« L’amitié par­ticipe de ce grand cycle naturel »

« Quand d’autres sont capa­bles d’agir, écrire m’est une néces­sité, mais c’est aus­si ma façon d’appartenir à une com­mu­nauté où l’homme cherche à s’identifier, lève le bras et dis­paraît. L’amitié par­ticipe de ce grand cycle naturel » ( extrait de Traces n° 52 – 1975)

Claude Ser­reau n’est pas un poète soli­taire, bien que dis­cret, il a depuis ses débuts en poésie, créé des liens solides avec des poètes et des artistes. Ces ami­tiés éclairent le présent :

« la terre a gardé, des amis disparus,
      le rire des verg­ers qui éclaire la nuit » ( Réflex­ion pour la nuit)

Pour ce poète, la mis­sion est de trans­met­tre, comme Gilles Four­nel et Michel-Fran­cois Lavaur  Claude Ser­reau est enseignant,  tout comme  leur poète de référence, l’instituteur de Lou­is­fert , René Guy Cadou dont Claude Ser­reau dit qu’il se sent le plus proche. Claude Ser­reau a œuvré pour la Poésie, pas seule­ment pour la sienne. Il a été de toutes les actions pour la pro­mo­tion de la poésie en Pays de Loire et en Bre­tagne. Il est bien, poète du grand Ouest qui s’étend du pays d’Olonne au pays castel­bri­antais : « J’ai choisi mon hérédité. Je suis de ce pays d’eaux, de ter­res et de vents, et des pre­miers hoquets de l’Océan. Je suis d’Ouest, des ports du Pays d’Olonne aux coupes forestières du Castel­bri­antais, du marais vendéen aux salines de Guérande, à tra­vers les haies bocagères et les fer­mes isolées jusqu’à l’estuaire. »(Traces n° 52–1975)

 

La ren­con­tre avec Gilles Fournel

« Le poète dont je me sens le plus proche est évidem­ment René Guy Cadou et mon pre­mier texte que Gilles Four­nel a pub­lié en 1956 dans la revue Sources lui rendait hom­mage » ( Revue Signes n° 25)

Syl­vain Chif­foleau est l’imprimeur de la revue Sources et c’est en allant chez lui que Claude Ser­reau fait la con­nais­sance de Gilles Four­nel et des poètes qui l’entourent : Claude Vail­lant, Hen­ry de Grand­mai­son, ils sont rejoints par Michel Vel­mans et Michel Luneau. Le comité de rédac­tion s’élargit à 13 col­lab­o­ra­teurs, Claude Ser­reau en fait par­tie. Très vite la revue reçoit les encour­age­ments des poètes de l’école de Rochefort, Mar­cel Béalu, Jean Bouhi­er,  Michel Manoll, Luc Béri­mont et Hélène Cadou. Dire la poésie, aller à la ren­con­tre du pub­lic c’est la volon­té de Gilles Four­nel, à laque­lle adhère l’équipe. Dès le numéro 3, une déci­sion est prise, faire con­naître la poésie à tra­vers des spec­ta­cles poé­tiques ; Gilles Four­nel a été élève du con­ser­va­toire d’art dra­ma­tique, Michel Luneau est comé­di­en dans la troupe de Guy Parisot. Une pre­mière soirée a lieu à Rennes, le 17 mars 1956 avec au pro­gramme en pre­mière par­tie Rim­baud, Desnos,  Lor­ca et Super­vielle et en sec­onde la poésie des « sourciers ».

Sources, ce n’est pas seule­ment une revue, ce sont aus­si des édi­tions, elles pub­lieront en novem­bre 1957 Le vent des abîmes de Michel Manoll, illus­tré par Guy Big­ot ; le recueil obtient le prix Laporte. Gilles Four­nel est un décou­vreur de tal­ent : « Je suis fier de vous avoir fait con­naître des poètes aus­si doués que Claude Vail­lant, Joseph Rouf­fanche, Mar­cel Lebourhis, Georges Dra­no, Claude Ser­reau (…) dont j’estime que ce sont des valeurs de demain. » (édi­to­r­i­al Sources n°12)

Les dif­fi­cultés finan­cières ne per­me­t­tront pas de main­tenir la pub­li­ca­tion de la revue au-delà du numéro 11. Un change­ment de cap est ten­té, en juil­let 1958 Sources devient La revue de l’Homme Nou­veau, elle fait une place au roman et au théâtre avec comme col­lab­o­ra­teurs : Hervé Bazin, Robert Mer­le, Claude Roy, Charles Le Quin­trec, Roger Vail­lant, Robert Sabati­er… Mais ceci est une autre « aventure ».

La poésie meurt, vive la poésie. Gilles Four­nel cesse de pub­li­er Sources, mais le flam­beau sera repris et pour 50 ans, par un jeune poète en son « lavauratoire »

 

Michel-François Lavaur en sa « fourbithèque » .

Une équipe naît très vite autour de Michel-François Lavaur qui sera le maître d’oeuvre d’une nou­velle revue poé­tique : Traces, il a le désir d’y associ­er les arts graphiques. Lavaur aime dessin­er, il a suivi les cours de l’école des Beaux Arts de Bor­deaux.  Il présente ain­si la revue à la presse : «  Désor­mais nous fer­ons à la poésie la place qui est sienne, objec­tivée en des expo­si­tions par les arts graphiques et plas­tiques … ». Le pre­mier numéro de Traces paraî­tra en jan­vi­er 1963 avec des poèmes de Pierre Autize, Jean Bouhi­er, Guy Cham­bel­land, Jean Chatard, Georges Dra­no, Gilles Four­nel, Jean Laroche, Michel François Lavaur, Jammes Sacré, Claude Ser­reau… et bien d’autres.

Claude Ser­reau, com­pagnon de la pre­mière heure, bien des années plus tard  écrira  un texte hom­mage à son ami : «  Pour nous les amis des tout débuts du comité de rédac­tion, un bien grand mot pour une équipe plutôt frater­nelle, Nor­bert Lelu­bre, Jean Laroche,nos pres­tigieux aînés hélas décédés, Alain Lebeau et moi-même qui restons naufragés sur ce radeau doré­na­vant à la dérive, Michel a été l’initiateur et le fédéra­teur d’une œuvre qui s’est imposée par le large accueil qu’elle offrait à tous ceux que Lavaur, jamais on ne l’appela Michel-François, jugeait dignes de fig­ur­er dans sa revue. » ( revue 7 à dire n° 66)

Claude Ser­reau comme il s’amuse à le dire, sera ce « buveur d’eau par­mi les buveurs de muscadet ».

En 1961 M.F. Lavaur a été nom­mé insti­tu­teur au Pal­let ; en 1962, il entre en con­tact avec Syl­vain Chif­foleau qui lui trans­met l’adresse de Claude Ser­reau ; en se prom­enant à Nantes, il avait vu à la vit­rine d’une librairie, un recueil de RG.Cadou et la revue Sources, il y avait décou­vert des poètes  dont Claude Ser­reau et Gilles Four­nel à qui il dédi­cac­era bien plus tard  ce poème :

  Ain­si donc je naquis
    presque par mégarde
    à la poésie des pays d’ouest

   …………..

   Lou­is­fert proche et Cadou mort
    je ne sais plus comment
    j’allai jusqu’à Fournel
   à cause d’un nom à l’occitane
   et ce titre d’eaux vives
   le féminin pluriel
   de sa revue Sources
   n’est pas sans cousinage
   avec mes Traces.

                                      (extrait de Poèmes 15 jan­vi­er 1983)

 

La revue Traces est réal­isée par M.F.Lavaur sur une presse à maniv­elle, l’imprimeur Souchu à Clis­son réalise la cou­ver­ture, les six let­tres du logo ont été dess­inées par Paul Dauce. 174 numéros suc­cèderont au pre­mier numéro sor­ti en jan­vi­er 1963 ; ain­si que 178 recueils car Traces est aus­si, comme Sources, une mai­son d’édition. Dans sa mai­son de San­guèze, son « lavau­ra­toire » ou « four­bithèque » seront pub­liés : M.Baglin,G.Baudry,J.Chatard,G.Cathalo, J.C.Coiffard, A.Lacouchie, N.Lelubre ‚A.Lebeau, G.Lades… M.F.Lavaur sera le pre­mier édi­teur de Poèmes du pays qui a faim de Paol Keineg (1967). Paol Keineg avait con­cou­ru pour le prix de Traces en 1966, prix dont M.F.Lavaur avait eu l’idée en 1965, l’équipe « a raté » le man­u­scrit, ce qui fit dire à M.F. Lavaur : « Si je ne suis pas capa­ble de repér­er Keineg, ce n’est pas la peine de faire un prix ! »

Claude Ser­reau pub­liera l’essentiel de son œuvre aux édi­tions Traces, 10 des 14 recueils qu’il pub­lie entre 1966 et 2010. Son pre­mier recueil pub­lié aux édi­tions Traces en 1966 Raisons élé­men­taires obtient le prix Théophile Bri­ant, prix qui lui a affir­mé sa place de poète. Ce titre com­mence par un R, en hom­mage à René Guy Cadou ; tous les titres des recueils de C. Ser­reau com­menceront par cette let­tre, gage de sa fidél­ité au poète. Claude.Serreau est  présent, du pre­mier numéro paru en jan­vi­er 1963 à l’ultime numéro  «  50ans de poésie » Traces n° 176, il y  souligne alors le rôle majeur de Traces dans le paysage poé­tique français : «  Un doc­u­ment essen­tiel et un témoignage sans égale pour qui veut ou voudra con­naître ce que fut en France et en par­ti­c­uli­er dans l’Ouest, au cours des cinquante dernières années une vie au ser­vice de la Poésie. » 

 

Les actions poétiques

Pen­dant plus de 50 ans , depuis Sources en pas­sant par Traces, de nom­breux poètes avec Gilles Four­nel et Michel François Lavaur ont eu cette volon­té de touch­er le pub­lic pop­u­laire, d’accroître le ray­on­nement de la poésie. Les « actions poé­tiques » nées sous l’impulsion de Gilles Four­nel soutenues par N. Lelu­bre, J. Laroche et Claude Ser­reau sont pro­longées par M.F. Lavaur.

 Les mem­bres de l’Académie Régence, future Académie de Bre­tagne, y par­ticiper­ont. Dès 1956, les poètes « sourciers » et l’Académie Régence col­la­borent à une antholo­gie 13 poètes du pays nan­tais,éditée par Syl­vain Chif­foleau, Armel de Wismes en fait la présen­ta­tion à la presse, madame Francine Vasse lit des poèmes de RG. Cadou et Hélène Cadou, la librairie Coif­fard organ­ise une dédi­cace à laque­lle la majorité des auteurs par­ticipent dont Yves Cos­son, Nor­bert Lelu­bre, Claude Ser­reau… Du 20 au 27 févri­er 1960 la galerie Michel Colomb expose des poètes nan­tais par­mi les par­tic­i­pants : J. Laroche, N. Lelu­bre, P. Rossi, G.Voisin et Claude Ser­reau. Du 24 jan­vi­er au 7 févri­er 1963, une expo­si­tion de pein­ture et de poésie est organ­isée  par les amis de Traces dans le hall de Presse Océan sous le patron­age de l’Académie de Bre­tagne, y par­ticipent : J. Bouhi­er, H. Cadou,Y. Cos­son, G. Drano,G.Fournel, M.F. Lavaur,J.Laroche,A.Lebeau, N.Lelubre, J.Rousselot, C.Serreau, M. Vel­mans ; par­mi les pein­tres P. Dauce bien sûr…

 

À cha­cun sa musique

«  J’aurais aimé savoir écrire la musique elle aus­si prop­ice  à l’évasion… » C. Ser­reau ( revue Signes n° 25)

Claude Ser­reau est  mélo­mane, out­re le français, il a enseigné la musique et voue une pas­sion à l’œuvre de Jean-Sébastien Bach.

« Claude Ser­reau est un mélo­mane aver­ti. Il nous rend une par­ti­tion de haute gamme tant la mesure est exacte, la couleur sonore des images, la ryth­mique des vers : tout est en place quelque soit le thème. » Gilles Baudry

Le com­pos­i­teur Roger Tessier s’intéresse aux rap­ports de la musique et de la poésie, il est un abon­né fidèle de la revue 7 à dire, à laque­lle col­la­bore depuis ses début Claude Ser­reau ; il a décou­vert dans cette revue le poème inspiré de l’abbaye de Sénanque, il le choisit pour sa pièce pour con­tre ténor, vielle de gambe et qua­tre luths, crée en 2014 au con­ser­va­toire de Toulon. Roger.Tessier con­naît Claude Ser­reau depuis les années 1970, ils se sont ren­con­trés lors d’un stage esti­val à Saint-Clar dans le Var, Roger Tessier avait demandé à Claude d’écrire un petit texte  Arcanes sur lequel il avait com­posé une musique pour flûte à bec et petit chœur. Récem­ment Roger Tessier a choisi la con­clu­sion d’un poème paru dans le recueil Retrait des rives, «  et l’espace s’accroît de l’invisible errant », comme sous titre d’une pièce pour flûte. Claude Ser­reau compte aus­si par­mi ses amis musi­ciens, le com­pos­i­teur Mar­tial Robert qui a util­isé les titres de ses recueils pour com­pos­er War Vor une pièce de huit voix mixtes et sons fixés.

 

Claude Ser­reau pour­rait se sen­tir bien seul aujourd’hui, car de cette belle et longue « aven­ture » poé­tique autour de Gilles Four­nel et Michel-François Lavaur, il ne reste comme com­pagnon que le poète Alain Lebeau. Mais Claude n’est pas seul, il a tou­jours su créer des liens solides, se tourn­er vers d’autres hori­zons, aller à la ren­con­tre d’équipes qui font vivre la poésie et plus par­ti­c­ulière­ment celle de l’Ouest. Il a répon­du à l’appel de Jean.Marie Gilo­ry, quand celui-ci a lancé en 2002 la revue 7 à dire ( à ce jour 64 numéros) et les édi­tions Sac à mots. Claude fait par­tie du comité de rédac­tion, en com­pag­nie de J.C.Coiffard, J.P. Plain­tive , M.Morillon-Carreau, E.Turki,  comité qui comp­tait aus­si Yves Cosson …

La poésie reste vivante et frater­nelle à Nantes, portée par des poètes qui, comme Claude Ser­reau, restent fidèles à leur pas­sion, à leurs amis, à une poésie pro­fondé­ment humaine, à l’image de l’œuvre de RG. Cadou.

«  Mer­ci pour vos poèmes qui m’apportent l’air de notre pays, ce pays qui n’en finit pas de nous éton­ner. Vous êtes un vrai poète, un jeune frère de René. » Hélène Cadou ( 6 jan­vi­er 1958). Ces mots d’Hélène n’ont pas vieil­li, le « jeune poète » a aujourd’hui pris quelques rides mais il est bien un « vrai poète » qui a su porter haut la poésie en ce pays de l’Ouest et d’ailleurs.

 

 

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