L’amour de la musique me vint très tôt.  Dès l’âge de qua­tre ans, l’en­trée lumineuse dans l’u­nivers des sons se fit avec Une petite musique de nuit de Mozart.

Pourquoi me direz-vous, com­mencer ces quelques lignes par un sou­venir d’enfance ?

Parce que, cinquante-huit ans plus tard , en 2012, un com­men­ta­teur de France Musique me fit décou­vrir, au sujet de cette par­ti­tion dont je pen­sais avoir fait le tour, une étrange évi­dence qui, cepen­dant, m’avait échap­pé jusque là : le génie mozar­tien a eu l’hu­mil­ité de désign­er par « petit » un de ses plus mirac­uleux moments sinon d’adieu tout au moins de matu­rité (cette petite musique de nuit fut , on le sait, écrite par le Maître de Salzbourg un peu plus de trois ans avant sa mort).

Sec­onde ques­tion :  pourquoi, dans une revue vouée à la poésie, évo­quer Mozart ?

Tout sim­ple­ment parce que cette mod­estie d’un très grand musi­cien devrait faire réfléchir tous les poètes et appren­tis-poètes. Or, trop sou­vent, qu’en­ten­dons-nous si nous par­courons les allées du Bois sacré ? Les uns, sans ver­gogne, par­lent eux-mêmes de « leur oeu­vre poé­tique » — un terme qu’ils devraient,le cas échéant, laiss­er à leurs lecteurs, alors qu’il leur faudrait sim­ple­ment évo­quer « leur tra­vail ». Les autres vous abor­dent en bom­bant le torse et en procla­mant avec inso­lence « Mon­sieur, je suis poète ».

Qu’en savent-ils ? Le fils de Léopold Mozart, lui, bien qu’adoubé par Haydn et admiré par Beethoven, par­lait d’une petite par­ti­tion (eine kleine) alors qu’il aurait pu évo­quer un moment musi­cal mirac­uleux. Où est la vraie sagesse, où se situe le véri­ta­ble artiste ? Le philosophe Stanis­las Fumet a juste­ment écrit que la lit­téra­ture est une faille dans la sat­is­fac­tion de soi. Pourquoi dia­ble bouch­er cette faille avec le ciment de la certitude ?

On a tou­jours intérêt à côtoy­er plus grand que soi : de Mozart, je passe à Guille­vic. Peu après sa mort, sa com­pagne me dis­ait que, dans ses derniers jours, il lui avait dit, désem­paré «  Tu crois que je suis vrai­ment un poète ? ». Une autre fois, comme je lui demandais s’il était heureux d’être recon­nu, oh non, me répon­dit-il, quand tu pens­es au nom­bre de cartes de Nou­v­el-An aux­quelles je dois répondre…

La suff­i­sance et la coquet­terie sont bien les deux âmes damnées qui ten­tent le poète au Jardin des oliviers. Or, les fruits de l’ar­bre poé­tique se récoltent avec la patience et l’hu­mil­ité », les deux soeurs amies du poète.

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