La Rumeur libre con­tin­ue la réédi­tion d’œu­vres poé­tiques. Sont déjà parus Patrick Laupin, Eugène Durif, Gilles Jal­let, Roger Dex­tre, Annie Salager, Patrick Dubost, Jea­nine Baude, François Mont­maneix, Niko­laï Zabo­lats­ki, Sylvestre Clanci­er, Mau­rio Macario… Je n’ai pas tout reçu en SP ! Heureuse­ment car je n’au­rais pas eu le temps de tout lire. Mais j’ai sur ma table de tra­vail le tome I des œuvres poé­tiques de Thier­ry Renard qui regroupe des recueils parus de 1983 à 2006 : Le fait noir, Main­tenant la nuit, L’in­jus­tice com­mence ici, L’E­spérance récom­pen­sée, Il neige sur ta face,  L’É­clo­sion du coqueli­cot et Nep­tune Mam­bo dans des ver­sions revues et cor­rigées. Rien qui ressem­ble à la Pléi­ade car les auteurs sont tou­jours vivants, ils con­tin­u­ent donc leur œuvre… Mais la réédi­tion d’Œu­vres poé­tiques est une expéri­ence red­outable pour les auteurs : le temps ayant passé les poèmes n’ont-ils pas vieil­li jusqu’à devenir illis­i­bles ? Le rap­port à soi est-il tou­jours évident ?

            Patrick Laupin dans sa pré­face au Fait noir par­le de “géo­gra­phie men­tale”. De fait, ce vol­ume est sou­vent auto­bi­ographique. Comme si Thier­ry Renard était à la recherche de ce qu’il fut. Non qu’il ait la grosse tête car il écrit dans un poème du Fait noir : “à quoi ser­vent les livres / qui jamais ne seront lus  ?” (p 45), idée qu’il repren­dra dans Nep­tune Mam­bo sous une forme légère­ment dif­férente : “J’écris pour le plus grand nom­bre même si presque per­son­ne ne me lit”, soit presqu’un quart de siè­cle plus tard. Mais il ajoute : “J’écris pour naître pour grandir pour tenir debout” (p 420). Thier­ry Renard passe du con­stat aux  raisons per­son­nelles qui le poussent à se bat­tre con­tre des moulins à vent.  Pour que les choses soient claires, dans le même poème (juste­ment inti­t­ulé J’écris) il note : “J’écris enfin pour vivre / Pour ne pas mourir / Ne jamais renon­cer” (p 422). Pou­vait-il mieux affirmer la néces­sité de l’écri­t­ure poé­tique ? Poésie et vie con­sub­stantielle­ment liées… Rien de ce qui arrive dans le monde n’est étranger à Thier­ry Renard ; c’est ce qui fait l’u­nité de ce vol­ume. Est-ce dans ce but que les recueils sont soigneuse­ment datés et situés ? En tout cas, le poète exploite ses voy­ages (qui pren­nent par­fois l’aspect de rési­dences), les événe­ments qu’il vit, ses réac­tions à l’ac­tu­al­ité, ses lec­tures (poètes et romanciers)… On peut donc étudi­er com­ment le poème se fab­rique. Dans L’É­clo­sion du coqueli­cot, une sec­tion (la cinquième) retient l’at­ten­tion : Let­tres à une amie rwandaise, écrite en sep­tem­bre 1999 et qui se donne pour une fic­tion. Faut-il rap­pel­er qu’en 1994 eut lieu au Rwan­da le géno­cide des Tut­sis par les Hutus ? Sans entr­er dans le détail de l’His­toire, on peut relever dans ce qu’écrit Thier­ry Renard (5 ans après les faits) qu’il se dit lui-même “itinérant” ; il va même jusqu’à proclamer (p 306) “Vous et moi savons les traces lais­sées / par les con­flits / un peu partout dans le monde”. Cette empathie prou­ve la prox­im­ité de Thier­ry Renard par rap­port à ce qui s’est passé au Rwan­da ce qui ne l’empêche pas de s’in­ter­roger : “mais / juste­ment / quel est le prix à pay­er ?” Le poète se tient soigneuse­ment à dis­tance de l’indig­na­tion facile, de la con­damna­tion inévitable ; il se refuse à illus­tr­er l’en­gage­ment pur et dur… Cette effi­cac­ité est remar­quable :  car ces let­tres  sans mémoire  “témoignent de ce nous sommes : / Soli­taires.  Égarés. Dému­nis.” Car “L’É­clo­sion du coqueli­cot” est le résul­tat d’une rési­dence à Rochefort-sur-Loire qui s’est déroulée pen­dant l’an­née 2001. Reste que la plu­part des textes ont été écrits à Rochefort… Mais pas exclu­sive­ment… L’au­to­bi­ogra­phie mêle donc le réel à la fic­tion, mais une fic­tion enrac­inée dans le réel.

            Pour finir cet essai, quelques mots sur Nep­tune Man­bo que j’ai lu lors de sa sor­tie. J’aime ce beau titre énig­ma­tique ; si le mam­bo est une danse d’o­rig­ine cubaine et qui eut son heure de gloire approx­i­ma­tive­ment dans les années 40/50 du siè­cle dernier, si Nep­tune est le dieu de la mer, le titre désigne la réc­on­cil­i­a­tion des impal­pa­bles que sont la danse et l’eau… De fait, à la lec­ture des poèmes de ce recueil,  la poésie naît de l’au­to­bi­ogra­phie de Thier­ry Renard. Voilà qui donne tout son sens à ces mots : écrit “pour le plus grand nom­bre même si presque per­son­ne ne me lit”…  C’est que l’écri­t­ure est d’une néces­sité absolue : “Ne jamais renon­cer”. Tout est alors dit et c’est sans doute le plus émou­vant des recueils de Thier­ry Renard par la voix sin­gulière et irrem­plaçable qui s’en dégage…

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