Xavier Makowski, Chasse-Ténèbres

Par |2025-05-06T08:05:23+02:00 6 mai 2025|Catégories : Critiques, Xavier Makowski|

Voici un livre à apprivois­er ! Plein de mots à décou­vrir, mots du ter­roir, mots éru­dits, sur­prenants, déroutants, intim­i­dants. Inso­lites. Tout un décodage du Verbe, que Xavier Makows­ki appelle « des mots à épin­gler comme des espèces rares et à libér­er dans cette poly­phonie, cette cacoph­o­nie de chas­s­es-ténèbres. » Les mots pour le dire, les mots pour chas­s­er les ténèbres, d’où le titre du livre, qui fait référence à une anci­enne pra­tique paysanne musi­cale pour chas­s­er les mau­vais esprits de l’hiver avec des instru­ments qui peut-être furent tout d’abord des flûtes, sif­flets, et râcleurs puis sans doute plus tard des man­dores, galou­bets, ou busines, sans oubli­er la tou­touro dont une note à la fin du livre dit qu’elle était la trompette d’Aubagne ou de la Saint Jean. Trompettes en terre cuite trou­vées sur le Mont Ven­toux et ténèbres ter­ri­ennes : nous voici au cœur du livre.

 

Pour com­pren­dre ce long poème pub­lié dans un for­mat car­net d’écolier ou jour­nal de bord, il faut tout d’abord pénétr­er dans l’intimité des ténèbres qui ont entouré Xavier Makows­ki à l’été 2022. Une intim­ité dont il n’est pas cou­tu­mi­er, car il n’aime ni se van­ter ni se plain­dre, ain­si que le mon­trent ses œuvres plas­tiques https://www.xaviermakowski.com/ tout imprégnées de philoso­phie et d’anthropologie. Mais, telles les Par­ques, trois fatal­ités se sont abattues sur lui. En par­al­lèle, la mal­adie d’Alzheimer qui fait per­dre l’usage de la parole rationnelle et laleucémie lym­phoïde chronique. La mort a pris la mère et men­ace le fils, cette men­ace se dou­blant d’un désas­tre écologique, soit les incendies de l’été 2022 ou « tout a brûlé » en Provence. 

Trois des­tins divisés en sept his­toires dont la nar­ra­tion est un tis­sage entre­croisé dès le début et dont les acteurs se retrou­vent ci-dessous, ci-dessus la trame, depuis la pre­mière par­tie inti­t­ulée « Annonce » jusqu’à la dernière par­tie inti­t­ulée « Ter­ri­enne. » Il y a aus­si une mise en déséquili­bre entre la cail­lasse de Sisyphe qu’il faut con­quérir comme le fit Tom Simp­son, le cycliste bri­tan­nique mort en 1967 au som­met du Mont Ven­toux et la sen­sa­tion de tomber dans un « creux » qui suit un cauchemar sou­vent hypnopompique.

Xavier Makows­ki. Chas­se-Ténèbres. Saint Pierre : Le cor­ri­dor Bleu, 2025. 142 p. ISBN 9782493214065.

Ces drames en forme de miroir nous emmè­nent dans la danse des mots. Cer­tains ont sur­gi de l’enfance nor­mande de la mère, juste avant que la mal­adie ne la prive de l’usage de la parole, rap­pelant de deli­cieuses evo­ca­tions culi­naires ou visuelles (clopo­ing, berne, mucre, tue-vaque, teur­goule). D’autres sont liés aux thérapies du can­cer (Güm­precht, Véné­to­clax, Gazy­varo) ou vien­nent d’erreurs syn­tax­iques, orthographiques ou typographiques (bien mal­gré que, lan­guécrasénoire, lan­i­ma, Vois­in­col­labo). D’autres encore procè­dent par ono­matopées ou allitéra­tions. Les langues ain­si inven­tées se brouil­lent tout autant que les lieux con­fondent le réel (Provence, Nor­mandie, hôpi­tal) avec les lieux imag­i­naires d’un per­son­nage fan­toche, l’apprenti-plaquiste.

Écrit en une nuit de canicule et d’insomnie, dans un état hyp­n­a­gogique jumeau de l’intuition créa­trice, ce long poème forme un réc­it « bricolé » qui se décom­pose au gré des pages, tel une bande dess­inée, en pel­licules indi­vidu­elles. Il s’y mêle les sou­venirs per­son­nels de l’auteur, les sou­venirs racon­tés par sa mère, des rêves, et des réal­ités intérieures et extérieures. Le rythme de ces nar­ra­tions est aéré mais, pas­sant d’une réflex­ion à une autre, con­stitue un con­tinu nar­ratif où s’entrechoquent per­son­nages, endroits, et événe­ments qui jouent à cache-cache au fil des pages. Ce con­tinu force le lecteur à con­cevoir la vasti­tude du réc­it, tout en notant les pen­sées indi­vidu­elles, réflex­ions sur l’art, vignettes pris­es sur le vif, ou obser­va­tions du quo­ti­di­en qui découpent l’action et for­cent le lecteur à chang­er de vitesse. Le tout est de ne pas per­dre le fil directeur. 

L’ironie est une tech­nique impor­tante pour Xavier Makows­ki. Le trick­ster (tricheur, filou, coquin, bouf­fon) des tribus natives d’Amérique du Nord, le Brer Rab­bit des gri­ots africains et des réc­its afro-améri­cains n’ont pas de secret pour lui. L’ironie ain­si com­prise n’est pas l’ironie occi­den­tale directe, par­fois cinglante, tou­jours amu­sante, tou­jours rapi­de. Elle n’est ni la rail­lerie ni le sous-enten­du. L’ironie chez Xavier Makows­ki est indi­recte, dis­tante, elle est une forme de résis­tance à l’adversité, comme l’ont si bien dit les écrivains de l’Europe de l’Est pen­dant la guerre froide. Et si elle fait con­tre­point à la grav­ité du sujet, c’est pour amen­er le lecteur à une vision philosophique et apaisée. Ain­si l’énigmatique appren­ti plaquiste qui inter­vient de temps en temps dans les his­toires vécues, four­nit-il des digres­sions amu­santes tout en définis­sant le con­tre­point entre con­tinu et sépa­ra­tion et en ren­forçant l’effet de miroir des sept his­toires. Même la danse des mots est un clin d’œil au lan­gage, une forme d’ironie sub­tile vis-à-vis de la réal­ité, un sig­nal que le lecteur ignor­erait à son détri­ment et qu’il doit com­mencer par apprivois­er afin de com­pren­dre com­ment le « chas­se-ténèbres » exor­cise tout ce qui fait mal et qui grince.

Présentation de l’auteur

Xavier Makowski

Né en 1976, Xavier Makows­ki grandit dans le Vau­cluse dans un envi­ron­nement dit “rur­bain”, agri­cole et touris­tique. Envi­ron­nement qui s’im­pose rapi­de­ment comme ter­ri­toire d’ob­ser­va­tion, mêlant nature et con­sumérisme. Avec cet arrière-plan, il développe un tra­vail plas­tique prenant sens dans des instal­la­tions recourant à divers médi­ums (objets, pho­togra­phies, aquarelles, textes, …).

Bibliographie

Expositions personnelles

Otium Col­lecte, Musée Gal­­lo-Romain Vil­la Lou­pi­an, Lou­pi­an (34), JUIN > SEPTEMBRE  2020

Indul­gere Genio, Espace o25rjj, Lou­pi­an (34), JUIN > SEPTEMBRE  2020

Petit out­il­lage de print­emps, Librairie Let­tres Vives, Taras­con (13), AVRIL 2018

Cabanon Grands Plantiers, Inter­ven­tion dans un cabanon de vignes , Sainte Cécile les vignes (84), JUIN 2018

Furtive­ment My art goes boom — Late­lier, Sète (34), FÉVRIER 2018

Omnia hec pul­cra exun­tia , Mai­son des Jeunes et de la Cul­ture, Car­pen­tras (84), 2007

Petit bon­jour de Sainte Cécile, Musée Louis Gau­thi­er — Sainte Cécile les vignes (84)

Inter­ven­tion au sein de la col­lec­tion ento­mologique Louis Gau­thi­er, 2006

Expositions collectives

My art goes boom, Vil­la Dutoit — Genève (Suisse), 2017

Chantier Inter­dit au pub­lic, avec Renaud Bar­gues, Thibault Franc, Xavier Makows­ki, Antoine Picard, Espace E3 galerie col­lec­tive — Arles (13), 2016 

Les Nou­veaux rural­istes, avec Aurélie Pey­ron, Ate­liers de la fac­ulté d’Arts Plas­tiques, Aix-en-Provence (13), 2001

Kitsh Art, Musée Louis Gau­thi­er, Sainte Cécile les vignes (84), 2014

Publications revues

• Les Car­nets du Ven­toux (poésie)

• Doc(k)s numéro « Nature — de l’imitation au clon­age » (Aquarelles de la série paysage)

• D’ici là (poésie)

• Diérèse (poésie)

• Cat­a­stro­phes (poésie)

Poèmes choi­sis

Autres lec­tures

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Alice-Catherine Carls

For­mée en Sor­bonne aux let­tres et civil­i­sa­tions alle­mande et polon­aise, tit­u­laire d’un Doc­tor­at d’Histoire des Rela­tions Inter­na­tionales de Paris I, Alice-Cather­ine Carls est actuelle­ment Tom Elam Dis­tin­guished Pro­fes­sor of His­to­ry à l’Université de Ten­nessee à Mar­tin où elle enseigne depuis 1992 l’Histoire mon­di­ale, européenne, et con­tem­po­raine. Elle col­la­bore régulire­ment et/ou fait par­tie du comité de rédac­tion de plusieurs revues et est mem­bre du jury du Céna­cle européen de Poésie, Arts, et Let­tres. Elle partage ses activ­ités entre la recherche his­torique, les tra­duc­tions lit­téraires (du polon­ais et de l’anglais améri­cain en français et du polon­ais et du français en anglais améri­cain), et les arti­cles de cri­tique lit­téraire. Elle a été pub­liée en polon­ais, alle­mand, anglais, et français ; en Hon­grie, Pologne, Alle­magne, Suisse, France, Bel­gique, et aux Etats-Unis.

Ses livres com­por­tent une étude his­torique sur la Ville Libre de Dantzig en 1938–1939, et une his­toire de l’Europe au XXème siè­cle, Europe from War to War, 1914–1918 (Rout­ledge, 2018). Elle col­la­bore régulièr­ere­ment aux revues “World Lit­er­a­ture Today,” “Poésie Pre­mière,” “Le Jour­nal des Poètes,” et « Recours au Poème. » Elle a fait con­naître en français la poésie de nom­breux poètes améri­cains, amérin­di­ens, et polon­ais, dont Stu­art Dybek, Mar­ilou Awiak­ta, Charles Wright, et Ren Pow­ell. Elle a pub­lié plusieurs vol­umes de tra­duc­tions en français (Stephen D. Carls, Józef Wit­tlin, Joan­na Pol­laków­na, Anna Fra­jlich, Jan Kochanows­ki, et Alek­sander Wat), et a intro­duit aux Etats-Unis l’oeuvre de Claude Michel Cluny, Maria Maïlat, Hélène Dori­on, et Marc Alyn.

 

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