Pascal Boulanger, En bleu adorable

Par |2023-09-06T21:38:38+02:00 5 septembre 2023|Catégories : Critiques, Pascal Boulanger|

Qu’est-ce qui pousse Pas­cal Boulanger à livr­er ses Car­nets de l’année 2019 à 2022 ? Que nous appren­nent-ils après Jusqu’à présent je suis en chemin (2016–2018) et Con­fi­te­or (2012–2013) ? De quoi trait­ent-ils en con­vo­quant notam­ment avec insis­tance Hölder­lin, Chateaubriand, Rim­baud, Lautréa­mont, Bre­ton, Claudel, Hei­deg­ger, Pleynet, Minière, Sollers, Debord ? 

C’est recen­tr­er pour l’au­teur et le lecteur la ques­tion sur la tra­ver­sée sin­gulière de ces écri­t­ures. Dans le trait et le retrait d’une vie qui est venue trou­ver refuge en Bre­tagne. Qui per­met au poète de pass­er au crible l’ac­tu­al­ité avec la bonne dis­tance et qui mesure l’étendue de la perte. De la perte de sens, de la pen­sée, de la lit­téra­ture. À revers du ressen­ti­ment, Pas­cal Boulanger choisit le présent. La poésie est cette activ­ité qui per­met de penser ensem­ble les enjeux du présent. Pas­cal Boulanger y chem­ine de sen­tier en chemin de tra­verse. Et s’il fustige cer­tains poètes, s’est pour mieux pré­cis­er ce qu’il entend défendre : sa pro­pre tra­ver­sée. Car c’est à tra­vers elle que se des­sine pour Pas­cal Boulanger un hori­zon dans l’ouvert de l’aujourd’hui. Être d’accord avec soi-même sig­ni­fie être d’accord avec ses influ­ences et en assumer les con­tra­dic­tions néces­saires. C’est aus­si s’en amuser, car la lit­téra­ture per­met le jeu, la rail­lerie, l’ironie. C’est revenir sans cesse sur des expéri­ences de vies et de lec­tures. Pas­cal Boulanger est depuis tou­jours un lecteur de Par­adis de Sollers qu’il place non pas en marge d’une écri­t­ure d’a­vant-garde, mais au cen­tre d’une écri­t­ure poé­tique. À l’in­star de Joyce et de Sollers, Pas­cal Boulanger s’ac­corde à par­ler d’épiphanie. D’épiphanie dans la vie et l’écri­t­ure. Dans la poésie et l’ex­is­tence. Car la poésie n’est pas dénuée d’ex­is­tence et l’ex­is­tence de poésie. Pour le poète Pas­cal Boulanger : « La poésie comme épiphanie et comme abîme se donne immé­di­ate­ment. » Comme il aime à le rap­pel­er : « L’épiphanie sur­git, sans pourquoi, sans com­merce, s’engouffre dans l’horloge des fleurs, avant que le chaos des émo­tions et des émeutes ne retourne à l’ordre, avant que des empreintes ne soient figées dans l’ambre de l’histoire. » C’est bien la pen­sée du poé­tique qui fonde l’écriture. Un poète sans penser cette dépense n’écrit pas. Il se répète. Il répète la lit­téra­ture. Un pon­cif. Au con­traire de la tra­ver­sée, de la pen­sée et de l’écrire. 

Pas­cal Boulanger, En bleu adorable, Car­nets 2019–2022, Edi­tions Tin­bad, 85 p., 15 €.

 

 

D’en faire l’écho un présent. Le titre de ses Car­nets porte le titre d’un poème exhumé de l’his­toire et traduit par André du Bouchet : En bleu adorable. « Habiter poé­tique­ment le monde (et non pas économique­ment) écrit Boulanger, con­siste à guet­ter n’importe quel motif qui sur­git en bleu adorable. La folle sagesse d’Hölderlin a été de tenir à dis­tance le monde afin de l’approcher au plus près. » On y recon­nait bien ce qui fait la spé­ci­ficité de l’écri­t­ure de Boulanger : « Être là, dans l’échec et la ques­tion, dans la beauté qui ne fait pas ques­tion, marcheur qui pense en marchant et par­le dans un sai­sisse­ment qui le des­saisit. » Ce qui donne à la phrase de Pas­cal Boulanger sa ten­sion et sa den­sité. Jamais loin de Hölder­lin, jamais loin de Rim­baud. De toute la lit­téra­ture en mou­ve­ment dans l’écri­t­ure : « Vivre comme un dieu, igno­rant l’heure qui sonne, voy­ant tout dans un éclair. Je savoure moi aus­si des joies pro­fondes à errer à tra­vers champs, j’ai assez de ce qui m’entoure pour assou­vir mon appétit de mer­veilleux et je m’approche, sans crainte, des villes splen­dides. J’avance oublieux dans la lumière des ruines et c’est au bas des falais­es tail­lées à pic, le désert soudain déployé à perte de vue. » Puisse ce sai­sisse­ment dans ce des­sai­sisse­ment continuer.


Présentation de l’auteur

Pascal Boulanger

Pas­cal Boulanger, poète et cri­tique lit­téraire né en 1957, père de deux filles, vit près de Com­bourg, en Ile et Vilaine depuis son départ à la retraite. Il a été bib­lio­thé­caire en ban­lieue parisi­enne, d’abord à Bezons (Val d’Oise) puis à Mon­treuil (Seine Saint Denis). Il a mené des ate­liers d’écriture et a été à l’initiative de nom­breuses actions cul­turelles dans le cadre de ses fonc­tions pro­fes­sion­nelles. Il a pub­lié des arti­cles et des chroniques dans des revues, par­mi lesquelles « Action poé­tique », « art­press », « Europe »,  « Triages », « Poési­bao », « Sitaud­is », « Recours au poème »…

Depuis 1991, date de la paru­tion de son pre­mier livre « Sep­tem­bre, déjà » (Europe-Poésie), il a pub­lié des recueils poé­tiques (chez Flam­mar­i­on, Tara­buste, Cor­levour…) des antholo­gies cri­tiques et des car­nets. En 2018, Guil­laume Basquin des édi­tions Tin­bad, pub­lie une copieuse antholo­gie de ses poèmes, sous le titre : « Trame : antholo­gie 1991–2018, suiv­ie de L’amour là ». En 2020 et 2022, les édi­tons du Cygne pub­lient ses recueils « L’intime dense » et « Si la poésie doit tout dire… ». Il est l’auteur, avec Solveig Con­rad-Bouch­er, d’une étude sur Chateaubriand (Edi­tions Arfuyen). En 2023, les édi­tons Tin­bad pub­lient le troisième vol­ume de ses car­nets : « En bleu adorable ».

Bibliographie 

  • Sep­tem­bre, déjà, éd. Mes­si­dor, 1991
  • Mar­tin­gale, éd. Flam­mar­i­on, 1995.
  • Une action poé­tiquede 1950 à aujourd’hui, éd. Flam­mar­i­on, 1998.
  • Le bel aujourd’hui, éd. Tara­buste, 1999.
  • Tacite, éd. Flam­mar­i­on, 2001
  • Le corps cer­tain, éd. Com­p’Act, 2001.
  • L’émotion l’émeute, éd. Tara­buste, 2003Jon­gleur, éd. Com­p’Act, 2005.
  • Jon­gleur, éd. Comp’act, 2005
  • Sus­pendu au réc­it… la ques­tion du nihilisme, éd. Com­p’Act, 2006.
  • Fusées et pap­er­olesL’Act Mem, 2008.
  • Jamais ne dorsle cor­ri­dor bleu, 2008.
  • Cher­chant ce que je sais déjàÉdi­tions de l’Amandier], 2009.
  • L’échappée belle, Wig­wam, 2009.
  • Un ciel ouvert en toute sai­sonLe cor­ri­dor bleu, 2010.
  • Le lierre la foudre, éd. de Cor­levour, 2011.
  • Faire la vie : entre­tien avec Jacques Hen­ric, éd. de Cor­levour, 2013.
  • Au com­mence­ment des douleurs, éd. de Cor­levour, 2013.
  • Dans les fleurs du souci, éd. du Petit Flou, 2014
  • Essai, éd. Tit­uli, mars 2015
  • Guerre per­due, éd. Pas­sage d’en­cre, coll. “Trait court”, 2015.
  • Mourir ne me suf­fit pas, pré­face de Jean-Pierre Lemaire, éd. de Cor­levour,  2016.
  • Trame : antholo­gie, 1991–2018, suivi de L’amour là, Tin­bad, 2018.
  • Jusqu’à présent, je suis en chemin — Car­nets : 2016–2018, éd. Tit­uli, 2019
  • L’intime dense, éd. du Cygne, 2021
  • Si la poésie doit tout dire, éd. du Cygne, 2022
  • Ain­si par­lait Chateaubriand, avec Solveig Con­rad Bouch­er (Arfuyen), 2023
  • En bleu adorable, Tin­bad, 2023

Autres lec­tures

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Arnaud Le Vac

Arnaud Le Vac est né en 1978 en Ile-de-France. A pub­lié dans l’Anthologie Triages, les revues Ce qui reste, Paysages écrits, Pas­sage d’encres III, Réso­nance générale. Il dirige et ani­me la revue le sac du semeur. Revue le sac du semeur : https://lesacdusemeur.wordpress.com/
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