Elie-Charles Flamand vient de nous quitter à 87 ans. Il venait de publier Un strelitzia monte de l’entrefaite (La Lucarne ovale, 2016).
Ce poète hors du commun, de très grande valeur, vient de disparaître dans un relatif anonymat. Il écrivait des livres, si j’ai bien compris, dira le prêtre qui accompagne (fort bien par ailleurs) sa dépouille mortelle ce mercredi premier juin. Le public cultivé, sans parler du grand public, en savait- t‑il plus ? Nul n’est certain d’obtenir une forme d’immortalité ici-bas, surtout s’il n’est pas assuré d’un grand éditeur (pourtant Elie-Charles a été publié chez Belfond ou Dervy), ni de l’appui d’un « groupe » ou d’un réseau (il avait quitté les surréalistes après huit années de participation aux activités du groupe en 1959 ; il ne figure même pas dans l’anthologie de la poésie surréaliste de Jean-Louis Bédouin en 1964). Pourtant, La Lune feuillée, paru déjà en 1968 chez Belfond, avec une préface d’André Pieyre de Mandiargues, était déjà suffisamment charmeur en ses « cristallisations verbales » (Mandiargues), pour figurer dans l’esprit de ses pairs comme un grand poète méconnu de notre temps. Cette œuvre s’est obstinée depuis dans la voie de l’alchimie poétique pendant presque un demi-siècle, dans un silence trop général. Les recueils se sont succédés chez un éditeur militant, La Lucarne ovale, livres confidentiels, absolument originaux dans une époque de duplication, destinés à un nombre restreint de lecteurs.
Il est impossible de résumer vingt-six années de rencontres et de conversations trop rares depuis un printemps où il m’apparut en premier comme un mage, plein de dignité et d’aménité, au milieu d’une foule déjà presque estivale sur la place Saint-Sulpice. L’année en question était 1990, mais cela aurait pu être aussi bien 990 ou 2990. Une apparition hors du temps. Il aimait les mots rares comme « lumacelle » et la beauté de la spirale du Nautile.
Avec un humour jamais démenti, malgré des souffrances physiques continuelles, à la « déglingue » du corps, il répondait par des salves musicales de mots qui l’empêchaient de se sentir « un vieux dinosaure » dans les mutations de l’époque. Il avait encore à l’esprit la qualité particulière du regard amical porté par André Breton sur lui. Dans un autre temps.
Sa vie en ces dernières années fut presque sacerdotale, toute spirituelle, attentive aux signes, et tournée de façon contemplative vers l’art et la nature dans leurs plus singulières créations. Il voyait clair sous l’apparence du chaos et de la confusion démocratique des valeurs qui échouaient jusqu’à lui, ermite, solitaire de la rue des Annelets, folle rumeur des centres qui n’étaient pas le « Vrai Centre ». Il aimait mieux écouter les musiciens de vrai jazz, et prolonger ses passions pour la paléontologie, les fossiles ou les minéraux. Et l’art. En particulier celui du symbolisme.
Dans cette église Saint Jean-Baptiste de la place Jourdain, il a certainement aimé le sacré de la liturgie, les harmonies de l’orgue, et cette volée cristalline de cloches dans le lointain. Il a respiré dans le volume majestueux et vertical la fumée d’encens et l’odeur de feu qui circulaient en volutes, la flamme des cierges et l’eau, et l’apaisement qui jamais ne fit défaut au bout du poème. Certains s’étonneront de cette religiosité, mais n’était-il pas suivant l’expression d’Angélus Silésius, ein cherubinischer Wandersmann, un pèlerin chérubinique ?
Wandersmann. Un aventurier intérieur par monts et par vaux, traversant forêts périlleuses, de pures rivières de mots, le feu, la glace et l’eau. Tous ses poèmes ou presque disent la traversée difficile, les mouvements du cœur exprimés avec les mots d’une inlassable allégorie de la quête contre tous obstacles.
Une balance à peser les plus subtils changements atmosphériques, une pince à climats délicate, tels furent les instruments préférés pour dire le ciel poétique toujours instable d’Elie-Charles Flamand. Avec toujours, et en dernier lieu, l’espérance d’une embellie, le triomphe de l’adversité. Alors non, les mots, même ceux trop appuyés du dogme, la pédagogie du christianisme, même lourde, allaient dans le sens de cette espérance poétique et alchimique.
Le seul scandale (provisoire on l’espère) est celui d’un si grand poète trop peu connu.
Marc Kober A Paris, mercredi premier juin 2016.