentiel de questionnements incontournables que seule la poésie permet de laisser affleurer parce qu'impossibles à rendre audibles, autrement.

Capsule de présentation de Anna Ayanoglou, lauréate du Prix de la première œuvre en langue française de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

∗∗∗

 

Daniel Kay, Un peigne pour Rembrandt, et autres fables pour l'œil

 

Poèmes en prose, pour ce recueil qui ouvre sur ce texte du tout premier chapitre, "La fabrication des images", avec "Histoire d'un désir" :

 

Etendre le bleu à la manière des linges aux fenêtres,
les fines étoffes au vent Léger. Ne pas prendre le
ciel comme limite ni même comme principe d'expansion
mais comme désir. Alors le bleu resplendit tel un fruit sur
une coupe disposé, un fruit unique rendu à la table des 
couleurs.

 

N'est-ce pas là raconter la magie de l'art, cette merveille qui à travers le fruit, un ceil, des visages, magnifie l'anecdotique pour puiser aux sources des universaux, là où les archétypes parlent une seule et même langue, celle de l'humanité ?

Tout entier ce recueil est un hymne à l'art. Daniel Kay raconte avec ses mots ce fabuleux secret du miracle qui advient lorsque la représentation traverse l'épaisseur du temps. Des lignes, mais pas n'importe lesquelles, des mots agencés pour faire poésie, unique chance de capturer l'indicible majesté de la couleur, du tracé, du regard que le peintre pose sur le paysage et de cette transformation lorsque la couleur est étalée sur la surface de la toile, avec des aplats et des teintes, de courbes et des lignes de fuite qui arrivent dans l'univers intangible d'une fraternité. Un dimanche aux Pays-Bas, Chez Bruegel l'ancien, Trait pour trait, Le peigne de Rembrandt, Les affinités électives, Grande galerie, Volumes... Autant de chapitres dans lesquels le poètes célèbre l'art, et égrène une galerie de portraits d'artistes, sortes de tableaux de toiles, comme dans ce magnifique poème sur Bacon :

Francis bacon
Histoire d'un reniement

    Tu peux toujours crier, grand pape épouvanté, crier
la mâchoire serrée sur des poussières d'étoiles, ton âme
sent trop fort la viande. Le grand drame épiscopal, lui, 
suit sa route. C'est que l'Esprit-Saint a choisi le mauve, le
théorème du mauve pour foudroyer, foudroyer le temps
d'un dernier cri. Et tu te demandes, encore et encore : 
Mon dieu, pourquoi m'as-tu injurié ?

 

 

Daniel Kay, Un peigne pour Rembrandt, Gallimard, Collection Blanche, 2022, 112 pages, 12 € 50.

Ce que racontent les images... Daniel Kay les fouille, mais pas seulement. Il met en demeure le langage de dire cette magie qui opère dans les toiles de grands peintres, et il y parvient, grâce à la poésie, cela va sans dire. L'esprit-Saint est ici celui de l'artiste, qui choisit le théorème du mauve, qui incorpore le mauve pour le restituer là, dans l'écrin de la toile, face au cri incessant, avalant tous les cris de tous les hommes, dans celui de ce pape, grand, épouvanté d'une trouille qui pleut séculaire sur nos semblables. C'est tracé, sur le tableau, c'est écrit, dans Un peigne pour Rembrandt, et partout dans ce beau recueil, comme fables offertes à nos que regards, puisées dans l'épaisseur des histoires, qui ne se veulent en aucun cas explicatives. Elles guident  au contraire les yeux des lecteurs vers cette impalpable miracle qu'est l'art, ainsi que le fait cette fabuleuse fable de Rembrandt dans le chapitre qui lui est consacré, Trois fragments d'une histoire du visible :

 

A Amsterdam, Dieu rend visite à Rembrandt qui n'a
même pas eu le temps de se peigner. Il entre sur la pointe
des pieds pour ne pas réveiller Saskia et parlemente long-
temps avec l'artiste avant de passer sa commande : son
choix est fait, ce sera une grande histoire du visible.

Présentation de l’auteur

Etienne Faure

Etienne Faure, né en 1960, vit et travaille à Paris. Dernières publications : Vol en V, Gallimard, 2022 ; Et puis prendre l’air, poèmes en prose, Gallimard, 2020 ; Tête en bas, poèmes, Gallimard, 2018, prix Max Jacob 2019 ; Ciné-plage, Champ Vallon, 2015.
La revue Phoenix lui a consacré un dossier d’invité (numéro 27) ainsi que Contre-allées (n°43). Rédaction de notes critiques dans le Cahier Critique de Poésie, Poezibao, Europe, la Revue des revues, Phoenix. Il est traduit en grec, serbe et hongrois.

Bibliographie

Légèrement frôlée, Champ Vallon, 2007
Vues prenables, Champ Vallon, 2009
Horizon du sol, Champ Vallon 2011
La vie bon train, Champ Vallon 2013
Ciné-plage, Champ Vallon 2015
Tête en bas, Gallimard 2018
– Et puis prendre l'air, poèmes en prose, Gallimard, 2020.
– Vol en V, Gallimard, 2022.

en revues

La NRF : n° 462-463, 488, 512, 551, 577, 582
Conférence : n° 8, 16, 22, 27, 34
Théodore Balmoral : n° 31, 34, 35, 39-40,44, 48, 52-53, 61,62/63, 68
Le Mâche Laurier : n° 12, 15, 22, 24
Pleine Marge : n° 15, 28
Rehauts : n° 4, 7, 12, 15, 18, 23, 27, 31, 35
Europe : n° 955-956, 1015-1016
Contre-Allées : n° 29-30
* (Astérisque) : n°1 et 3
Les Carnets d’Eucharis (papier et électronique)
Phoenix : n°21, 27
TO AENTPO : n° 201-202 (parution en grec de textes extraits de Légèrement frôlée)

Nombreux entretiens et publications de notes critiques dans Poezibao, Europe, Phoenix, La revue des revues, le Cahier Critique de Poésie. Il est traduit en grec, serbe et hongrois.

en revues électroniques
Sur Zone n°19, Poezibao ; Secousse n° 18, remue.net, Sitaudis, Les Carnets d’Eucharis.

Sur Etienne Faure :
Poète invité du numéro 27 de la revue Phoenix (décembre 2017) : dossier coordonné par François Bordes et Myrto Gondicas, contributions critiques de Jean-Claude Pinson, Stéphane Bouquet, Gilles Ortlieb, Jean-Pierre Chevais, François Bordes, Myrto Gondicas.

Plusieurs entretiens avec Tristan Hordé publiés dans Poezibao, Littérature de partout, Les carnets d’Eucharis, remue-net.

Quelques contributions :
- Contribution au colloque de Cerisy « Jude Stéfan : le festoyant français » septembre 2012 : L’enfance dans les textes de Jude Stéfan : la grande absente ?
- Publication de notes critiques dans le Cahier Critique de Poésie, Poezibao, Europe et La revue des revues.

Autres lectures

Etienne Faure, Et puis prendre l’air

Le livre d’Étienne Faure, Et puis prendre l’air, porte en première de couverture l’indication générique : « poèmes en prose ». Voilà qui surprend : non pas tant qu’on puisse annexer de la prose à la poésie, [...]

Étienne Faure, Vol en V : AILES POUR E

Le livre est posé sur l’herbe du jardin. Vol en V sous les chants d’oiseaux. Il faut bien qu’il se patine… Ah, pas encore de taches de café ; ni annotations, au crayon mots [...]

Présentation de l’auteur

Anna Ayanoglou

Anna Ayanoglou est une poétesse française née en 1985. Après des études de littérature russe et de linguistique, elle part vivre en Lituanie, puis en Estonie. Son premier recueil de poèmes, Le fil des traversées (Gallimard, 2019, prix Apollinaire Découverte et prix Révélation de Poésie de la SGDL en 2020) se fait l’écho de ce long séjour balte.

Gardant une distance prudente avec son Paris natal, Anna Ayanoglou réside désormais à Bruxelles, où elle construit son œuvre poétique et conçoit l’émission « Et la poésie, alors ? » sur les ondes de Radio Panik. Le désir qui sous-tend cette émission mensuelle consacrée à la poésie du monde : donner à entendre des poèmes lus en langue originale en plus de la traduction française. Dans « Et la poésie, alors ? », poèmes et moments musicaux alternent, dialoguent durant trente minutes. (Podcast disponible en suivant ce lien : https://www.radiopanik.org/emissions/et-la-poesie-alors-/episodes/)

Bibliographie

Le fil des traversées, Gallimard, Collection blanche, 2019.

Sensations du combat, Gallimard, Collection Blanche, 2022.

En parallèle de l’écriture de ses recueils, Anna Ayanoglou publie des poèmes dans des revues littéraires. On peut la lire notamment dans La NRF, Europe, Po&sie, Poésie/première, Décharge

Poèmes choisis

Autres lectures

Présentation de l’auteur

Daniel Kay

Daniel Kay est un poète français né à Morlaix en 1959. 

Après des études secondaires à Morlaix, Daniel Kay est  agrégé de lettres modernes, discipline qu'il enseigne.

Il a publié des poèmes dans des revues et publie plusieurs recueils. Il écrit également sur la peinture et peint lui-même.

Poèmes choisis

Autres lectures

Daniel Kay, Vies silencieuses

Les « vies silencieuses »du breton Daniel Kay sont celles que donnent à voir les plus grandes œuvres picturales. Vies silencieuses des hommes, des bêtes, des plantes, des fleurs… tous visités par le pinceau du [...]




Sylvestre, Un regard infini — Tombeau de Georges-Emmanuel Clancier

Sylvestre Clancier aime répéter qu’il a choisi la forme courte, celle du poème, pour mieux concentrer une émotion et la faire passer. La forme courte ? Devant cette modestie, on pourrait sourire : il suffit de soupeser ses œuvres complètes : 552 pages pour le seul Tome 2 ! Et le Tome 3 va prochainement paraître (Éditions La Rumeur libre).

Depuis longtemps — inutile de préciser les dizaines d’années —, les fragments ciselés, les plaquettes et les éditions de bibliophilie forment, bout à bout, une œuvre considérable. En taille et en densité. Quant à Un regard infini - Tombeau de Georges-Emmanuel Clancier, Sylvestre nous invite — oui, ce touchant recueil, l’auteur ne le signe que de son prénom — à une relecture des écrits antérieurs. Le phrasé est simple, limpide, loin de l’hermétisme ou des fabriques alambiquées. Prose mise en versets ou versets prosaïques, chaque mot touche au but avec une authenticité absolue et chaque mot s’attelle au suivant pour ouvrir des possibles ou des sensations nouvelles.

Sylvestre se livre nu et, contrairement à l’image qu’on pourrait se faire d’un enfant écrasé par la statue (stature) de son père, il marche à son côté. Ils sont deux poètes mûrs, forts, puissants. Dans le paysage poétique actuel, ce recueil est une véritable leçon de savoir dire, savoir partager, savoir émouvoir. Forcément, pourrait-on penser, puisqu’il s’agit d’un « Tombeau » c’est-à-dire un hommage à un mort. Mais un Tombeau, n’est pas qu’un simple hommage à un mort, fût-il un père. C’est une pièce musicale comme le Tombeau de Monsieur de Sainte Colombe ou, plus tard, celui de Couperin. Musique profonde, poésie profonde pour qui fut bien plus qu’un père. Georges-Emmanuel fut, pour Sylvestre, un ami, un confident, un égal avec lequel il pouvait échanger, enfant puis adulte.

Sylvestre, Un regard infini - Tombeau de Georges-Emmanuel Clancier, La Rumeur libre - 96 pages - 16 € - ISBN-13 : 978-2355772153.

À peine esquissée
l’écriture bleue avance
microscopique et infinie
au fil des pages peu raturées
mystérieuse, impénétrable
et jamais mesurable
pour l’enfant qui observe son père

L’écriture du père, on le voit, est un monde. Conséquemment et indépendamment, celle du fils, aussi. Un regard infini - Tombeau de Georges-Emmanuel Clancier se pose comme le recueil idéal pour découvrir l’œuvre de Sylvestre Clancier ou la redécouvrir. Et peut-être aussi revenir à celle de son père. La boucle est bouclée. En fin de recueil, un post-scriptum de Sylvestre et une postface de Nicolas Grimaldi donnent les clés pour ouvrir quelques portes inconnues.

Présentation de l’auteur

Sylvestre Clancier

Sylvestre Clancier, poète, essayiste et critique littéraire est né à Limoges le 19 juin 1946.

Sa formation philosophique l'a amené à entreprendre des recherches sur l'allégorie et le symbolisme, ainsi que sur la patascience et l'imaginaire.
Il est notamment l'auteur d'un Freud, concepts fondamentaux de la théorie et de la psychanalyse freudiennes, (Editions Erès - 1998 ), d'un ouvrage de politique fiction, une fable philosophique, Le Testament de Mao ( Editions J.P.Delville - 1976 ), d’un essai sur la poésie, La voie des poètes, (Editions J-P. Huguet, 2002), ainsi que d'un essai socio-historique La Vie quotidienne en Limousin au XIXème siècle (en collaboration avec Georges-Emmanuel Clancier, Editions Hachette - 1976).
Il a surtout publié des poèmes et des fantaisies en prose.

Sylvestre Clancier a été attaché culturel à l’Office de la Langue Française au Québec (Canada) où il a également enseigné la philosophie. Il a ensuite enseigné la littérature et la civilisation françaises dans les universités de Paris 13 et de Paris 1.
Il a mené parallèlement une activité d’éditeur commencée chez Robert Laffont en 1968, puis poursuivie aux éditions Rombaldi, Belfond, Universitaires, Delarge, Stock, Grand Livre du Mois/Club Français du Livre, Casterman. Il a été co-fondateur et Directeur Général des Editions Clancier-Guénaud pendant douze ans(jusqu’en 1989) et également co-fondateur et membre du Conseil d'Administration des Editions Erès pendant vingt cinq ans, de 1981 à 2006.
Il intervient de manière bénévole dans de nombreuses associations d’écrivains où d’amis d’écrivains dont il est membre actif ou bien d’institutions littéraires dans lesquelles il a été élu.
Ainsi est-il membre fondateur et président de l'Association des Amis de Gaston Miron., membre des associations d’amis de Roger Caillois, de Robert Desnos, de Gaston Bachelard, de Jean Lescure, de Robert Margerit ou de Louis Guillaume, ou encore membre de la Maison des Ecrivains et de la Maison de Poésie.
Membre du bureau de l’ Association Internationale de la Critique Littéraire (AICL accréditée auprès de l’UNESCO), il est sociétaire et administrateur élu de la Société des Gens de Lettres de France. Après y avoir assuré les fonctions de Rapporteur général et de Président de la Commission des Affaires financières et des legs, il y préside les Commissions de la poésie, des affaires européennes et de la francophonie.

Membre élu de l’Académie Mallarmé, il en assure le secrétariat général.
Il est Président en exercice du P.E.N. Club Français et co-président de La Nouvelle Pléiade qui décerne, chaque année, en partenariat avec l’Organisation Internationale de La Francophonie (O.I.F.), le Grand Prix de Poésie de langue française Léopold Sédar-Senghor.
Il est également membre de plusieurs autres jurys, notamment ceux du Grand Prix de la Critique littéraire et du Prix Louis Guillaume du poème en prose et celui des Prix Roger Caillois décernés chaque année dans le cadre d’un partenariat entre l’Académie Française, le PEN Club français et la Maison de l’ Amérique Latine.

m-e-l

Bibliographie 

Publications
– Saisons et rivages, (en collaboration avec Julia Reix) aux Editions de la Tour de Feu - 1967.
– Profil du songe, aux Editions Encres Vives - 1971.
– Textructions, aux Editions de la Revue Métamorphoses - 1973.
– L'herbier en feu aux Editions Proverbe - 1994 (avec un tirage de tête sur Arche: 70 ex.numérotés enrichis d'une gravure originale d'Anne Ar Moal signée et numérotée).
– Enfrance (Poèmes & Prose) aux Editions Proverbe - 1994.
– Le présent composé, coédition Ecrits des Forges (Québec) et Proverbe - 1996 (comportant 60 ex. de tête signés et numérotés enrichis d'une gravure originale d'Anne Ar Moal).
– L'animal animé, Bestiaire symbolique, aux éditions Proverbe, 1999 (comportant 30 ex. numérotés et signés enrichis d'oeuvres peintes originales - technique mixte- de Sarah Wiame).
– Pierres de mémoire, Coédition Ecrits des Forges et Proverbe, 2000
– Poèmes de la baie, Les Cahiers bleus, 2001
– L’Âme alchimiste, éditions Proverbe, 2002
– Poèmes de l’avant / Poèmes de l’après, La Porte, 2003
– Une couleur dans la nuit, éditions PHI / Ecrits des Forges, 2004
– Ecritures premières, éditions L’Improviste, 2004
– La lingua improbabile della memoria, La Porte, 2005.
– L’éternel éphémère des visages et des corps, avec des reproductions en couleur d’œuvres originales du peintre Dan Barichasse, Prodromus, 2005.
– Un jardin où la nuit respire, éditions PHI / Ecrits des Forges, 2008.
Généalogie du paysage / Quatrains limousins, L’Harmattan, 2008.
– Le Livre d’Isis, Al Manar, 2009.

Livres d’artistes
– Végétal et sournois , avec des dessins de Sarah Wiame, aux Ed. Céphéides - 1996
– Zeppo, enrichi d'oeuvres peintes originales de Sarah Wiame, aux Editions Céphéides - 1997.
– Télégrammes du ciel, enrichi de techniques mixtes originales de Sarah Wiame, aux Editions Céphéides 1997.
– Guetteurs d'Eternité, Le Grand Livre Namiki, Paris et Tokyo 1998.
Ici comme la flèche après l'œuvre du temps, livre d'artiste au tirage limité à dix exemplaires avec des peintures originales de Georges Badin, 1998, présenté à la galerie Berthet-Aittouarès.
– "Couplet de la rue de Bagnolet", livre poème en hommage à Robert Desnos avec des collages de Sarah Wiame, aux éditions Céphéides, 1999 ( exposé à la Librairie Nicaise) .
– Le Dit du marin, poèmes autour de photos d'Anne Ar Moal, printemps des poètes 2000.
– Si loin dans l'océan, livre d'artiste au tirage limité à sept ex., avec des peintures originales de Claude Bellegarde, éditions La Chouette diurne, Paris, 2000.
– La Toison d'elles, livre d'artiste au tirage limité à douze ex., avec des peintures originales d'Augusta de Schucani, 2001, présenté à la galerie Berthet-Aittouarès.
– Requiem pour un oiseau, livre d'artiste au tirage limité à sept ex., avec des peintures originales d'Augusta de Schucani, 2003.
– Ombres et lumières, livre d'artiste au tirage limité à sept ex., avec des peintures originales d'Augusta de Schucani, 2004.
– Comme un jardin secret, livre de bibliophilie imprimé sur vélin d’Arche à tirage limité à trente ex., avec des lithographies originales de Auck, Paris, 2005.
– Reviens au jardin de l’enfance, livre d'artiste au tirage limité à quatre ex., avec des peintures originales d'Augusta de Schucani, 2006.
– Anima mia, livre d'artiste au tirage limité à sept ex., avec des peintures originales d'Augusta de Schucani, 2006.
– Le Livre d’Isis, livre d'artiste au tirage limité à quatre ex., avec des peintures originales d'Augusta de Schucani, 2007.
– La Vierge et la Licorne, livre d'artiste au tirage limité à sept ex., avec des peintures originales d'Augusta de Schucani, 2008.
– Il marche, livre d'artiste au tirage limité à dix-huit ex., dont trois Hors Commerce, avec des peintures originales d'Augusta de Schucani, 2008.
– Rendus à l’infini de ta langue, « livre pauvre », Collection Don du poème conçue par Daniel Leuwers, tirage limité à six ex., avec un lavis original au pochoir d'Augusta de Schucani, 2008.

Présent et présenté dans les anthologies suivantes
– La ville des poètes, Fleurs d’Encre / Le Livre de Poche, Hachette Jeunesse, 1997
– La révolte des poètes, Fleurs d’Encre / Le Livre de Poche, Hachette Jeunesse, 1998
– Jouer avec les poètes, Fleurs d’Encre / Le Livre de Poche, Hachette Jeunesse, 1999
– La poésie française contemporaine de Jean Orizet, Le Cherche Midi, 2004
– Anthologie de la poésie française de Jean Orizet, Editions Larousse, 2007
– Poésies de langue française 144 poètes d’aujourd’hui autour du monde, Editions Seghers, 2008
– La poésie est dans la rue, 101 poèmes protestataires pour aujourd’hui, Le Temps des Cerises, 2008

Il a présenté la poésie québécoise contemporaine dans Cette langue qu’on appelle le français, Internationale de l’imaginaire, N° 21, L’apport des écrivains francophones à la langue française, BABEL, 2006

Poèmes choisis

Autres lectures




La Revue des revues

La Revue des revues constitue avec le site Ent’revues un fond d’archives, un lieu où la mémoire de ce foisonnement offert par les publications périodiques est préservée. C'est également une revue des revues où l'actualité des revues contemporaines est accessible, actualisée, et qui permet de constater que, quel que soit leur domaine de prédilection, la vie de ces nombreuses publications est riche et dynamique. Archives et recensements de ce qui paraît qu’il s’agisse de sorties ou de créations de revues contemporaines, ou bien de rendre compte du destin d’autres disparues pour des raisons qui sont également abordées, car ces lieux que sont les revues trouvent bien peu d’écho chez les libraires, en bibliothèque ou dans d’autres revues… la Revue des revues et Ent'revues sont des outils précieux de communication et d'élaboration d'une pensée sur ces univers éphémères que sont les revues.

La Revue des revues dessine un panorama diachronique et synchronique riche et essentiel pour que ne disparaissent pas ces fils signifiants venus représenter ce qu’est leur domaine de prédilection, en enrichir la pensée théorique, et en restituer l’évolution. Publication papier, elle a longtemps été placée sous la houlette d’Olivier Corpet que nous regrettons vivement, et a pour rédacteur en chef André Chabin, accompagné par François Bordes, Bernard Condominas, Yves Chevrefils Desbiolles, Erc Dussert, Jérôme Duwa, Claire Paulhan, Jacqueline Pluet-Despatin, Hugo Pradelle à la rédaction et Yannick Kéravec pour secrétaire de rédaction.

Des rubriques récurrentes structurent l'ensemble et permettent un accès clair au contenu : "Etudes et documents", qui met d’emblée l’accent sur le panorama dossier proposé, qu'il soit thématique ou paradigmatique, des "Chroniques", un chapitre consacré aux "Nouvelles revues", un accès à d’"Autres publications et événements", et un dernière rubrique qui propose  des entrées rapides vers l'ensemble et des éclairages sur les participants, "Résumé, auteurs".

La Revue des revues n°67, Mars 2022, 180 p., 60 illustrations n/b, ISSN : 0980-2797, ISBN : 978-2-907702-85-0, prix : 15,50 €.

Le numéro 67 du printemps 2022 partage son sommaire entre Jean Daive, Michel Deguy, Roland Barthes et les petites revues, Mwa Vée, une revue culturelle Kanak que le lecteur peut découvrir, et un focus sur les revues consacrées au cinéma, avec deux articles : "Les cahiers d’études de radio-télévision" et la revue "1985, revue d’histoire du cinéma n°95". Les Chroniques et les pages consacrées aux nouvelles revues complètent ce volume agrémenté par des documents iconographiques de qualité, et qui donnent à voir les unes des publications dont il est question, un plus très appréciable notamment pour la rubrique "Nouvelles revues", car cela permet d’en apprécier la charte graphique, les lignes éditoriales, et la diversité.

Le numéro 64 de cette revue trimestrielle suit le même modus operandi bien qu’elle soit très différente, car ce volume est élaboré autour de la thématique « Femme en revues ». La rubrique "Études et documents" propose une série d’articles écrits par des femmes sur des femmes revuistes. Le dernier article nous offre un "Portrait de groupe avec femmes" impressionnant qui permet d’évaluer l’importance de la contribution féminine à la vie des revues, de leur création à leur cheminement, quel que soit le domaine concerné.

La Revue des revues représente un lieu incontournable dans l’univers des revues, ces laissées pour compte qui bien souvent sont des espaces essentiels parce que dédiés à des positionnements indépendants. Elles garantissent en effet la liberté de propos, des axes de lecture sur une discipline qu’elles permettent de considérer sous des angles bien souvent inédits, et sont également l’endroit où un ferment créatif novateur trouve écho. Somme et lieu de réflexion, Ent’revues et La Revue des revues mettent en lumière le long cheminement mené par ces publications périodiques bien souvent malmenées par l’économie du livre, et pour certaines vouées à une existence de courte durée. Ainsi ne tombent-elles pas dans l’oubli. Mieux encore, grâce à ce fabuleux travail de recensement, de mise en exergue et de réflexion, on se rend compte que chacune contribue à l’élaboration d’un ensemble de publications qui témoignent des pensées et les courants d’une époque et leur offrent la possibilité de s’inventer.




Carles Diaz : L’arbre face au monde

Poète et historien de l’art, le franco-chilien Carles Diaz nous entraîne sur les pas d’un peintre allemand exilé au Chili en 1850. Nous voici plongés, par le truchement d’un journal de bord imaginaire, dans l’aventure de Carl Alexander Simon disparu dans les forêts de Patagonie deux ans après son arrivée dans le pays. Voyage initiatique, faisant alterner textes en prose et poèmes, dans lequel Carles Diaz confie – à travers son héros – ses vues sur les rapports de l’homme et de la nature, mais aussi sur la liberté à conquérir, essentielle à tout artiste pour trouver sa propre voie.

Se mettre dans la peau de quelqu’un d’autre. Imaginer ses émois, ses sensations, ses pensées. Vivre, au fond, par procuration. L’entreprise est hasardeuse mais des auteurs ne rechignent pas à recourir à cette méthode. On pense à Hubert Haddad épousant la vie d’un artiste japonais dans ses Haïkus du maître d’éventail (Zulma, 2013) Carles Diaz, lui, a jeté son dévolu sur un « petit maître » oublié des anthologies d’histoire de l’art mais qui, avant son exil au Chili, mena à la fois une vie de peintre et de militant du socialisme utopique qui a fait florès au 19e siècle. « Quand il s’exile au Chili, il obéit davantage à un romantisme exacerbé qu’à une fin utilitaire », note l’auteur.

Sur place, en effet, Carl Alexander Simon surfera sur des valeurs qui lui tiennent à cœur : le respect de la nature, la contemplation, l’empathie pour les peuples autochtones…  « Je dessine ce que ma nature profonde a toujours et inlassablement aimé par-dessus tout : les forêts froides, impénétrables, les sommets déchiquetés, surgis comme des titans dans les récits des navigateurs ». Ce sentiment de la puissance du monde naturel se double d’une attention particulière aux « choses les plus précaires, infimes, insignifiantes ». Car « c’est dans la grandeur de l’infime que le Très-Haut se manifeste. Et c’est dans ce bain de lumière sylvestre que mon regard cherche à se perdre des heures entières. J’en tombe à genoux, je me sens rajeunir dans cette volupté silencieuse, loin de ce siècle et de la turpitude des hommes avec leurs pierres précieuses, leurs sceaux de commerce, leurs brevets en blanc ».

Carles Diaz, L’arbre face au monde, vie et destin de Carl Alexander Simon, POESIS 2022, 203 pages, 18 euros.

  

On croit entendre les imprécations de son contemporain Henry-David Thoreau (1817-1862) contre la société industrielle en gestation en Amérique du nord. Même approche des tribus indigènes, même admiration de « l’incessant labeur de la nature ». 

« Qu’est-ce qui pourrait nous sauver, écrit Carl Alexander Simon dans son journal imaginaire, lorsque nous glissons dans une vie sans but, lorsque nous trébuchons dans l’amertume de la réalité, le courage usé, l’intelligence, la pensée et la poésie condamnées à la brutale indifférence d’autrui, voire à l’inconscience ?  Carles Diaz se met de plain-pied dans la peau de son héros pour parler du temps présent. Il le fait depuis la Patagonie pour parler du monde occidental et de « l’indigence de notre époque ».

Il assigne alors une mission à l’artiste : « croiser le fer avec la médiocrité, l’imposture, l’abandon et l’égoïsme ». Carles Diaz nous dit, à travers l’évocation de son « petit maître », que « face à la pauvreté spirituelle grandissante », il faut continuer à « vibrer sans jamais oublier notre condition tragique ». Le désespoir ou l’amertume ne doivent pas nous aveugler. Il faut « réclamer la jubilation de l’instant ancien et renoncer à l’impatience, à la faim insensée de l’orgueil et de la suffisance, de l’hypocrisie et de la commodité ».  Sans oublier de « porter dans son chant sa blessure intérieure ».Au bout du compte, c’est un véritable programme de vie que nous propose ici Carles Diaz : habiter poétiquement le monde, selon les aspirations mêmes de la maison d’édition qui le publie.

Présentation de l’auteur

Carles Diaz

Carles Diaz, né le 23 septembre 1978 à Providencia, est un écrivain et poète franco-chilien d'expression française ; docteur en histoire de l'art, chercheur dans le domaine de la culture et de l'art européen spécifique à la seconde moitié du XIX e siècle.

Poèmes choisis

Autres lectures




Pierre Dhainaut, Le Messager des arbres

Il était inévitable que la collection « Papiers d’art », créée par les éditions L’Herbe qui tremble, accueille des poèmes de Pierre Dhainaut, qui a tant collaboré avec les artistes. Toute son œuvre est d’ailleurs consacrée aux échanges, quelle que soit la forme prise par l’interlocuteur : les dédicaces mentionnées au début de l’ouvrage s’adressent autant au peintre concerné qu’« aux fruits », « à la mer » ou « au chant » d’une flûte aimée – à « tout un monde », en somme.

De tels duos exacerbent son sens de l’écoute, justifiant pleinement le titre d’ensemble : Le Messager des arbres. Pierre Dhainaut n’écrit que pour restituer une résonance. Aussi les voix de l’arbre peint et du poète tendent-elles à se confondre : le premier est « arbre de consonnes, de voyelles », « il chante, il s’adresse au creux de l’oreille / comme au grand large, d’une voix attentive ».  Dans un geste très pur où rien ne se se fige, chaque arbre peint engendre un poème écrit dans leur langue commune : « il existe une langue, / dit le poème, dit l’arbre, où ne se prononcent / que les initiales ».

Les peintures de Ramzi Ghotbaldin, né au Kurdistan, ne sont pas sans parenté avec les œuvres des impressionnistes et, plus encore, avec celles des fauves : multicolores, transfigurés par la lumière et le tremblement des contours, ses arbres s’épanouissent en communion avec le reste du paysage, un peu comme dans un vitrail. Toute la palette des couleurs s’y déploie, du rouge au blanc en passant par le brun, le vert, le bleu, le jaune, le rose ou l’orangé… En référence à différents lieux (« Platanes du Périgord », « Le Mistral », « Souvenir normand », « Face à la vague », « Les Hauteurs », « Allée parisienne », « Les sapins du Limousin »…) et diverses saisons (« L’automne », « Lilas d’été », « Arbres de printemps »…), ces arbres envoient au spectateur des messages infiniment variés, empreints d’une émotion sensorielle primitive et chatoyante. 

Pierre Dhainaut et Ramzi Ghotbaldin, Le Messager des arbres, L’Herbe qui tremble, coll. Papiers d’art, 2022, 80 pages, 20 €.

La première peinture, par exemple, fait vibrer des lignes lumineuses, reflétées par les eaux, tandis que l’avant-dernière (qui  correspond au poème ultime) laisse rebondir des taches rondes de couleur, un pointillé d’efflorescences. 

Cette instantanéité des perceptions sensibles se traduit dans le poème, fidèle « Messager des arbres ». Les trois premiers mots du livre s’enchaînent entre virgules et leurs places sont étrangement interchangeables : « La route, le fleuve, le temps, / le fleuve, le temps, la route, / le temps, la route, le fleuve… » Ce décor où émergent les arbres est donc parfaitement mobile. Nouvel Hermès, le poète délivre la parole des arbres sans se fixer en un lieu, seulement attentif au flux perpétuel : « tout se passe ici dans le temps le long/ de la route ou du fleuve auprès des arbres. » À l’autre extrémité du livre, le poème nous projette dans l’au-delà de l’espace et du temps, au royaume de l’éphémère : « Outre-terre, outre–mer, l’arbre irradie » ; « vulnérable, l’éternité durera / moins longtemps que le vol d’oiseaux / de bon présage, les migrateurs. »

Le message de l’arbre est avant tout sonore. En témoignent le titre de la deuxième partie (« Un arbre dans l’oreille ») et les textes qui suivent : « il module une note à l’infini, de la plus / grave à la plus clairvoyante ». Mais le son est présent dès le début du livre, sacralisé à la manière d’un mantra, d’autant que le poète se souvient du symbolisme traditionnel de l’arbre, désigné comme « centre du monde » : « les noms ne s’oublient pas, leurs noms / sacrés à tous les âges, et toi qui les récites / comme en prière, hêtres, érables, frênes ». Plus encore que ces noms, c’est la « sonorité commune » à tous les arbres qui suscite l’extase du poète, une fois prolongée et transmise : « à l’arrêt, dans la marche, la joie / aussi extrême à redire « arbres », / à ranimer l’air, à le partager. » Ces messages ne s’adressent évidemment pas à l’intellect mais au cœur de chacun : « tout demeure / à comprendre, c’est-à-dire à aimer ».  Non pas le cœur émotionnel, mais le plus profond de l’être, celui qui connaît « le rituel de la rencontre, de la dépossession ». Entendre vraiment, c’est se déprendre de soi-même dans cette profondeur silencieuse qui déborde chacun.

Dans le même esprit, l’épiphanie visuelle des arbres est indissociable de l’immensité transparente de l’espace, pourvu que l’œil se libère de ses a priori : « tu ne les vois / que dans l’espace heureux qu’ils rendent / visible ». Ce bonheur d’une « aura perpétuelle » n’exclut nullement les « ombres » : « bienvenues, les rebelles ». L’ouverture inconditionnelle est la condition d’une réception authentique de ces conversations : « Il faut tout demander aux arbres, / pudiques, prodigues, ils font mieux que répondre, // se concentrent, se dilatent, s’élèvent ». Recevoir leur parole, c’est se laisser toucher par « leurs souffles » généreux, par cette « haleine / qui nourrit le feu, elle est plus que le feu / brûlante, elle rayonne et tout rayonne, / rien ne pourra l’éteindre ». Le surgissement des arbres est don de soi gratuit (« ce n’est jamais à eux qu’ils pensent »), participation au rayonnement universel : « le jour se révèle en son cycle, la lumière / s’incarne, la chair s’illumine, // la nuit, la nuit sensible »…

Dès lors, leur contemplation entraîne une adhésion totale au monde, comme un embrassement : « être en accord, désirer ce qui / manque, qui est présent ». Les respecter (« Tu ne blesseras aucun arbre »), c’est retrouver le sens d’un contact accueillant et subtil : « touche-les d’une main aussi légère / que des mots » ; « nos doigts au moins, touchant l’écorce, perçoivent / ce qui, dessous, palpite, se précipite ». Les arbres invitent le poète à se fondre dans la croissance circulaire des éléments : « tu ne sais pas / ce  que  signifient commencer, finir, / ne pas finir ». Ce sont « nos hôtes » et nos maîtres, ils nous apprennent même à traverser la souffrance ; grâce à eux, les « blessures » deviennent « vives, vivantes » : « ils multiplient les verbes / en résistant à la torture, / quitte à se rompre, ils se réorientent ». Ils sont si « disponibles » que leur cortège incarne « le rythme » et « le lien » entre les êtres, entre les mots. Leur liberté les arrache aux redites, aux parcours préconçus : « eux n’ont nul besoin de traces,/ le pays, ils l’inventent ».

Cette vivacité empreinte d’équilibre - « l’art de l’éclat et de l’ensemble » - est rendue manifeste dans la première section (dont le titre est celui du livre entier) par la composition des textes. Ce sont tous des neuvains (comme dans la deuxième partie) mais la longueur des strophes varie (entre un et cinq vers). Il en résulte une impression de profusion limpide : « Partout, n’importe où, s’il y a des arbres, / deux seulement, nous entrons en forêt, / la dense, l’ardente, la transparente ». L’énumération (la virgule fluidifie le vers) et la répétition légèrement modifiée, comme celle des arbres qui se succèdent, « variante après variante », sont deux modalités remarquables de cet art poétique : « les murs s’embrasent, la beauté, l’insoumise, / se forme, se répand, se reforme » ; « le soleil levant, le soleil du soir » ; « l’arbre des arbres, l’inoubliable » ; « un temps tout le temps d’arbre »…

Et si, à notre tour, nous nous inspirions de ce rythme précaire, infini ? Et si nous devenions Le Messager des arbres ? « racines, humus, nuages, la sève / est l’un des noms de la vie qui ne cesse /de se refaire, la mort ne rivalise pas ».

Présentation de l’auteur

Pierre Dhainaut

Pierre Dhainaut est né à Lille en 1935. Avec Jacqueline, rencontrée en 1956, il vit à Dunkerque (où s’effectuera toute sa carrière de professeur).

Après avoir été influencé par le surréalisme (il rendit visite à André Breton en 1959), il publie son premier livre, Le Poème commencé (Mercure de France), en 1969.

Rencontres déterminantes parmi ses aînés : Jean Malrieu dont il éditera et préfacera l’œuvre, Bernard Noël, Octavio Paz, Jean-Claude Renard et Yves Bonnefoy auxquels il consacrera plusieurs études.

Déterminante également, la fréquentation de certains lieux : après les plages de la mer du Nord, le massif de la Chartreuse et l’Aubrac.

Une anthologie retrace les différentes étapes de son évolution jusqu’au début des années quatre-vingt dix : Dans la lumière inachevée (Mercure de France, 1996).

Ont paru ensuite, entre autres : Introduction au large (Arfuyen, 2001), Entrées en échanges (Arfuyen, 2005), Pluriel d’alliance (L’Arrière-Pays, 2005), Levées d’empreintes (Arfuyen, 2008), Sur le vif prodigue (Éditions des vanneaux, 2008), Plus loin dans l’inachevé (Arfuyen, 2010, Prix de littérature francophone Jean Arp) et Vocation de l’esquisse (La Dame d’Onze Heures, 2011). Ces recueils pour la plupart sont dédiés aux petits-enfants. Plus récemment encore : une "autobiographique critique", La parole qui vient en nos paroles (éditions L'Herbe qui tremble, 2013) et Rudiments de lumière (Arfuyen, 2013).

Il ne sépare jamais de l’écriture des poèmes l’activité critique sous la forme d’articles ou de notes : Au-dehors, le secret (Voix d’encre, 2005) et Dans la main du poème (Écrits du Nord, 2007).

Nombreuses collaborations avec des graveurs ou des peintres pour des livres d’artiste ou des manuscrits illustrés, notamment Marie Alloy, Jacques Clauzel, Gregory Masurovsky, Yves Picquet, Isabelle Raviolo, Nicolas Rozier, Jean-Pierre Thomas, Youl…

À consulter : la monographie de Sabine Dewulf (Présence de la poésie, Éditions des vanneaux, 2008) et le numéro 45 de la revue Nu(e) préparé par Judith Chavanne en 2010.

© Crédits photos Maison de la Poésie Jean Joubert.

Poèmes choisis

Autres lectures

Rudiments de lumière, de Pierre Dhainaut

Plus je lis Pierre Dhainaut, plus je pense qu'il est à l'exact opposé du Baudelaire de Spleen. Quand ce dernier laisse l'angoisse atroce, despotique planter son drapeau noir sur [son] crâne incliné, Pierre [...]

Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie

Publié chez un nouvel éditeur (créé en 2013, Faï fioc -expression occitane- est le nom d'un quartier de Marvejols  en Lozère, où l'animateur de cette maison d'éditons organise chaque année des résidences d'écriture [...]

A propos de Pierre Dhainaut

En remontant dans les archives de Traversées j’ai retrouvé un numéro de la revue consacré au poète Pierre DHAINAUT (n°49 / Hiver 2007-2008). [Au passage, l’on se dit que l’Éditorial  signé alors de [...]

Pierre Dhainaut, Un art des passages

« C’est pour respirer moins mal que, très jeune, j’ai eu recours au poème. Ce « recours au poème », Pierre Dhainaut l’explicite dans un livre rassemblant à la fois des poèmes inédits et des textes [...]

Pierre Dhainaut, État présent du peut-être

Il faut saluer la naissance de la nouvelle maison d’édition de Mathieu Hilfiger, Le Ballet Royal, inaugurée par le très beau livre de Pierre Dhainaut : État présent du peut-être. Déjà l’objet-livre, au design [...]

Ainsi parlait…

Un Hugo caravagesque   Pour parler du grand auteur romantique français qu’est Victor Hugo, il faut trouver des mots amples et englobants. Une fois acquise cette idée, il ne faut pas oublier de [...]

Pierre Dhainaut, Et même le versant nord

J’ai rencontré l’œuvre de Pierre Dhainaut dans la revue Voix d’encre. C’était en 2005 et le texte s’intitulait « Toujours à l’avant du jour », une suite de notes dans lesquelles il définissait la poésie [...]

Pierre Dhainaut, APRÈS

On ne sait pas. On écoute. On entend. Seul. Une chambre. Des murs, on croit en les fixant sortir de soi, bloquer/ce qui remue sous les paupières. Un brancard. Un cortège de couloirs. [...]




Didier Jourdren, Le chemin dans l’herbe

J’envie Didier Jourdren d’avoir écrit ce texte, que je pourrais résumer par la formule : Saisir sans saisir, en demeurant dans le saisissement… J’éprouve à son égard une certaine admiration, presque teintée de jalousie : j’ai dans mes tiroirs un manuscrit titré « Au monde », traitant de la même question, dont un extrait a été publié par la revue Triages.

Dans « Le chemin dans l’herbe », Jourdren décrit ces moments où, dans l’ordinaire de notre vie, une brèche s’ouvre un instant :

Je dois préciser que l’inconnu dont je parle ne tient en rien à l’étrange ou à l’inédit, mais surgit au contraire dans le monde familier, dépourvu souvent de tout charme particulier, écrit-il.

C’est en cheminant qu’il se sent interpellé par un chant d’oiseau, une rangée d’étourneaux posés sur un fil, un menhir, un bouquet de pins, une jonchée de foins coupés… Il se refuse à parler d’extase (même sans dieu), et pourtant :

J’ai dit cette impression d’avoir soudain trouvé le terme, l’extrémité, le fin fond de tout : j’étais arrivé, sans l’avoir prévu, bien que ce fut une halte brève. Je répondais à une attente inattendue, si l’on peut dire, venue d’infiniment loin, arrivant sans y penser où je devais me rendre, où chacun doit se rendre. Devant ce bout de tout, le temps ne pesait plus, s’était distendu, ou dissipé. 

Cette rencontre nous défait de tout en nous donnant tout. Alors,

Je sens que j’y suis, dit-il.

Au monde qui, tout en restant étranger, devient familier. On baigne dans un sentiment d’appartenance ; de grande paix, de délivrance. L’errance est terminée, et avec elle le sentiment d’une détresse apprise dès le plus jeune âge. 

Didier Jourdren, Le chemin dans l’herbe, éditions Petra, coll. Pierres écrites/Granit, 2018. 150 p., 15 €.

À sa place un abandon de soi qui pourrait être la préfiguration d’une mort qui serait joyeuse (certains qui en sont revenus en témoignent) ? 

J’imagine ce sentiment proche de ce que vivent ces gens qui ignorent le logos, qu’on appelle « primitifs ». Comme si on retrouvait là le mode de rapport au monde qui existait au temps où les arbres et les animaux parlaient, au moins dans les rêves. Chez les poètes, peut-être, se conserve la trace de ce monde d’avant la grande rationalisation ; comme signe d’une persistance, d’une résistance qui fut celle des sorciers et des sorcières (des femmes aujourd’hui ?).

Puisque la source de la poésie est bien là :

Lorsque, détaché de tout, et d’abord d’une part de soi, dépaysé, on se trouve soudain dans l’imminence des choses, l’esprit défait, dénué de toute parole.

Donc, plutôt dépossédé que possédé par une fulgurance qu’ont décrit les mystiques, et certains poètes (en ce sens je devrais plutôt parler d’instase que d’extase). Il reste ensuite à écrire ces moments, d’abord pour tenter d’approcher ce que l’on a saisi au moment du dessaisissement, en creusant la sensation passée autant qu’il est possible (et dans cet exercice Jourdren excelle) : 

Pour ne pas rester les mains nues, dit-il.

Sans pour autant recouvrir l’expérience d’une explication qui permettrait de réduire l’étrangeté qui nous a dérangé, « dépaysé », angoissé peut-être bien, et de retrouver ainsi nos marques ordinaires.

L’écriture de Jourdren, au contraire, cherche à retrouver le chemin du dessaisissement dans une écoute de la langue, une ouverture à ce qui advient. Les mots viennent comme sont venus le bouquet d’arbres, le chant d’oiseau, Jourdren les accueille avec un même étonnement… reste ensuite à en faire un écrit. Alors, alors seulement, commence le travail de la langue...

 

Dernière minute : Didier Jourdren vient de publier, toujours chez Pétra : Petite route du dépaysement, qui prolonge Le Chemin dans l’herbe.

 

Présentation de l’auteur

Didier Jourdren

Didier Jourdren est un poète français né en 1955. Il est également professeur de français au Collège Georges Brassens au Rheu près de Rennes.

Bibliographie :

 Notes d'hiver, L'invitation silencieuse, L'espace limpide, Passage de l'ombre, Le chemin dans l'herbe, Cette porte qui bat, Petite route du dépaysement.

Poèmes choisis

Autres lectures

Chronique du veilleur (35) : Didier Jourdren

Nous retrouvons avec grand plaisir la voix de Didier Jourdren qui nous invite à le suivre dans Le Chemin dans l’herbe, son sixième livre. Au hasard des marches dans la nature, au fil des [...]

Didier Jourdren, Le chemin dans l’herbe

J’envie Didier Jourdren d’avoir écrit ce texte, que je pourrais résumer par la formule : Saisir sans saisir, en demeurant dans le saisissement… J’éprouve à son égard une certaine admiration, presque teintée de jalousie : [...]




Isabelle Lévesque, Je souffle, et rien,

Je souffle, et rien est un livre de deuil, quelque chose entre une « lettre au père » et un livre-tombeau qui pourrait s’inscrire dans la lignée des textes explorés par Marik Froidefond et  Delphine Rumeau à travers leur volume consacré aux Tombeaux poétiques et artistiques (2020). Il pose des questions essentielles sur le rapport de la poésie à la mémoire et au deuil.

Fait singulier, ce livre ne dévoile que peu à peu l’identité du mort. Celui-ci est d’abord un centre vide, autour duquel gravite l’écriture et où le lecteur peut projeter ses propres figures de disparus. Le lien entre la poète et le lecteur s’en trouve intensifié. Mais peu à peu nous devinons l’identité du mort par de plus en plus d’indices disséminés : le mort se révèle être le père, comme le suggèrent par exemple la primauté de l’enfance dans le livre et le lien entre le prénom du père dans la dédicace (« à Claude et Françoise Lévesque ») et le mot « claudique » qui traverse le livre, à déchiffrer toujours jusque dans le tremblé de l’infinitésimal et du non -dit.

Cette mort atteint de plein fouet l’enfance : « Fini les fées, / fini le bois du conte à Noyers. » (p.44). Les jeux de l’enfance, la montée dans les arbres (« Tu disais ‘arbre’, j’entendais / réduite la syllabe du jour. / Nous grimpions Le souffle manquait. », p. 53) et la « marelle (« Parce que géant sur la marelle / toi si haut, moi plus bas », p.113), sont révolus. Si désormais « l’enfance est une arme douloureuse » (p.74), le paysage de cette enfance aux « Andelys » (p. 74), auquel le livre ne cesse de revenir comme à un aimant, porte les marques d’un drame intime.

Isabelle Lévesque, Je souffle, et rien, L’herbe qui tremble, 2022, 18 euros.

L’unité de lieu, comme dans la tragédie, resserre encore ce drame. Indissociable du livre est la « falaise » de l’enfance, qui est prise dans un mouvement de chute (« La falaise a craqué, craie vive d’un feu sans flamme », p.82, « La falaise, (…) / s’effondre », p.107) que l’être lui-même épouse : « La falaise tombait, / je la suivais » (p.67). Autre lieu crucial du paysage de l’enfance, la Seine, paisible seulement en « apparence » (p. 23), entraîne elle aussi la chute mentale de l’être : « Je tombe, je frissonne, j’ai vu la Seine / au plus fort de février, j’ai chu » (p. 81). Tout se passe comme si le deuil avait décomposé le paysage : « La Seine / Les Andelys / n’existent plus, / couverts/ par la mer de notre silence » (p.124). Au-delà du paysage, c’est l’espace-temps de l’origine qui est bouleversé : « Des morceaux de temps / détachés (en fractions) / s’écartent de l’origine » (p. 47). La perte a ici une dimension cosmique. A l’heure du deuil, il est éternellement « minuit », noir : « Toujours minuit, toujours, maintenant parcouru/ d’étoiles disparues » (p. 26).

Le livre, qui est tout entier une adresse à l’autre manquant, pourrait se placer sous le signe de la définition du lyrisme par Martine Broda : le lyrisme est « une adresse à l’Autre donné comme essentiellement manquant » (L’amour du nom). Le « manque » est d’ailleurs le centre générateur du livre : « Matin, réveil. Pas pareil, / tu es cru, crûment/ -manquant » (p.80). Le couplage des mots « Pas pareil », qui donne à entendre le signifiant « papa », contribue à aider le lecteur à identifier le mort au père. Tout au long du livre, le tutoiement scande l’adresse au mort, qui est prise dans un mouvement de rapprochements rêvés (« A Noël où je suis née, / presse-moi contre ton cœur », p. 94) et d’éloignements répétés : « Tu t’éloignes » (p.21) … « Blessé, tu t’éloignes » (p.42) … « Tu t’éloignes / et je cours » (p.67). Parfois l’éloignement est vertical et s’identifie à un « enfoncement », d’autant plus intense qu’il est souligné par le couplage du maitre mot « enfance » et du mot « enfonces » : « Là au pied de l’arbre, sous les feuilles d’or / tu t’enfonces » (p.32). Le père lui-même redevient parfois l’enfant qu’il a été : « Tu es l’enfant blessé, / genoux écorchés, tu es l’abandonné » (p.29). Dans l’adresse au père, le chiffre 9 est une clé indissociable du mouvement d’éloignement. Désignerait-il le jour de la mort : « Tu t’éloignes. Oublier le chiffre 9 » (p.21) ? Peu à peu s’esquisse avec délicatesse, en filigrane, un portrait du père : « ta voix grave » (p.30), « ta barbe inchangée « (p.81), « ta barbe de sel » (p.102) . Mais sans cesse le portrait se dérobe : « c’est toi, forme-fumée » (p.24). Cela n’empêche pas la poète de toujours « courir » derrière le père et d’inventer des « rendez-vous » secrets près des « falaises » de l’enfance : « Alors je cours, cent fois je cours. // Je cours, / j’invente un rendez-vous. // Falaise ! » (p.47). Mais le « rendez-vous » n’a jamais lieu : « Je me penche. A 18 heures/ le soleil s’est couché (je pleurais). / Tu n’es pas venu » (p.67). Tout le livre est tendu vers le pronom « nous », incarnation verbale de la fusion impossible : « nous s’est dispersé à l’instant » (p. 80). Cependant le « je » ne renonce pas à son désir de créer des rituels de signes (« ton anagramme trace ici / une suite de signes au nom d’étoile », p. 32) parfois à vocation résurrectionnelle : « Je cours vers toi sur les eaux / pour te faire renaître » (p. 54).  Une discrète présence du mythe d’Orphée et d’Eurydice, mise en relief aussi dans la très belle postface de Jean Marc Sourdillon, approfondit encore le livre, comme le suggèrent le titre de la quatrième partie « Ne t’éloigne pas, mon ombre fragile te suit » (p. 85) et la répétition de la formule « Ne te retourne pas » (p. 93, 94, 123, 124). On pourrait lire aussi une présence en sous-œuvre des mythes de la métamorphose (Ovide) : « Le corbeau (…) Est-ce toi perché ? » (p.97). Même si parfois le « je » joue avec l’idée d’un « leurre » de la mort (« Nous sommes arrivés (ton trépas n’est qu’un leurre ) », p. 58), cherche à l’« oublier » (« J’ai oublié que tu meurs, j’ai oublié / que ta langue de signes / ne saurait percer le jour », p. 59) ou voudrait que tout ne soit qu’un « rêve » ( « Je t’embrasse, j’ai perdu / la réalité, elle file sur les rêves », p. 58), c’est « l’éloignement » qui s’impose à la fin, sans recours ni retour, dans une esquisse du mythe de la barque funéraire antique : « Je fais des doigts une barque, / tu es le fleuve qui s’éloigne » (p. 124).

Face à l’absence irréductible du père, que peut le « je » sinon « écrire » sans répit : « Ici j’écris » (p.123) ? La poète imagine parfois, dans un semi-songe, que le père signe les poèmes : « Tu signes chaque page au lieu vivant du poème. / Je l’écris pour toi, il existe » (p.28). L’écriture se décline de plusieurs façons, tout d’abord sous la forme du verbe « souffler » qui rythme le livre : du titre répété (« Je souffle, et rien ») aux formules scandées « je souffle » (p.18, 33, 50, 68), où « je souffle » (p.68) peut être couplé avec « tu souffres » (p.67), selon un travail déjà suggéré de l’écriture par couplages. Écrire peut prendre aussi la forme répétée du verbe chanter (« je chante j’emporte / les mots vivants qui tremblent / à la surface du poème » (p. 23), qui, dans l’ascendant progressif de la dissonance, risque de se retourner en « je chante-faux » (p.75), voire en « je crie » (« je crie, je secoue les voyelles / de ton nom ressuscité », p. 82). Le mutisme hante la poète : « Les consonnes trébuchent sous ma langue muette » (p.104). Mais elle se ressaisit toujours, jusque dans le poème terminal, où elle semble trinquer avec le mort : « Alors fière je lève ce verre vide : / le coquelicot joindra sa parure au vent » (p. 127). La beauté de ce livre-tombeau tient aussi à ce qu’il parvient à être léger, parfois presque aérien, comme en apesanteur, sous le signe de l’image séminale du « coquelicot » et d’une langue respirée.

Que garde-t-on en soi de ce livre sinon surtout son « énigme », accrue par la magie mate et rêche des peintures de Fabrice Rebeyrolle, qui elles aussi étreignent ce que Rimbaud appellerait la « réalité rugueuse » : « L’ombre (…) se dissipe et scelle / l’énigme » (p.23) ? Le livre entier, poèmes et peintures, ressemble à cette « lapidaire encoche / dans le calcaire » (p.92) de la falaise d’enfance. La force d’énigme est décuplée par le travail d’une écriture elliptique (au sens étymologique de ce mot : « elleipsis », le « manque »), signe distinctif d’Isabelle Lévesque. Les blancs typographiques et les césures accroissent encore parfois l’énigme de vers laconiques et inachevés : « Il semble que tu -  »  (p.91) … « toi tu      » (p. 99) … « Tu murmures (dans ma tête     tu) » (p.126). Dans ses méandres, le livre est comme cette île sur la Seine : « La Seine abrite une île (un mystère) » (p.127). Le verbe « souffler », du titre à ses nombreuses reprises incantatoires, est l’incarnation verbale de ce « mystère » auquel est confrontée l’écriture dans son face-à-face avec le secret et la mort, qui s’ouvre sur le « rien » : « Alors je souffle / deux doigts de mystère, / une lettre nue, fragile et grave » (p. 18) … Je souffle, et rien. Reste au lecteur à recueillir de ses mains ce « souffle » « fragile » et ce « rien », qui scintillent dans l’intervalle entre les mots.

Présentation de l’auteur

Isabelle Lévesque

 Isabelle Lévesque  a publié en 2011 Or et le jour  (anthologie Triages, Tarabuste), Ultime Amer  (Rafael de Surtis), Terre ! (éd. de l’Atlantique), Trop l’hiver (Encres vives).

Elle a fait paraître en 2012 : Ossature du silence (Les Deux-Siciles), en 2013 : Un peu de ciel ou de matin (Les Deux-Siciles), Va-tout (Éd. des Vanneaux) et Ravin des nuits que tout bouscule (Éd. Henry). En 2013 également un livre d’artiste en français et en italien a été édité : Neve, photographies de Raffaele Bonuomo, traduction de Marco Rota (Edizioni Quaderni di Orfeo).  En 2015 : Tes bras seront (poèmes traduits en italien par Marco Rota – Edizioni Il ragazzo innocuo, coll. Scripsit Sculpsit) et Nous le temps l’oubli (Éd. L’herbe qui tremble).

Voltige ! (Éd. L’herbe qui tremble) est paru en avril 2017.

Isabelle Lévesque écrit des articles pour plusieurs revues : La Nouvelle Quinzaine Littéraire, Europe, Terres de Femmes, Recours au Poème, Terre à ciel, Diérèse, Poezibao …

Isabelle Lévesque

Bibliographie

Isabelle Lévesque  a publié en 2011 Or et le jour  (anthologie Triages, Tarabuste), Ultime Amer  (Rafael de Surtis), Terre ! (éd. de l’Atlantique), Trop l’hiver (Encres vives).

Elle a fait paraître en 2012 : Ossature du silence (Les Deux-Siciles), en 2013 : Un peu de ciel ou de matin (Les Deux-Siciles), Va-tout (Éd. des Vanneaux) et Ravin des nuits que tout bouscule (Éd. Henry). En 2013 également un livre d’artiste en français et en italien a été édité : Neve, photographies de Raffaele Bonuomo, traduction de Marco Rota (Edizioni Quaderni di Orfeo).  En 2015 : Tes bras seront (poèmes traduits en italien par Marco Rota – Edizioni Il ragazzo innocuo, coll. Scripsit Sculpsit)

Sont parus à L’herbe qui tremble : Nous le temps l’oubli (2015), Voltige ! prix international de Poésie francophone Yvan-Goll 2018 (2017), et La grande année, avec Pierre Dhainaut (2018), Chemin des centaurées (2019), En découdre (2021) et Je souffle, et rien. (2022).

En 2022, les éditions Mains-Soleil ont publié Elles, de Fabrice Rebeyrolle et Isabelle Lévesque.

Isabelle Lévesque écrit des articles pour plusieurs revues : Quinzaines / La Nouvelle Quinzaine Littéraire, Europe, Terres de Femmes, Recours au Poème, Terre à ciel, Diérèse, Poezibao …

Sur internet :

https://lherbequitremble.fr/auteurs/isabelle-levesque.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/Isabelle_L%C3%A9vesque

https://www.nouvelle-quinzaine-litteraire.fr/articles-par-critique/isabelle-levesque

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Isabelle Lévesque, Je souffle, et rien,

Je souffle, et rien est un livre de deuil, quelque chose entre une « lettre au père » et un livre-tombeau qui pourrait s’inscrire dans la lignée des textes explorés par Marik Froidefond et  Delphine [...]




Christian Monginot, Coups de marteau en forme de ciel

La longue marche du poème

Coups de marteau en forme de ciel : Antonin Artaud, auquel l’auteur fait référence, aurait aimé ce livre de Christian Monginot où la langue, avec ses flux et reflux, s’insinue dans les anfractuosités, les plis, les replis de ce qui fait corps et se déploie au fil du poème. Car ce corps est plus que le corps, il est l’entour où irradient le monde, l’immonde, les guerres, le Mal, mais aussi l’ouverture épisodique du chant vers le ciel, vers la chair vivante de la nature et d’un monde qui retrouve, par instant, son humanité.

Comme l’affirme ce grand poème, il faut pour qu’apparaisse l’ouvert que se fracture le roman truqué de l’espèce/Le faux poème des choses, ce trucage que les gens dits « raisonnables » nomment « la réalité » ; il faut, toujours à nouveau, marteler la scansion, le rythme dans un long murmure qui, s’il procède du désespoir, c’est de celui par lequel une lumière authentique peut percer :

 

C’est pourquoi tu martèles sur ton billot

Ou tailles avec ton couteau

Ces instants qui sont autant

De degrés vers ce livre de chair

Réel

Christian Monginot, Coups de marteau en forme de ciel, éditions L’herbe qui tremble, Billère, 2021, 154 pages.

Car c’est dans la faille à maintenir ouverte que séjourne en secret « l’homme réel », hors des faux-semblants, des simulacres, hors de tout ce qui se donne à nous comme évidences, ce « roman » d’une réalité qui ressemble à un mauvais jeu de dupe, alors même que l’homme du quotidien, à la fois acteur et spectateur, se croit éveillé. Sont requis le souffle et le flux du Poème qui seuls peuvent frayer une voie là où semblait écrit « Sans issue » ; mais, pour cela :

 

Il ne suffit pas de frapper juste, il faut encore

Frapper fort

Et frapper sans cesse

Pour que la brèche des saveurs et des rêves

Ne se referme pas …

 

Alors se met à l’œuvre le poète, lui qui semble sans arme, avec sa fragilité, sa vulnérabilité, que sublime cependant son poème. Dès le matin, il se met en marche dans la langue, à travers les chemins du verbe, la langue qui souvent se perd/Dans ses fables, ses reflets, ses mensonges, et qui poursuit, envers et contre tout, sa route, malgré les obstacles, avec L’obstination limpide de la pluie :

 

Ce matin tu écriras vers cette infinité de plis

Où se dissimulent tant d’autres plis

Et tu déplieras

Ceux que tu peux

 

Mais le poète n’est point un doux rêveur retiré du monde ; il se retrouve à certains moments comme Au sommet du Golgotha, face aux Guerres inexpiables, non encore expiées ; il connaît Satan « l’imbécile » et Le Règne de la Bête. Ces titres de poèmes, qu’il nous faut comprendre loin des diableries et des bondieuseries vulgaires, nous donnent à entendre que se trouve ici posée la question du Mal et, corrélativement, celle d’un salut possible par la grâce de l’art. Il y a, dans le grand souffle des poèmes que nous livre Christian Monginot, une dimension métaphysique au sens le plus littéral du terme. Il y séjourne une attente pure, celle qui n’attend rien, pourtant ouverte à la venue de ce qui fatalement va venir :

 

Les choses passent,

Doivent passer,

Rien n’attend rien,

Et pourtant tout arrive

 

Arrive essentiellement le livre. Non un livre qui se paierait de mots, de « littérature », comme le demande l’« Autre du social » (Lacan), un objet qui ferait compromis, consensus, un produit culturel consommable, ainsi que le réclame le système de l’Argent, ce système qui avait déjà tant obsédé Péguy ou Bernanos à leur époque. La démarche de Christian Monginot affirme au contraire une poétique, une esthétique, une épopée à contre-courant, ô combien salutaire ! Il nous faut ici lui en rendre grâce. Car, ce que le poète espère, ce à quoi il travaille, c’est à :

 

Un livre 

Tenu sur sa ligne de rift,

Écrit au plus près

Des dents, de la langue, des os,

Un livre d’organes,

De blessures,

De commotions

 

Un livre, donc, tel que le voulait Artaud avec lequel le poète avoue être « en écho » et en « sympathie ». Et si le livre fait corps, c’est en englobant tout le dehors, avec ses lumières et ses ombres, son désenchantement et son espérance, ses crimes et sa beauté qui demeure, et que le poème saisit. Christian Monginot est en quête d’une innocence renouvelée, ayant traversé ce qu’il y a d’irrémédiable dans notre condition humaine. Et la question reste posée :

 

Comment s’éloigne-t-on,

À l’intérieur de soi,

Des anciens crimes et des nouveaux ?

 

Le livre, par son acte même, par son existence, constitue une forme de réponse… Quant aux dessins percutants de Denis Pouppeville, par la force de leur présence, ils accompagnent en harmonie le mouvement des poèmes.

 

Présentation de l’auteur

Christian Monginot

Christian Monginot, né en 1947 à Béziers. Famille maternelle d’origine italo-croate venue de Pula, famille paternelle champenoise. Enfance et une partie de l’adolescence à Rabat, Maroc. Vit en Aquitaine. Écrit depuis toujours. Publié beaucoup moins. Sur le tard.

Christian Monginot

Textes publiés aux éditions de L’Atlantique :

Poésie :
Ce que l’on ne peut dire
Voix inverse
Le syndrome d’Orphée
Sous la dictée de l’eau (en écho au Yi King)
Le livre de l’onde et du rocher (en écho au Livre des Psaumes, préface de Pierre Dhainaut)

Aphorismes :
Le livre de la stupeur et du vertige

Contes :
L’idiot et son tourment

 

Textes publiés aux éditions de L’herbe qui tremble :

Poésie :
Le miroir des solitudes (en écho à La Divine Comédie de Dante et illustré par Alain Dulac)
Le dit de l’horizon
Après les jours (en écho à l’œuvre et à la correspondance de Rimbaud et illustré par caroline François-Rubino)
Le radeau d’Ulysse (en écho à l’œuvre d’Homère et illustré par Denis Pouppeville)

 

En préparation aux éditions de L’herbe qui tremble :

Coups de marteau en forme de ciel (en écho à l’œuvre et aux cahiers d’Artaud, illustré par Denis Pouppeville)

 

Inédits :

Poésie :
Le livre du souffle et de l’écho (en écho au Livre de la Genèse)
Le livre de l’innocence et de ses fins
L’avaleur d’échanges et d’usages
Pour un jour d’exercice sur la terre (en écho à l’œuvre de Pascal)

Récit :
Patchwork
Articles publiés ou pas dans des revues et rassemblés en recueil :
L’innocence, l’erreur, l’écho
Publications sur les réseaux sociaux rassemblées en recueil :
Un souffle entre deux pierres, notes rapides au point du jour

Articles, poèmes, aphorismes publiés dans les revues :

Saraswati, Arpa, Nu(e), Poésie/première, Thauma, Rivaginaire, Glyphes, Lieux d’Être, Le Journal des Poètes, Encres Vives, Mange Monde.

 

En cours d’écriture :

Les chroniques de l’inconnaissance (journal de bord depuis les années 70)

L’insecte du placard (Livre entre réflexions et poésie en écho à l’œuvre et à la vie de Kafka)

 

Autres lectures

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