« Nar­ra­tion entail­lée », Je de l’Ego, l’image d’un « radar » en guise de pre­mière de cou­ver­ture illus­tre heureuse­ment le chant du cygne (nom de la mai­son qui pub­lie le livre)/le champ poé­tique ici livre par Vin­cent Motard-Avargues.

 

Morceaux d’une exis­tence dis­lo­quée comme des réma­nences rétini­ennes sur/sous les paupières mi-clos­es d’une vie, d’une con­science pour l’heure adossée/en arrêt/en sursis…

 

               La fête sauvage élec­tron­ique bat son plein. Les bass­es fréquences
font trem­bler le sable de cette forêt proche de l’océan. 
              Sous l’emprise d’un acide, Noé Vida ne peut plus bouger d’un cil.
             Adossé à un pin, sa vie lui revient bru­tale­ment, par flashs syncopés,
Hachés. Ses mul­ti­ples iden­tités, ses Je sans moi.

 

 Vin­cent Motard-Avar­gues, Je de l’Ego « Nar­ra­tion entail­lée », éd. du Cygne, 91 p., 12€.

État hal­lu­ci­na­toire ; vie hachée menue (pro­vi­soire­ment) vision­naire. Comme des images du monde vision­naire, michal­di­ennes (ici le Je remue comme La nuit remue de Hen­ri Michaux).

Et Noé Vida porte bien son nom.

Comme on porte le vide d’une exis­tence en sur­sis, ‑en rémis­sion ? Comme ce vide peut porter une non-vie, un plein-creux dans la richesse abandonnée/dépouillée d’une Arche-de-Noé dans la tra­ver­sée vers quel “Sid­dhar­ta (ou presque)” après le déluge, vers quel “pold­er d’homme”, quelle “prison”, quels “demain”, quels “Dans­es et Chants”, quelle « Paix » ?

Vers quel Je de l’Ego d’où jail­lit l’existence se rebâti­ra la sol­i­dar­ité de soli­tudes « sans racines », brisées dans leur sin­gu­lar­ité, îles dépos­sédées de leur archipel ?

La voix de Vin­cent Motard-Avar­gues entaille la nar­ra­tion dans l’espace de la page où le temps se frac­ture et recon­stru­it la fatigue des mots en même temps que les mots édi­fient le sens de ce qui passe/fuit/se délite.

 

tu avais du sans
pleines mains

 yeux d’ambre
ête d’océan
acouphènes d’absences

d’autres couraient
au long
des aubes
sèch­es

toi tu vacillais
via tem­pes arides
du lieu

où demain ne
s’épelle plus

 

Je de l’Ego signe un road-movie ini­ti­a­tique. Des bouts de route/des bribes de chemins pour­suiv­is ou inter­rom­pus, voire brisés, déroulent des séquences d’un Moi démul­ti­plié en Ego décen­tré par l’(Im)permanence (titre d’un recueil de Vin­cent Motard-Avar­gues, paru en 2015 aux édi­tions Encres Vives). (Im)permanence du Si peu, Tout (éd. Eclats d’Encre, 2012) où l’existence s’appose, dans le

 

tout trop mouvements
en évi­dences pleines

 tu assom­mé ici
poids aux manques

 eux accrochés là
meutes rythmiques

 toi qui traces tu
en con­tours internes

 

où le vide, le plein creux, les mul­ti­ples iden­tités d’un Je sans moi

 

tout
défile défoule
tombe tourne
ressasse rappelle
revit s’échappe

 toi
enfant hommes
hommes passés
passé présents
présent futurs

 

où la vie en radar tourne autour de ses inutiles urgences, ses brèves de sécu­rité vaine par flashs syn­copés, hachés puisque nous voy­a­geons ici dans le road-movie d’une descente ini­ti­a­tique où le Je d’un anti-héros tente, broyé, en déliques­cence, en état sec­ond, de ramass­er d’un Ego Ce qui reste (revue en ligne créée par Vin­cent Motard-Avar­gues), ce qui va, émi­et­té par la nuit, émi­et­té par les mou­ettes de l’Envie, récolté par les oiseaux de la Vie.

L’évidence du cos­mos et de soi est remise en ques­tion dans l’univers du poète. Rien ne va de soi. La logique des choses qui d’ordinaire se suiv­ent et s’enchaînent est rompue, ain­si À ce qui est de ce qui n’a, comme L’Alpha est l’Oméga… Rien ne va de soi comme un Recul du trait de côte, Leurs mains gan­tées de ciel, Un écho de nuit où se ric­oche la lumière dans la pro­fondeur du silence et des ténèbres mys­térieuses. De même que le réel fonc­tionne sur le principe des “Matri­ochka”, le con­cept de struc­ture gigogne, d’objets emboîtés, de même les poèmes de Je de l’Ego sont séca­bles dans les « plages de néant » for­mées par la page blanche, sans autres rives que celles du vide mais avec les mains pleines du sans (« tu avais du sans/pleines mains »), sur  un « tem­po dishar­monique » pour  ten­ter de  saisir encore  un  bord où ten­ter de réunir

 

toutes ces heures
à courir après
min­utes creuses

 tous ces heurts
à attraper
coups de lune folle

 

L’objectif de la course du Je s’est per­du dans le vide des objets vaine­ment (re-)cherchés, et cette vacuité le pul­vérise en ses identités.

Je de l’Ego résonne dans le champ/le chant d’une décon­struc­tion où

 

je
et
tu

 

pour­raient s’imbriquer de façons aléa­toires et mod­u­la­bles sur un tem­po tra­ver­sé de soli­tudes désol­i­darisées. Le hia­tus de l’absence au cœur des êtres en présence coor­don­nent encore le manque, les ombres, les spec­ta­cles sans spec­ta­teurs (les corps de théâtre/machine à vivre/robot d’être) ain­si le lien encore établi par la con­jonc­tion de coor­di­na­tion « et » reliant les vers par­fois mono­syl­labiques, for­mant une join­ture entre les vibra­tions, une pro­thèse en place d’une cassure/fêlure, d’où sur­git mal­gré tout

 

quelque chose
ô
quelqu’un

 

La foule fait masse –« un plein creux »- sous l’emprise du bruit de la fête sauvage élec­tron­ique, sous l’emprise de l’acide, tan­dis que le Je du nar­ra­teur assom­mé s’accroche dans le creux de sa perdi­tion aux lam­beaux de silence assour­dis­sant, aux morceaux de sa vie ‑ou non-vie- encore bat­tante ; aux restes d’une mémoire tra­ver­sée de « flash­backs » syn­copés ; à ses voix écharpées « solo de mille chœurs ».

S’échappe pour­tant encore un « bruisse­ment d’êtres/au loin où l’/exis­tence existe », résiste, pour que le Je de l’Ego se sur­prenne à rêver encore au bout de la nuit

 

oh oui
j’ai rêvé

 à une cham­bre moins 
froide

où con­serv­er sa terre
ocre

et dormir apaisé
un peu

 

Présentation de l’auteur

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Murielle Compère-Demarcy

‣Je marche— poème marché/compté à lire à voix haute et dédié à Jacques DARRAS, éd. Encres Vives, 2014 ‣L’Eau-Vive des falais­es, éd. Encres Vives, 2014 ‣Coupure d’élec­tric­ité, éd. du Port d’At­tache, 2015 ‣La Falaise effritée du Dire, éd. du Petit Véhicule, Cahi­er d’art et de lit­téra­tures n°78 Chien­dents, 2015 ‣Trash fragilité (faux soleils & drones d’ex­is­tence), éd. du Cit­ron Gare, 2015 ‣Un cri dans le ciel, éd. La Porte, 2015 ‣Je Tu mon AlterÉ­goïste, éd. de l’Ecole Poly­tech­nique, Paris, 5e, 2016 ‣Sig­naux d’ex­is­tence suivi de La Petite Fille et la Pluie, éd. du Petit Véhicule, coll. de La Galerie de l’Or du Temps ; 2016 ‣Co-écri­t­ure du Chien­dents n°109 Il n’y a pas d’écri­t­ure heureuse, avec le poète-essay­iste Alain MARC, éd. du Petit Véhicule ; 2016 ‣Le Poème en marche suivi par Le Poème en résis­tance, éd. du Port d’Attache ; 2016 ‣Dans la course, hors cir­cuit, éd. Tar­mac, coll. Car­nets de Route ; 2017 ; réédi­tion aug­men­tée en 2018 ‣ Poème-Passe­port pour l’Exil, avec le poète et pho­tographe (“Poé­togra­phie”) Khaled YOUSSEF éd. Corps Puce, coll. Lib­erté sur Parole ; mai 2017 ‣ Nantes-Napoli, français-ital­iano tra­duc­tions de Nun­zia Amoroso, éd. du Petit Véhicule, Cahi­er d’art et de lit­téra­tures n°121, vol.2, Chien­dents, 2017 ‣ … dans la danse de Hurle-Lyre & de Hurlevent…, éd. Encres Vives, coll. Encres Blanch­es n°718, mai 2018 ‣ L’Oiseau invis­i­ble du Temps, éd. Hen­ry, coll. La Main aux poètes ; octo­bre 2018 ‣ Ate­lier Cau­da, clap ! et Illus­tra­tions in Pein­dre de Jacques Cau­da, éd. Tar­mac ; novem­bre 2018 [Trilo­gie Jacques Cau­da : LA TE LI ER et LES BERTHES, Z4 Edi­tions + PEINDRE, éd. Tar­mac] ‣ Alchimiste du soleil pul­vérisé, poème à Antonin Artaud, Z4 édi­teur, coll. « La diag­o­nale de l’écrivain » ; jan­vi­er 2019 ‣ Fenêtre ouverte sur la poésie de Luc Vidal, éd. du Petit Véhicule, coll « La Galerie de l’Or du Temps » ; 2019 ‣ Dans les Lan­des de Hurle-lyre, Z4 Edi­tions ; 2019 ‣ L’écorce rouge suivi de Prière pour Notre-Dame de Paris et de Hurlement, Z4 Edi­tions, coll. « Les 4 saisons » ; févri­er 2020 ‣ Voy­age Grand-Tour­nesol, Murielle Com­père-Demar­cy (MCDem.) / Khaled Youssef, avec la par­tic­i­pa­tion de Basia Miller, Pré­face de Chiara De Luca, éd. Z4 édi­tions ; sep­tem­bre 2020 Pub­li­ca­tions en revues : Nunc, Les Cahiers de Tin­bad, Cahiers inter­na­tionaux lit­téraires Phoenix, FPM-Fes­ti­val Per­ma­nent des Mots, Poésie/première, Ver­so, Décharge, Tra­ver­sées, Trac­tion-Bra­bant, La Passe, Mille et Un poètes (avec « Lignes d’écriture » des édi­tions Corps Puce), Nou­veaux Dél­its, Microbes, Comme en poésie, Poésie/Seine, Cabaret, Revue Con­cer­to pour marées et silence, Revue Méninge, … ; sur espaces numériques Pos­si­bles revue men­su­elle de poésie en ligne dirigée par Pierre Per­rin (n°36, n°44, n°47), Recours au poème, Terre à ciel, lelitteraire.com, Sitaudis.fr, Lev­ure lit­téraire, Le Cap­i­tal des Mots, Poésie en lib­erté, Ce qui reste, poe­siemusik, … Antholo­gies : “Sans abri”, éd. Janus, 2016 ; “Au Fes­ti­val de Con­cèze”, éd. Comme en Poésie, 2017 ; Poésie en lib­erté (antholo­gie numérique pro­gres­sive) en 2017 et 2018 ; “Tis­serands du monde”, Mai­son de la Poésie du Velay-Forez, 2018 ; citée dans Poésie et chan­son, stop aux a pri­ori ! de Matthias Vin­cenot, aux édi­tions For­tu­na (2017), … Rédac­trice à La Cause Lit­téraire, écrit des notes de lec­ture pour La Revue Lit­téraire (éd. Léo Scheer), Les Cahiers de Tin­bad, Tra­ver­sées, les Cahiers inter­na­tionaux de créa­tion lit­téraire Phoenix, Revues en ligne Poez­ibao, Recours au Poème en tant que con­tributrice régulière, Ter­res de femmes, Terre à ciel, Sitaudis.fr, Tex­ture, Zone Cri­tique, Lev­ure Lit­téraire, … Lec­tures publiques : Mai­son de la Poésie à Amiens ; Marché de la Poésie, Paris,6e ; Salon de la Revue (Hall des Blancs-Man­teaux dans le Marais, Paris 4e) ; dans le cadre des Mardis lit­téraires de Jean-Lou Guérin, Place Saint-Sulpice (Paris, 6e) ; Fes­ti­val 0 + 0 de la Butte-aux-Cailles, Paris 4e ; #Melt­ing Poètes à la Galerie de l’Entrepôt (Paris, 14e) ; auteure invitée aux Fes­ti­val de Mont­meyan (Haut-Var) [août 2016 + août 2018] ; au Fes­ti­val Le Mitan du Chemin à Camp-la-Source en avril 2017 /[Région PACA] ; au Fes­ti­val DécOU­VRIR-Con­cèze (Cor­rèze) en août 2018 ; poète invitée à L’Agora, Paris 14e pour une Lec­ture musi­cale & poé­tique – Soirée André Prod­homme (poète) & Alain Chapelain (musi­cien-poète), … Invitée du “Mer­cre­di du poète” ani­mé par Bernard Fournier, le 28 févri­er 2018, au François Cop­pée — 1, Bd de Mont­par­nasse, Paris 6e- présen­tée par Jacques Dar­ras. Lue par le comé­di­en Jacques Bon­naf­fé le 24.01.2017 sur France Cul­ture : https://www.franceculture.fr/emissions/jacques-bonnaffe-lit-la-poesie/courriers-papillons-24-jour-deux-poemes-de-front Son blog “Poésie en relec­tures” est ici : http://www.mcdem.simplesite.com