A l’heure de l’hégé­monie atlan­tique, cette hégé­monie qui monte le sud con­tre le nord, cette hégé­monie qui élève la base con­tre l’élite, cette hégé­monie qui impose un mod­èle de jus­tice européenne d’abord, occi­den­tale ensuite, n’ayant plus rien à voir avec la jus­tice ayant eu cours dans nos con­trées mérid­ionales, le pro­jet de Nass­er-Edine Boucheqif est ambitieux et, l’air de rien, monte un sen­tier peu battu.

Il vient de rassem­bler dans une antholo­gie des poètes français et maro­cains, faisant un signe dis­cret à une idée qui avait l’air d’avoir de l’avenir, et dont on n’en­tend plus par­ler, l’idée d’U­nion méditer­ranéenne. Pour­tant, les bavarois sont, qu’ils le veuil­lent ou non, des méditer­ranéens, et c’est vite enter­rer l’avenir poli­tique de cette mémoire anci­enne que de vouloir tout miser sur un pro­jet européen à la mémoire volon­taire­ment courte.

Comme l’ex­plique Nass­er-Edine Boucheqif dans sa pré­face : “La poésie peut soign­er, édu­quer la sen­si­bil­ité et l’e­sprit, elle exprime les frus­tra­tions et les refoule­ments de l’in­con­scient col­lec­tif et elle en indique aus­si les remèdes, à savoir la recherche du sens et l’ap­préhen­sion glob­ale des ensem­bles, la recon­struc­tion de la per­son­ne et du car­ac­tère à tra­vers une redé­cou­verte con­stante de la lib­erté. La poésie est la clef de l’in­ter­pré­ta­tion des cul­tures et des civil­i­sa­tions, l’ex­pres­sion de leur san­té et de leur métab­o­lisme, elle est la pierre de touche de leurs inspi­ra­tions, elle con­stitue déjà dans une cul­ture une véri­ta­ble indication”.

Nous avons besoin, peu­ple français et peu­ple maro­cain asso­ciés, de nous baign­er dans le calme et la sérénité qui présidèrent à la grande parole poé­tique, celle que tente de nous arracher la tachy­cardie con­tem­po­raine nous réduisant à nous mou­voir dans cette vie en êtres schiz­o­phrènes, déliés de nos aspi­ra­tions pro­fondes, éloignés de la recherche du Bien qui est l’une des véri­ta­bles mis­sions de notre présence en ce ver­sant de la vie. Le tra­vail opéré par Boucheqif relève de cette néces­sité : offrir au lecteur une aire, l’aire du poème, comme l’aire de la sérénité où se croisent aus­si des inquié­tudes et des révoltes, mais sur le rythme du Dit du poème, la sérénité l’emporte sur la tachycardie.

Ain­si quar­ante poètes maro­cains et quar­ante poètes français for­ment ce paque­bot, qui est un voyage.

Un aperçu de cette antholo­gie, en quelques mots ? Nous y trou­vons deux mag­nifiques psaumes de Gérard Bocholi­er, les poèmes épris de clarté de Pas­cal Boulanger, la sen­su­al­ité chez Lamia Seife­dine, le souf­fle de Jean-Pierre Faye, les très beaux poèmes maro­cains de Youssef Lzarak, la fra­ter­nité de Jean-Pierre Védrines, la douleur étouf­fée de Mohamed Miloud Ghar­rafi, la hiéra­tique prosopopée d’An­dré Ughet­to, la voix lap­idaire de Abd-Edine Hamouch, la voix nou­velle de Pas­cale Trück, la révolte de Fati­ma Akjouj, la haute inspi­ra­tion de Nohad Salameh, la beauté dérobée au secret de Marc Alyn, le regard prophé­tique de Matthieu Bau­mi­er, le par­adis sur le bout de la langue de Gwen Garnier-Duguy.

Nous atten­dons les autres vol­umes avec impatience. 

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