Mémoire. Indi­vidu­elle. Col­lec­tive. Sou­venir des dis­parus, des blessés de la Guerre de 14–18, déroulé sur le par­chemin sauve­g­ardé de l’His­toire, des com­mé­mora­tions. 2014, Cen­te­naire du déclenche­ment de la Grande Guerre. Départs-bleuets, départs-coqueli­cots. Cen­te­naire qui ravive les traces, pour que ne se referme sur elles le silence de l’ou­bli.  Livres qui ten­tent de restituer cette mémoire. Livre de Jacques DARRAS qui le tente, par l’outil-poème. Ici dans la cadre de l’ex­po­si­tion : “1914 : la mort des poètes, organ­isée pour la réou­ver­ture de la Bib­lio­thèque Nationale Uni­ver­si­taire de Stras­bourg (BNU) en octo­bre 2014 et conçue autour de trois grandes fig­ures de poètes européens morts sur le front durant la guerre de 14–18 : le poète alsa­cien (con­sid­éré alors comme alle­mand) Ernst Stadler, son ami le poète français Charles Péguy et le poète anglais Wil­fred Owen.

Ain­si la voix d’un poète con­tem­po­rain s’élève, qui eut aus­si à sa façon sa Guerre de 14–18, par les blessures ‑tues ou exprimées, dans tous les cas tou­jours ouvertes- qu’en rap­portèrent les témoignages d’une mémoire famil­iale conservée/transmise/ recherchée/racontée. Par bribes décousues, par bribes recousues. Au fil du temps, au fil de l’é­coute. Jacques DARRAS dresse en effet dans Je sors enfin du Bois de la Gruerie (éd. Arfuyen, 2014) ‑en un chant incan­ta­toire/ex­u­toire- la toile travaillée/ravagée par cette guerre qui n’en finit pas de saign­er de sa ter­ri­fi­ante Boucherie, de ses saccages, de ses tranchées de boue, dans la mémoire d’une human­ité mas­sacrée au com­bat ; qui n’en finit pas de saign­er de ses car­nages. Le poète tente de retrac­er le par­cours de sa pro­pre fil­i­a­tion dans ce vaste champ dévasté que fut 14–18, de son­der en direc­tion de ses orig­ines. “A‑t-on mesuré la réper­cus­sion du vide dans une fil­i­a­tion ? / A‑t-on sondé l’é­cho pro­longé d’un silence famil­ial ? Se ren­dant sur les lieux du dernier com­bat de son grand-père pater­nel, Édouard DARRAS, au Bois de la Gruerie situé dans la Meuse entre Reims et Metz, Jacques DARRAS a levé  de ses pas en quête de recon­sti­tu­tion his­torique & de soi le voile de l’ou­bli et du silence tombé sur ces com­bat­tants du passé. Grâce à cette quête le poète-his­to­rien va pou­voir sor­tir enfin du Bois de la Gruerie c’est-à-dire se recon­stru­ire à par­tir de son ter­roir orig­i­nal et des ram­i­fi­ca­tions de ses racines, que ces dernières fussent souter­raines, recou­vertes d’un silence volon­taire, ou qu’elles soient aéri­ennes puisqu’ex-primées encore dans le présent en com­mé­mora­tion de chacun(e) d’en­tre nous. En retrou­vant ce que l’am­nésie famil­iale / ce que l’am­nésie nationale, indi­recte­ment mais pareille­ment, avait réus­si à dis­simuler sous la déplo­ration et la mys­ti­fi­ca­tion, ‑Jacques DARRAS / le poète / nous-mêmes /sortons du Bois de la Gruerie pour  lire au livre entrou­vert / de (notre) pro­pre lignée.

Mémoire indi­vidu­elle, col­lec­tive ; mémoire famil­iale, nationale ‑le chant de la Guerre investit notre terre habitée en citoyen / en poète / en arti­san / en indi­vid­u­al­ité / en êtres vivants opiniâtrement et résol­u­ment tournés vers une tra­ver­sée en nos vies à hau­teur d’humanité.

Par­ler la poésie” écrit Jacques DARRAS dans la Pré­face d’ Á ciel ouvert (entre­tiens avec Yvon LE MEN), “c’est quelque­fois garder le silence. Se taire.

(…) par­lant peu dans le jour, // m’ex­p­ri­mant sur des hec­tomètres de phras­es ou de vers (…).” Alors com­ment par­ler de la guerre ? Com­ment par­ler de la Grande Guerre ? Com­ment, par quelle parole dire le no man’s land de l’ab­sur­dité où l’on envoya se fra­cass­er sur le front tant de vies anonymes et citoyennes, tant de vies humaines, sur une terre atro­ce­ment silen­cieuse ‑un lieu de mas­sacre sans écoute où seuls éclataient, frap­pant comme des sourds, les obus d’une indi­ci­ble réal­ité. Indicible ?

Il faut “tout repren­dre à 1914″ pour met­tre fin à l’amnésie, répond Jacques DARRAS, pour com­pren­dre l’aujourd’hui, pour penser enfin l’Europe. C’est parce que les leçons de 1914 n’avaient pas été tirées que le pire s’est repro­duit en 1939–1945. Cent ans après, le pire peut tou­jours se reproduire.

Dire donc, met­tre fin à l’am­nésie mais, qu’en dire ? “Qu’est-ce qui fait que nous ne désobéis­sons pas ou si peu ? / Qu’est-ce qui fait que nous con­sen­tons à nous laiss­er habiller en tueurs ? / Qu’est-ce qui fait que nous accep­tons l’u­ni­for­mité des uni­formes ? / Qu’est-ce qui fait que nous avançons fusil à l’é­paule notre pro­pre croix mor­tu­aire à la main ? “, inter­roge le poète.

Qu’en dire et com­ment le dire ? Le poème de Jacques DARRAS est une marche au cœur de la nuit & du poème, dans le rythme & la démarche d’un appel à retrou­ver une juste mémoire de cette Grande Guerre.

Jacques DARRAS tente de restituer ici la parole douloureuse de ces exis­tences gâchées, livrées en pâture à la folie meur­trière des hommes & du pou­voir, entre les mains d’ hommes décideurs jetant au sac­ri­fice leur pro­pre progéni­ture. Jacques DARRAS nous par­le des dif­férentes pos­tures alors  de poètes de l’époque (cer­tains con­nus voire encen­sés, d’autre moins con­nus) face à la Grande Guerre. Des poètes révélés par­fois comme d’im­posants impos­teurs, par­fois au con­traire poètes d’un engage­ment, d’un com­bat physique et d’un courage authen­tiques, remarquables.

Le poète restitue ‑de cette plage où remonte et sur la page où monte “cette musique qui nous vient du pro­fond de la créa­tion” : de la Vie- le poète Jacques DARRAS restitue cette page de l’His­toire éclaboussée jusqu’à nous par les obus écla­tants de la réalité.

Pour que cent ans après, le pire ne se repro­duise pas.

Pour que chacun/chacune d’en­tre nous n’ou­blie pas, ni rien ni per­son­ne. N’ou­blie aucune goutte ver­sée sur le champ de l’Hor­reur. Pour que le passé en nous résonne / dans la chair & le cœur du présent / et de chaque per­son­ne. De chaque exis­tence / chaque exis­tence humaine. Parce que là résonne au pro­fond et dans sa pleine vérité la voix du poète : engagée au cœur de la réalité.

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Murielle Compère-Demarcy

‣Je marche— poème marché/compté à lire à voix haute et dédié à Jacques DARRAS, éd. Encres Vives, 2014 ‣L’Eau-Vive des falais­es, éd. Encres Vives, 2014 ‣Coupure d’élec­tric­ité, éd. du Port d’At­tache, 2015 ‣La Falaise effritée du Dire, éd. du Petit Véhicule, Cahi­er d’art et de lit­téra­tures n°78 Chien­dents, 2015 ‣Trash fragilité (faux soleils & drones d’ex­is­tence), éd. du Cit­ron Gare, 2015 ‣Un cri dans le ciel, éd. La Porte, 2015 ‣Je Tu mon AlterÉ­goïste, éd. de l’Ecole Poly­tech­nique, Paris, 5e, 2016 ‣Sig­naux d’ex­is­tence suivi de La Petite Fille et la Pluie, éd. du Petit Véhicule, coll. de La Galerie de l’Or du Temps ; 2016 ‣Co-écri­t­ure du Chien­dents n°109 Il n’y a pas d’écri­t­ure heureuse, avec le poète-essay­iste Alain MARC, éd. du Petit Véhicule ; 2016 ‣Le Poème en marche suivi par Le Poème en résis­tance, éd. du Port d’Attache ; 2016 ‣Dans la course, hors cir­cuit, éd. Tar­mac, coll. Car­nets de Route ; 2017 ; réédi­tion aug­men­tée en 2018 ‣ Poème-Passe­port pour l’Exil, avec le poète et pho­tographe (“Poé­togra­phie”) Khaled YOUSSEF éd. Corps Puce, coll. Lib­erté sur Parole ; mai 2017 ‣ Nantes-Napoli, français-ital­iano tra­duc­tions de Nun­zia Amoroso, éd. du Petit Véhicule, Cahi­er d’art et de lit­téra­tures n°121, vol.2, Chien­dents, 2017 ‣ … dans la danse de Hurle-Lyre & de Hurlevent…, éd. Encres Vives, coll. Encres Blanch­es n°718, mai 2018 ‣ L’Oiseau invis­i­ble du Temps, éd. Hen­ry, coll. La Main aux poètes ; octo­bre 2018 ‣ Ate­lier Cau­da, clap ! et Illus­tra­tions in Pein­dre de Jacques Cau­da, éd. Tar­mac ; novem­bre 2018 [Trilo­gie Jacques Cau­da : LA TE LI ER et LES BERTHES, Z4 Edi­tions + PEINDRE, éd. Tar­mac] ‣ Alchimiste du soleil pul­vérisé, poème à Antonin Artaud, Z4 édi­teur, coll. « La diag­o­nale de l’écrivain » ; jan­vi­er 2019 ‣ Fenêtre ouverte sur la poésie de Luc Vidal, éd. du Petit Véhicule, coll « La Galerie de l’Or du Temps » ; 2019 ‣ Dans les Lan­des de Hurle-lyre, Z4 Edi­tions ; 2019 ‣ L’écorce rouge suivi de Prière pour Notre-Dame de Paris et de Hurlement, Z4 Edi­tions, coll. « Les 4 saisons » ; févri­er 2020 ‣ Voy­age Grand-Tour­nesol, Murielle Com­père-Demar­cy (MCDem.) / Khaled Youssef, avec la par­tic­i­pa­tion de Basia Miller, Pré­face de Chiara De Luca, éd. Z4 édi­tions ; sep­tem­bre 2020 Pub­li­ca­tions en revues : Nunc, Les Cahiers de Tin­bad, Cahiers inter­na­tionaux lit­téraires Phoenix, FPM-Fes­ti­val Per­ma­nent des Mots, Poésie/première, Ver­so, Décharge, Tra­ver­sées, Trac­tion-Bra­bant, La Passe, Mille et Un poètes (avec « Lignes d’écriture » des édi­tions Corps Puce), Nou­veaux Dél­its, Microbes, Comme en poésie, Poésie/Seine, Cabaret, Revue Con­cer­to pour marées et silence, Revue Méninge, … ; sur espaces numériques Pos­si­bles revue men­su­elle de poésie en ligne dirigée par Pierre Per­rin (n°36, n°44, n°47), Recours au poème, Terre à ciel, lelitteraire.com, Sitaudis.fr, Lev­ure lit­téraire, Le Cap­i­tal des Mots, Poésie en lib­erté, Ce qui reste, poe­siemusik, … Antholo­gies : “Sans abri”, éd. Janus, 2016 ; “Au Fes­ti­val de Con­cèze”, éd. Comme en Poésie, 2017 ; Poésie en lib­erté (antholo­gie numérique pro­gres­sive) en 2017 et 2018 ; “Tis­serands du monde”, Mai­son de la Poésie du Velay-Forez, 2018 ; citée dans Poésie et chan­son, stop aux a pri­ori ! de Matthias Vin­cenot, aux édi­tions For­tu­na (2017), … Rédac­trice à La Cause Lit­téraire, écrit des notes de lec­ture pour La Revue Lit­téraire (éd. Léo Scheer), Les Cahiers de Tin­bad, Tra­ver­sées, les Cahiers inter­na­tionaux de créa­tion lit­téraire Phoenix, Revues en ligne Poez­ibao, Recours au Poème en tant que con­tributrice régulière, Ter­res de femmes, Terre à ciel, Sitaudis.fr, Tex­ture, Zone Cri­tique, Lev­ure Lit­téraire, … Lec­tures publiques : Mai­son de la Poésie à Amiens ; Marché de la Poésie, Paris,6e ; Salon de la Revue (Hall des Blancs-Man­teaux dans le Marais, Paris 4e) ; dans le cadre des Mardis lit­téraires de Jean-Lou Guérin, Place Saint-Sulpice (Paris, 6e) ; Fes­ti­val 0 + 0 de la Butte-aux-Cailles, Paris 4e ; #Melt­ing Poètes à la Galerie de l’Entrepôt (Paris, 14e) ; auteure invitée aux Fes­ti­val de Mont­meyan (Haut-Var) [août 2016 + août 2018] ; au Fes­ti­val Le Mitan du Chemin à Camp-la-Source en avril 2017 /[Région PACA] ; au Fes­ti­val DécOU­VRIR-Con­cèze (Cor­rèze) en août 2018 ; poète invitée à L’Agora, Paris 14e pour une Lec­ture musi­cale & poé­tique – Soirée André Prod­homme (poète) & Alain Chapelain (musi­cien-poète), … Invitée du “Mer­cre­di du poète” ani­mé par Bernard Fournier, le 28 févri­er 2018, au François Cop­pée — 1, Bd de Mont­par­nasse, Paris 6e- présen­tée par Jacques Dar­ras. Lue par le comé­di­en Jacques Bon­naf­fé le 24.01.2017 sur France Cul­ture : https://www.franceculture.fr/emissions/jacques-bonnaffe-lit-la-poesie/courriers-papillons-24-jour-deux-poemes-de-front Son blog “Poésie en relec­tures” est ici : http://www.mcdem.simplesite.com