En remon­tant dans les archives de Tra­ver­sées j’ai retrou­vé un numéro de la revue con­sacré au poète Pierre DHAINAUT (n°49 / Hiv­er 2007–2008).

[Au pas­sage, l’on se dit que l’Éditorial  signé alors de Véronique DAINE (Bel­gique) et qui soulig­nait la néces­sité et l’urgence de porter regard à cet Autre poussé et délais­sé dans la Pré­car­ité dans tous ses éclats dévas­ta­teurs et ce, jusqu’aux derniers retranche­ments, jusqu’au renon­ce­ment –on se dit que cet Édi­to­r­i­al laisse à réfléchir au vu de sa con­tin­uelle actu­al­ité en… 2014…].

Revenant donc au n° 49 de Tra­ver­sées inti­t­ulé Pierre DHAINAUT et alii –un exem­plaire ravi­vant les tiroirs de la mémoire- je me suis longue­ment arrêtée sur les pages inti­t­ulées ‘Une école des rivages’ suiv­ant l’expression du poète – j’ai voy­agé dans ces pages pour y revenir et y revenir encore, et en not­er par inter­mit­tences comme des impres­sions –des réflex­ions aus­si peut-être- que m’inspirait la poésie de Pierre DHAINAUT. Si je devais choisir quelques mots évo­ca­teurs pour moi de la poésie de l’auteur de Mon som­meil est un verg­er d’embruns (1961) je choisir­ais ceux de mou­ve­ment, exi­gence, souf­fle, partage. Et c’est dans la mesure où ce sens de partage est par­ti­c­ulière­ment sen­si­ble dans l’univers et pour le poète Pierre DHAINAUT, que rebondir même timide­ment, en tout cas hum­ble­ment sur la plage de son école des rivages, m’a sem­blé pou­voir être porté.

Non, nous n’initierons pas les enfants à la poésie, comme c’est devenu l’usage dans nos écoles, par l’intermédiaire des seuls jeux ver­baux. Certes, le nom­bre de syl­labes ou la reprise de quelques sonorités par­ticipent à la nais­sance, à l’expansion d’un poème, ils lui sont con­sub­stantiels, mais en les isolant on en fait des procédés, on s’en tient au lan­gage, et l’on oublie que l’exigence de l’écriture ne con­siste pas en la fab­ri­ca­tion d’un objet, elle est bien plus vaste. L’écriture, une école des rivages : le poème n’est si ardent, il n’est juste que s’il se porte et nous porte hors de lui. (Pierre Dhain­aut)

L’auteur  du recueil Le don des souf­fles (Mortemart, Rougerie ; 1990), s’il OUVRE le poème conçu tel un souf­fle dans un appel d’air lui-même ouvert par l’absence d’inscription sur la page (Une école des rivages)- OUVRE dans un même élan d’écritures (de la vie courante et de la vie écrite/sans cesse à écrire) une terre d’accueil et de recueil où le partage est un des maîtres-mots.
 

Le poème n’en est pas un, qui a la pré­ten­tion de se suffire.
 

Ren­dre les mots moins lourds, moins opaques, et ne penser qu’à eux dans cette tâche, mais que serait le poème s’il les gar­dait pour lui, s’il ne nous rendait pas, auteurs ou lecteurs, un peu moins lourds, moins opaques, nous aussi.

Quête exis­ten­tielle ici du poème, vitale pour le sujet qui l’instaure au cen­tre de son expéri­ence per­son­nelle sociale à partager en terre de vie, de poésie –de poéVIE. La poésie ici n’est pas aux pris­es avec un hori­zon spécu­latif met­tant l’accent de façon empha­tique sur sa voca­tion ontologique, ni enfer­mée dans une vision sacrale, logolâtrique l’instaurant gar­di­enne d’un  monde par­al­lèle à l’intérieur d’une tour vide dont elle serait la seule instau­ra­trice parce que non ouverte au Dehors, au rythme de la vie, à sa den­sité expéri­men­tée chaque jour et sans cesse éprou­vée, donc exposée à ce qui est autre qu’elle-même et dans les faits la nour­rit. La poésie chez Pierre Dhain­aut est poéthique, for­mant une exis­tence à la fois lyrique et poé­tique –ce que Jean-Claude PINSON nomme : «l’habitation poétique».*

Plus que son auteur, le poème est un hôte : quand lui ressem­blerons-nous ? ques­tionne Pierre DHAINAUT dans Une école des rivages. Et pour cela, l’effacement de soi au ser­vice du poème est indis­so­cia­ble de sa genèse et de son accouche­ment ; par-delà de son expan­sion et de ses réso­nances ; de la péren­nité vivante de sa parole et de l’immuable allié à l’éphémère qu’elle nous porte. C’est pourquoi Vers après vers, l’espoir se ravive, celui de renaître, renaître en éphémère. Poésie papil­lon du jour renais­sant Phénix de ses ailes per­pétuelle­ment à éployer.

L’insistance de P. DHAINAUT à rap­pel­er le néces­saire retrait de la per­son­ne de l’auteur, du néces­saire oubli du souci de soi au ser­vice du poème (On veut s’affirmer, puis on veut s’effacer, on s’accorde alors trop d’importance : ce qu’il con­vient de réduire, quelles que soient nos activ­ités, le souci de soi) ‑ouvre ce dernier à la res­pi­ra­tion dont l’espace se forme au rythme de ses pro­pres pul­sa­tions. Ain­si les Entrou­ver­tures (titre d’une série de sep­tains  pub­liés dans ce n°49 de Tra­ver­sées) sont-elles assurées au sein d’un espace-temps où instant et durée don­nent à vivre un temps vécu sans cesse à renaître (L’instant et le durée sont égaux, sont eux-mêmes, au présent du poème). Ces Entrou­ver­tures ouvrent à cette pas­sion de la patience. Entrou­ver­tures égale­ment offertes à l’œuvre inachevée : Je m’étais dit : le jour où je serai cer­tain d’avoir vrai­ment écrit, non pas un livre, mais une phrase, une seule, je pour­rai m’arrêter, je n’aurai plus rien à prou­ver, je saurai mieux vivre. Bien sûr, ce jour n’est pas venu. Il ne pou­vait venir. Il ne vien­dra jamais. A peine esquis­sée, une phrase en désire, en sus­cite une autre, encore une autre… Com­mencer à écrire, com­mencer sans cesse, entr­er dans l’inachevable. Mais cet inachev­able ne cède en rien à la stéril­ité d’une stag­na­tion : le poème s’écrit, se trans­mue, se trans­met dans la pro­gres­sion (poème qui pro­gresse en essaimant).

On aura com­pris que ces pages de Pierre DHAINAUT dressent une sorte d’art poé­tique, indis­so­cia­ble d’un art de vivre ; mais elles expri­ment aus­si la sin­gu­lar­ité de la poésie de DHAINAUT.

Je ne cit­erai pas davan­tage ces pages de L’école des rivages (on aura noté le pluriel des rivages, de mot en mot, le sens se libère, la réso­nance, tout se dit au pluriel) –je ne cit­erai pas davan­tage de ces bribes, sinon à pren­dre le risque de tout repro­duire ici.

Tant le poète nous par­le, tant il résonne –pour qui l’écoute, pour qui a gardé cette ver­tu d’accueil et cette force augu­rale vécues pleine­ment au pays de l’enfance livrée aux souf­fles pluriels des émo­tions, furtives mais fortes, pas­sagères mais inten­sé­ment immuables. Per­ma­nence de la parole du poème. 

 

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Murielle Compère-Demarcy

‣Je marche— poème marché/compté à lire à voix haute et dédié à Jacques DARRAS, éd. Encres Vives, 2014 ‣L’Eau-Vive des falais­es, éd. Encres Vives, 2014 ‣Coupure d’élec­tric­ité, éd. du Port d’At­tache, 2015 ‣La Falaise effritée du Dire, éd. du Petit Véhicule, Cahi­er d’art et de lit­téra­tures n°78 Chien­dents, 2015 ‣Trash fragilité (faux soleils & drones d’ex­is­tence), éd. du Cit­ron Gare, 2015 ‣Un cri dans le ciel, éd. La Porte, 2015 ‣Je Tu mon AlterÉ­goïste, éd. de l’Ecole Poly­tech­nique, Paris, 5e, 2016 ‣Sig­naux d’ex­is­tence suivi de La Petite Fille et la Pluie, éd. du Petit Véhicule, coll. de La Galerie de l’Or du Temps ; 2016 ‣Co-écri­t­ure du Chien­dents n°109 Il n’y a pas d’écri­t­ure heureuse, avec le poète-essay­iste Alain MARC, éd. du Petit Véhicule ; 2016 ‣Le Poème en marche suivi par Le Poème en résis­tance, éd. du Port d’Attache ; 2016 ‣Dans la course, hors cir­cuit, éd. Tar­mac, coll. Car­nets de Route ; 2017 ; réédi­tion aug­men­tée en 2018 ‣ Poème-Passe­port pour l’Exil, avec le poète et pho­tographe (“Poé­togra­phie”) Khaled YOUSSEF éd. Corps Puce, coll. Lib­erté sur Parole ; mai 2017 ‣ Nantes-Napoli, français-ital­iano tra­duc­tions de Nun­zia Amoroso, éd. du Petit Véhicule, Cahi­er d’art et de lit­téra­tures n°121, vol.2, Chien­dents, 2017 ‣ … dans la danse de Hurle-Lyre & de Hurlevent…, éd. Encres Vives, coll. Encres Blanch­es n°718, mai 2018 ‣ L’Oiseau invis­i­ble du Temps, éd. Hen­ry, coll. La Main aux poètes ; octo­bre 2018 ‣ Ate­lier Cau­da, clap ! et Illus­tra­tions in Pein­dre de Jacques Cau­da, éd. Tar­mac ; novem­bre 2018 [Trilo­gie Jacques Cau­da : LA TE LI ER et LES BERTHES, Z4 Edi­tions + PEINDRE, éd. Tar­mac] ‣ Alchimiste du soleil pul­vérisé, poème à Antonin Artaud, Z4 édi­teur, coll. « La diag­o­nale de l’écrivain » ; jan­vi­er 2019 ‣ Fenêtre ouverte sur la poésie de Luc Vidal, éd. du Petit Véhicule, coll « La Galerie de l’Or du Temps » ; 2019 ‣ Dans les Lan­des de Hurle-lyre, Z4 Edi­tions ; 2019 ‣ L’écorce rouge suivi de Prière pour Notre-Dame de Paris et de Hurlement, Z4 Edi­tions, coll. « Les 4 saisons » ; févri­er 2020 ‣ Voy­age Grand-Tour­nesol, Murielle Com­père-Demar­cy (MCDem.) / Khaled Youssef, avec la par­tic­i­pa­tion de Basia Miller, Pré­face de Chiara De Luca, éd. Z4 édi­tions ; sep­tem­bre 2020 Pub­li­ca­tions en revues : Nunc, Les Cahiers de Tin­bad, Cahiers inter­na­tionaux lit­téraires Phoenix, FPM-Fes­ti­val Per­ma­nent des Mots, Poésie/première, Ver­so, Décharge, Tra­ver­sées, Trac­tion-Bra­bant, La Passe, Mille et Un poètes (avec « Lignes d’écriture » des édi­tions Corps Puce), Nou­veaux Dél­its, Microbes, Comme en poésie, Poésie/Seine, Cabaret, Revue Con­cer­to pour marées et silence, Revue Méninge, … ; sur espaces numériques Pos­si­bles revue men­su­elle de poésie en ligne dirigée par Pierre Per­rin (n°36, n°44, n°47), Recours au poème, Terre à ciel, lelitteraire.com, Sitaudis.fr, Lev­ure lit­téraire, Le Cap­i­tal des Mots, Poésie en lib­erté, Ce qui reste, poe­siemusik, … Antholo­gies : “Sans abri”, éd. Janus, 2016 ; “Au Fes­ti­val de Con­cèze”, éd. Comme en Poésie, 2017 ; Poésie en lib­erté (antholo­gie numérique pro­gres­sive) en 2017 et 2018 ; “Tis­serands du monde”, Mai­son de la Poésie du Velay-Forez, 2018 ; citée dans Poésie et chan­son, stop aux a pri­ori ! de Matthias Vin­cenot, aux édi­tions For­tu­na (2017), … Rédac­trice à La Cause Lit­téraire, écrit des notes de lec­ture pour La Revue Lit­téraire (éd. Léo Scheer), Les Cahiers de Tin­bad, Tra­ver­sées, les Cahiers inter­na­tionaux de créa­tion lit­téraire Phoenix, Revues en ligne Poez­ibao, Recours au Poème en tant que con­tributrice régulière, Ter­res de femmes, Terre à ciel, Sitaudis.fr, Tex­ture, Zone Cri­tique, Lev­ure Lit­téraire, … Lec­tures publiques : Mai­son de la Poésie à Amiens ; Marché de la Poésie, Paris,6e ; Salon de la Revue (Hall des Blancs-Man­teaux dans le Marais, Paris 4e) ; dans le cadre des Mardis lit­téraires de Jean-Lou Guérin, Place Saint-Sulpice (Paris, 6e) ; Fes­ti­val 0 + 0 de la Butte-aux-Cailles, Paris 4e ; #Melt­ing Poètes à la Galerie de l’Entrepôt (Paris, 14e) ; auteure invitée aux Fes­ti­val de Mont­meyan (Haut-Var) [août 2016 + août 2018] ; au Fes­ti­val Le Mitan du Chemin à Camp-la-Source en avril 2017 /[Région PACA] ; au Fes­ti­val DécOU­VRIR-Con­cèze (Cor­rèze) en août 2018 ; poète invitée à L’Agora, Paris 14e pour une Lec­ture musi­cale & poé­tique – Soirée André Prod­homme (poète) & Alain Chapelain (musi­cien-poète), … Invitée du “Mer­cre­di du poète” ani­mé par Bernard Fournier, le 28 févri­er 2018, au François Cop­pée — 1, Bd de Mont­par­nasse, Paris 6e- présen­tée par Jacques Dar­ras. Lue par le comé­di­en Jacques Bon­naf­fé le 24.01.2017 sur France Cul­ture : https://www.franceculture.fr/emissions/jacques-bonnaffe-lit-la-poesie/courriers-papillons-24-jour-deux-poemes-de-front Son blog “Poésie en relec­tures” est ici : http://www.mcdem.simplesite.com