* le recueil  Voces ined­i­tas, regroupant tous les textes retrou­vés après la mort de Porchia (Voces man­u­scrites don­nées par lui à ses amis poètes et artistes ou parues dans divers­es revues et quo­ti­di­ens), fig­ure dans l’édi­tion inté­grale de l’œu­vre d’An­to­nio Porchia, inti­t­ulée Voces reunidas (2006) due aux édi­tions Pre-Tex­tos (Valen­cia).

 

 

*

 

Quisieras poder deten­erte, para deten­erte en algo. Pero ¿hay algo que puede deten­erse, para deten­erte en algo?

Tu voudrais pou­voir t’arrêter, pour t’arrêter dans quelque chose. Mais y a‑t-il quelque chose qui puisse s’arrêter, pour que tu t’arrêtes dans quelque chose ?

 

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Ser es obligarse a ser. Y obligarse a ser es obligarse a ser. No es ser.

Être, c’est s’obliger à être. Et s’obliger à être, c’est s’obliger à être. Ce n’est pas être.

 

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No, las cosas no son como son, porque si fue­sen como son, lo serían siem­pre como son.

Non, les choses ne sont pas comme elles sont, parce que si elles étaient comme elles sont, elles le seraient tou­jours, comme elles sont.

 

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Sabes que te equiv­o­caste ; y si supieras tam­bién que te equiv­o­cas y si supieras tam­bién que te equiv­o­carás, sabrás tan­to cuan­to sé yo.

Tu sais que tu t’es trompé ; et si tu savais aus­si que tu te trompes, et si tu savais aus­si que tu te tromperas, tu en saurais autant que moi.

 

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Y su dolor llegó a ser infini­to, de tan­to no alcan­zar para nada su dolor.

Et sa douleur en vint à être infinie, à force de ne pas tenir pour rien sa douleur.

 

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Estar en com­pañía no es estar con alguien, sino estar en alguien.

Être en com­pag­nie, ce n’est pas être avec quelqu’un, mais être en quelqu’un.

 

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A veces una pal­abra que parece de más no está de más, porque acompaña.

Par­fois un mot qui paraît de trop n’est pas de trop, parce qu’il accompagne.

 

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Y si eres un san­to porque eres un san­to, eres un san­to que no vale nada, porque no te cues­ta nada el ser un santo.

Et si tu es un saint parce que tu es un saint, tu es un saint qui ne vaut rien, parce que ça ne te coûte rien d’être un saint.

 

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Cuan­do creo enten­der un poco qué es la vida, la vida no es ni un misterio.

Quand je crois com­pren­dre un peu ce qu’est la vie, la vie cesse d’être un mystère.

 

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Si me acer­co a ellos con­mi­go, me acer­co a ellos ; y si me acer­co a ellos con ellos, me ale­jo de ellos.

Si je m’approche d’eux de mon fait, je m’approche d’eux ; et si je m’approche d’eux de leur fait, je m’éloigne d’eux.

 

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Los que se lev­an­tan para lev­an­tarse y no para lev­an­tar, no com­pren­do por qué se levantan.

Ceux qui s’élèvent pour s’élever et non pour élever, je ne com­prends pas pourquoi ils s’élèvent.

 

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Me miras como si me dijeras : no te doy nada. Y te lamen­tas, porque te miro como si te dijera : no quiero nada.

Tu me regardes comme si tu me dis­ais : je ne te donne rien. Et tu te désoles, parce que je te regarde comme si je te dis­ais : je ne veux rien.

 

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Estás solo, total­mente solo, y tienes miedo. ¡Oh, quién comprende!

Tu es seul, com­plète­ment seul, et tu as peur. Allez comprendre!

 

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Sólo quien vive murien­do puede resolver sus problemas.

Il n’y a que celui qui vit en mourant qui peut résoudre ses problèmes.

 

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Nadie te lla­ma pobre. Es que nadie te quiere.

Per­son­ne ne t’ap­pelle “mon pau­vre”. C’est que per­son­ne ne t’aime.

 

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Eso que lla­man nada debe ser lo mejor, porque lo mejor del hom­bre se ali­men­ta de eso que lla­man nada.

Ce qu’on appelle rien doit être le meilleur, parce que le meilleur de l’homme se nour­rit de ce qu’on appelle rien.

 

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Vemos hom­bres y hom­bres y hom­bres casi siem­pre, y sólo algu­na vez vemos un hombre.

Nous voyons des hommes et des hommes et des hommes presque tout le temps, et quelque­fois seule­ment nous voyons un homme.

 

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El val­or de cuan­to tienes y de cuan­to no tienes se hal­la en cuan­to te fal­ta, de cuan­to tienes y de cuan­to no tienes.

La valeur de tout ce que tu as et de tout ce que tu n’as pas se trou­ve dans tout ce qu’il te manque de tout ce que tu as et de tout ce que tu n’as pas.

 

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El hom­bre, como está hecho, ¿puede ser el gran hom­bre? No. Y el gran hom­bre, si existe, no debiera lla­marse hombre.

L’homme, comme il est fait, peut-il être le grand homme? Non. Et le grand homme, s’il existe, ne devrait pas s’ap­pel­er homme.

 

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Has ven­ci­do a tu grande dolor. Pero con otro más grande dolor. Y lo has ven­ci­do siem­pre, porque no te ha fal­ta­do nun­ca otro más grande dolor.

Tu as vain­cu ta grande douleur. Mais au moyen d’une autre douleur plus grande. Et tu l’as tou­jours vain­cue, parce que tu n’as jamais man­qué d’autre douleur plus grande.

 

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Si te sal­vas de todo, te pierdes en nada. Si no te sal­vas de nada, te pierdes en todo. Porque de todos mod­os debes perderte. Y si de todos mod­os debes perderte, piérdete en todo.

Si tu te sauves de tout, tu te perds dans rien. Si tu ne te sauves de rien, tu te perds dans tout. Parce que de toutes façons tu dois te per­dre. Et si de toutes façons tu dois te per­dre, perds-toi dans tout.

 

*

 

La estrel­la y el insec­to. Nada más. Para la estrel­la el insec­to y para el insec­to la estrel­la. Y nadie quiere ser el insec­to. ¡Qué extraordinario!

L’é­toile et l’in­secte. Rien d’autre. Pour l’é­toile, l’in­secte et pour l’in­secte l’é­toile. Et per­son­ne ne veut être l’in­secte. Comme c’est extraordinaire !

 

*

 

Son mor­tales los sí de los sí y los no de los no. Y no son mor­tales los sí de los no y los no de los sí.

Sont mor­tels les oui des oui et les non des non. Et ne sont pas mor­tels les oui des non et les non des oui.

 

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No me hacías el mal de cien años has­ta hace un min­u­to. Falta­ba un min­u­to, un min­u­to que había fal­ta­do cien años. Un min­u­to que no quiso fal­tar un minuto.

Tu ne me fai­sais pas le mal de cent années jusqu’à il y a une minute. Il man­quait une minute, une minute qui avait man­qué cent années. Une minute que je n’ai pas voulu man­quer une minute.

 

*

 

Creo que el movimien­to es el no saber, porque se mueven más los de menor saber.

Je crois que le mou­ve­ment est le non-savoir, parce que bougent davan­tage ceux qui ont le moins de savoir.

 

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Si crees que no tienes nada para ofre­cer, a nadie, creo que no deseas ver a nadie.

Si tu crois que tu n’as rien à offrir, à per­son­ne, je crois que tu ne désires voir personne.

 

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Muchas pal­abras, mon­tañas de pal­abras. Y amar es una sola pal­abra. ¡Qué poco es amar!

Beau­coup de mots, des mon­tagnes de mots. Et aimer est un seul mot. Que c’est peu de chose, aimer!

 

*

 

No digo mal de ti, ¡oh, no! Digo que me estás matando.

Je ne dis pas de mal de toi, oh non! Je dis que tu es en train de me tuer.

 

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Me das todo lo que puedes, pero sin nada de lo que no puedes. Me das un cuer­po sin alma.

Tu me donnes tout ce que tu peux, mais sans rien de ce que tu ne peux pas. Tu me donnes un corps sans âme.

 

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Hay un cuan­do que me muero que es cuan­do estoy ante lo bel­lo ; hay un cuan­do que me mato que es cuan­do estoy ante lo feo, y hay un cuan­do que no me muero ni me mato que es cuan­do estoy ante lo tonto.

Il y a un moment où je me meurs, c’est quand je suis devant ce qui est beau ; il y a un moment où je me tue, c’est quand je suis devant ce qui est laid ; et il y a un moment où ni je ne me meurs ni je ne me tue, c’est quand je suis devant ce qui est sot.

 

LES VOIX D’ANTONIO PORCHIA : UN UNIQUE LIVRE ET UN LIVRE UNIQUE

 

 

UN UNIQUE LIVRE : LE LIVRE D’UNE VIE

1885 – nais­sance à Con­flen­ti (Cal­abre) d’Antonio Porchia. Aîné de 7 enfants.

1902 – la mort du père con­traint la famille à émi­gr­er en Argen­tine, à Buenos Aires. Anto­nio en assure la sub­sis­tance, d’abord en tant que dock­er et jour­nalier, puis en tant que patron, avec un de ses frères, d’une petite imprimerie. Per­son­nal­ité réservée et généreuse, il fréquentera toute sa vie un groupe d’artistes, pour la plu­part émi­grés comme lui, regroupés en une asso­ci­a­tion dénom­mée Impul­so.

1936 — une fois sa famille établie, il choisit (ou est choisi) par la soli­tude, s’achète une petite mai­son avec jardin, où il passera son temps à peaufin­er ces sortes de « sen­tences » qui car­ac­térisent sa con­ver­sa­tion quo­ti­di­enne avec ses amis, et qui appa­rais­saient déjà dans les quelques arti­cles écrits dans sa vie de jeune mil­i­tant ouvrier.

1943 — sur les instances de ses amis d’Impul­so, il pub­lie à compte d’auteur un pre­mier recueil de ce qu’il appellera lui-même des « voix ». Embar­rassé par les 1000 vol­umes de cette pre­mière édi­tion, il décide d’en faire don à une insti­tu­tion qui coor­donne le réseau de bib­lio­thèques munic­i­pales qui cou­vre tout le pays. C’est ain­si que ses voix parvi­en­nent au fin fond des provinces argen­tines, où elles sont reçues d’abord avec sur­prise, puis avec vénéra­tion par des lecteurs atten­tifs ; beau­coup recopi­ent à la main les voix et com­men­cent à les faire circuler.

1948 : les réper­cus­sions secrètes de la pre­mière édi­tion amè­nent Porchia à en entre­pren­dre une sec­onde, tou­jours sous l’égide d’Impul­so, avec du matériel nou­veau. Un exem­plaire de la pre­mière édi­tion arrive entre les mains du poète et cri­tique français Roger Cail­lois, mem­bre du comité de rédac­tion de la pres­tigieuse revue Sur. Roger Cail­lois invite Porchia à pub­li­er dans Sur, où sont fréquentes les col­lab­o­ra­tions des plus émi­nents écrivains de langue espag­nole, ain­si que des tra­duc­tions de pre­mière ligne. Mais Cail­lois doit ren­tr­er en France, et la col­lab­o­ra­tion se heurte à des malen­ten­dus : on veut faire « cor­riger » à Porchia ce qu’on estime être des « fautes de gram­maire ». Porchia retire son texte.

Pen­dant ce temps, Roger Cail­lois traduit les voix et les fait éditer dans une pla­que­tte de la col­lec­tion G.L.M. (Voix, Paris 1949). La lec­ture de cette tra­duc­tion éveille l’admiration, entres autres, de Hen­ry Miller, qui fait fig­ur­er Porchia par­mi les 100 livres d’une bib­lio­thèque idéale ! Le renom de l’édition française va enfin don­ner aux Voix l’occasion d’être pub­liées dans la revue Sur. À la suite de cela, les édi­tions Hachette pub­lieront en Argen­tine une sélec­tion de Voces, aug­men­tées de Nuevas voces (1966).

1968 — mort d’An­to­nio Porchia à Buenos Aires, le 9 novembre.

La fas­ci­na­tion ne se relâche pas : tan­dis qu’en Amérique du Sud, les réédi­tions suc­ces­sives d’Hachette sont épuisées, les Voix sont traduites et pub­liées en Bel­gique, en Alle­magne, aux États Unis, en Ital­ie et rééditées en France.

2006 — pub­li­ca­tion par les édi­tions Pre-Tex­tos (Valen­cia) de l’édi­tion inté­grale des Voix d’An­to­nio Porchia, aug­men­tée d’un impor­tant appareil cri­tique ; c’est sur cette édi­tion que s’est appuyée la présente traduction.



 UNE UNIQUE PENSÉE

« Ma pen­sée est une seule car je n’ai jamais cessé de penser »  (Anto­nio Porchia)

 

« Ces pen­sées ne sont pas des idées, et c’est tout juste si ce sont des pen­sées ; elles ne man­i­fes­tent ni logique ni psy­cholo­gie, mais bien plutôt une méta­physique, une méta­physique où il faut devin­er bien plus que com­pren­dre, et, si l’on devine, choisir d’entre les formes de div­ina­tion celle qui laisse la plus grande place à la sym­pa­thie, c’est-à-dire, qui per­met de se laiss­er aller, d’abandonner les divers­es rigid­ités ou ten­sions ou états d’alerte de tout ordre, qui, pour le com­mun, sont insé­para­bles de l’effort intel­lectuel. C’est que, peut-être, il ne s’agit pas de s’efforcer. » (Roger Caillois)

 

« Les pen­sées de ce vol­ume vont beau­coup plus loin que le texte écrit ; elles ne sont pas un aboutisse­ment mais un com­mence­ment. Elles ne cherchent pas à pro­duire un effet. Nous pou­vons pré­sumer que l’auteur les a écrites pour lui-même sans savoir qu’il traçait pour les autres l’image d’un homme soli­taire, lucide et con­scient du sin­guli­er mys­tère de chaque instant. » (Jorge Luis Borges)

 

« Je crois que Porchia est sur la ligne fon­da­men­tale où se rejoignent la pen­sée et l’image, la poésie et la philoso­phie, dont la sépa­ra­tion arti­fi­cielle con­stitue peut-être un de nos plus grands lests. » (Rober­to Juarroz)

 

 

UN ÊTRE  UNIQUE : « QUELQU’UN »

« C’était un être qui, de la même façon qu’il était là aurait pu avoir été dans un autre univers ; c’était un indi­vidu qui avait la disponi­bil­ité de penser ce qui, apparem­ment, n’a pas besoin d’être pen­sé, et cepen­dant de cette pen­sée il extrait l’inédit, ce que nous n’avions pas vu. Il vivait ses voix. » (Rober­to Juarroz)

 

« Il par­lait tou­jours de la beauté. Il ne racon­tait jamais d’anecdotes sur sa vie, il ne par­lait que de thèmes abstraits et éter­nelle­ment en rap­port avec la grande Har­monie. Jamais je ne l’ai enten­du pronon­cer une parole amère, et pour­tant, il avait souf­fert          comme bien peu. Mais chaque coup se trans­for­mait, après des années de médi­ta­tion, en une brève phrase de sagesse. Per­son­ne ne s’est encore ren­du compte com­bi­en les Voix de Porchia sont auto­bi­ographiques, minute par minute, une par une, elles le racon­tent, pas à la façon directe d’un homme qui dit com­ment les choses l’ont blessé, mais à la manière tran­scendée d’un authen­tique vision­naire. Porchia était en paix. Il paya de sa soli­tude, de sa vie de moine, tant de chance. (Libero Badii)

 

« Mon livre Voix est qua­si­ment une biogra­phie. Qui est qua­si­ment à tout le monde. » (Anto­nio Porchia)

 

 

UN LANGAGE UNIQUE : LE LANGAGE DE LA POÉSIE

« Chaque fois que je reviens vers l’œuvre de Porchia, je vois réap­pa­raître avec toute sa force ce vieux mot qu’on n’utilise presque plus main­tenant : sagesse. Une sagesse portée par un lan­gage très par­ti­c­uli­er, qui ne craint pas les appar­entes répéti­tions : Porchia croy­ait que les syn­onymes n’existaient pas, que chaque mot est dif­férent selon la posi­tion qu’il occupe dans la struc­ture syn­tax­ique. C’est pour cela que par­fois les gram­mairiens, les cri­tiques, les for­mal­istes, se sen­tent embar­rassés devant une écri­t­ure comme celle-là : dans une cer­taine mesure, elle met en crise leurs for­mules, leurs pré­ceptes. » (Rober­to Juarroz)

 

« Il écrivait très peu, qua­tre ou cinq phras­es par an. Mais il tra­vail­lait cha­cune d’elles avec une rigueur non seule­ment intérieure mais aus­si d’artiste du lan­gage. Il était mani­aque quant aux vir­gules, parce qu’une vir­gule est fon­da­men­tale pour mar­quer les nuances de sa pen­sée. Je ne l’ai jamais vu furieux que pour cela : pour une vir­gule erronée dans le texte imprimé. » (Libero Badii)

 

« Qu’on ne dise jamais que j’écris des apho­rismes. Je me sen­ti­rais humil­ié. » (Anto­nio Porchia)

 

« L’antipathique de l’aphorisme : celui qui l’énonce sait, ou croit qu’il sait, et donne à enten­dre qu’il sait (la plu­part du temps, avec un excès d’emphase). La poésie ne sait pas. Les meilleurs « apho­rismes » ne sont pas tels, ils sont poésie ».            (Jorge Reichmann)

 

« Le poète n’est pas une chose toute faite, il est l’ignoré de lui-même. Le créa­teur s’ignore tou­jours. La créa­tion est ce qui n’était pas. » (Anto­nio Porchia)

« Celui qui est (poète) n’a que ce qu’il n’est pas. » (Anto­nio Porchia)

 

« L’apprentissage n’est pas poésie, puisque la poésie se fait sans que l’on sache la faire. » (Anto­nio Porchia)

 

« Quand elle est quelque chose, elle n’est pas quelque chose, elle est tout. La poésie est tou­jours un tout. Les autres arts, si ce sont des arts, sont poésie. La poésie unit, relie ; quand nous sommes, nous sommes des unions. Nous autres, nous sommes à un cer­tain moment, qui devient tou­jours, après nous ne sommes pas. Le reste est un vide, c’est le super­flu. Nous autres, nous vivons de sou­venirs, de moments, c’est ce qui ali­mente. » (Anto­nio Porchia)

 

 

UNE ŒUVRE UNIQUE AU DESTIN UNIQUE 

« J’ai trou­vé l’œuvre de Porchia à Buenos Aires quand je fai­sais la recen­sion des livres que nous envoy­aient les auteurs pour les com­menter dans Sur. Évidem­ment, on en rece­vait telle­ment que je les lisais super­fi­cielle­ment pour sélec­tion­ner ceux qui méri­taient un com­men­taire. Tout à coup, j’ai vu un livre très hum­ble, et je ne sais quelle force fit que je m’arrêtai et com­mençai à l’examiner. Je ne voulais pas y croire, et je ne pus m’arrêter avant d’avoir fini de le lire. Après, j’ai essayé se savoir qui en était l’auteur ; per­son­ne ne le con­nais­sait, mais je l’ai ren­con­tré. Et j’ai dit à Porchia : “J’échangerais con­tre ces lignes tout ce que j’ai écrit” ». (Roger Caillois)

 

« L’œuvre d’Antonio Porchia paraît des­tinée au secret ou, plus exacte­ment, au secret partagé : celui qui reçoit les voix, indépen­dam­ment de la façon dont elles lui parvi­en­nent (exem­plaire, pho­to­copie, trans­mis­sion orale), ne les ressent pas comme des textes mais comme des seuils (et non pas le seuil qui « vainc l’oubli » mais celui qui se laisse vain­cre par la mémoire véri­ta­ble). De même, chaque ini­tié pressent que cette adresse n’a rien d’un acte anonyme, que c’est un dia­logue spé­ci­fique­ment des­tiné depuis tou­jours à ce lecteur en par­ti­c­uli­er. Recevoir une voix, la lire, l’entendre, la caress­er, la com­mu­ni­quer, ne sont pas des actes quo­ti­di­ens mais le moyen de déchiffr­er un des­tin (et, par­fois, le des­tin). De la même façon, celui qui veut les faire pass­er par l’œil de la cri­tique lit­téraire, finit par com­pren­dre (ou autrement il ne com­prend pas) que les voix sont, plus qu’un genre en elles-mêmes, un esprit. » (Ale­jan­dro Toledo)

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