A quoi sert donc le poète ? Il sert juste à réin­ven­ter le monde !

 

De volup­té ou de con­ti­nence, d’exaltation ou d’effritement, d’ascension ou d’effondrement, dans l’ombre et dans la lumière, dans la cer­ti­tude et dans le doute, le poète, qu’il soit célébré ou esseulé, s’engage et nous engage dans l’affrontement per­pétuel de la vie. Dans sa pas­sion aus­si. Il en est ain­si depuis la nais­sance de l’étonnement, de l’indignation et de la révolte.

Envelop­pé d’ardeur et de foi, le poète, ange paci­fique, prophète ardent, inlass­able­ment, nous incite à com­pos­er la ronde des mots, à effeuiller celle des maux. Il saisit nos mains, nos lèvres, il inter­pelle nos cris, nos silences,  afin de créer la plus belle sai­son d’aimer et la plus sym­bol­ique vic­toire, face à l’abus, la cen­sure, l’exil, l’anathème, la mis­ère, l’abandon et la mort. Il se bat con­tre la dis­grâce du monde, con­tre sa folie meur­trière. Il se bat pour réin­ven­ter l’humain.

Le poète sert à tout rêver, à tout imag­in­er, à tout ten­ter, à tout regarder, à tout défi­er et à tout recom­mencer. Si besoin. A tout envis­ager autrement. Lui, que l’on croit sauvage, soli­taire, refer­mé sur son univers, vit au fond de cha­cun de nous, quand enfin nous nous en apercevons. C’est alors l’éveil de tous les miracles.

L’éveil, juste­ment, il nous l’apprend sur les march­es de l’aube. Les turpi­tudes du monde, il les soulève une à une devant nos yeux naïfs et oublieux. Les crimes de nos pairs, il les retient en son souf­fle élo­quent et généreux, afin que notre sou­venir n’en soit pas indigne. Il est l’armure, il est le rem­part, il est l’effort, il est le fol éloge de nos attentes si fiévreuses et anci­ennes. Tous les peu­ples libérés le sont grâce à leurs poètes. Si seule­ment ils s’en souvenaient !

Rebelle, pio­nnier, guer­ri­er, téméraire, cré­d­ule, inno­cent, inépuis­able, indu­bitable­ment, le poète est inven­teur d’espoir, cise­leur d’avenir, empêcheur de tourn­er dans l’échec. Il nous prend à témoin, nous prévient du déluge de nos âmes, il sacralise nos fougues et nos rebel­lions. Parce qu’il enracine ses songes dans ce « poiê­sis » grec, source de tout souf­fle, de toute créa­tion, de tout génie, de toute tran­scen­dance et de toute béné­dic­tion. Et surtout, il a le don de nous pouss­er à entrevoir tous les pos­si­bles, tous les autres. Sans com­pro­mis­sion, sans con­ces­sion, sans renon­ce­ment, il est le renou­veau, la tem­pérance et l’immuabilité de notre désir de lib­erté. C’est vers lui que se diri­gent nos regards dés­abusés, nos peines assiégées. Il nous porte dans les vents de nos délires, jusqu’à l’affranchissement total de nos rêves.

Sans le poète, le monde est gris, le monde est laid. Car, affreuse­ment assail­lis de charog­nards, de tyrans et de scélérats. De démons pre­miers. Notre pau­vre monde si frêle, prêt à s’évaporer en une insulte  immonde, lorsque sonne le glas du con­flit. Là, indompt­able, tel l’olivier sécu­laire, le poète se sou­vient de la paix. Il se sou­vient que l’homme ne peut se faire dans la haine et l’érosion, que l’homme ne peut s’accomplir que dans la con­vic­tion. Le poète investit alors cœurs et scènes de com­bat, pour nous nous rap­pel­er com­bi­en il est vain de tenir à la douleur et à la guerre, com­bi­en l’orgueil recon­duit nous coûte en human­ité brisée. Le poète qui nous sait, pris en otage de nos pro­pres frères, nous con­te la brisure des chaines, celles que nous por­tons en nous-mêmes.

Epris d’amour, de résis­tance, de jus­tice et de ténac­ité, le poète nous est vital, la poésie nous est sidérale. A réveiller tous les poètes qui som­meil­lent en nous. Car ils sont nos consciences.

Socrate l’avait décrété d’essence divine. Aus­si, je crois bien que, si le poète n’existait, il aurait  fal­lu l’inventer. De toute urgence !

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