ENTRE POESIE ET PHILOSOPHIE (3)

 

                        LA BELLE COMMUNAUTE, SANS COMMUNAUTARISME… ET SANS CHAPELLES

 

 

« We are all in the gut­ter, but some of us are look­ing at the stars. » Oscar Wilde

 

     

       L’homme est l’an­i­mal malade, doté d’ap­ti­tudes remar­quables, s’il les cul­tive par l’ap­pren­tis­sage. Il est capa­ble d’ap­pren­dre à percevoir, c’est-à-dire à dis­cern­er, et il est capa­ble, alors, d’ap­pren­dre à aimer. Deux con­di­tions sont req­ui­s­es toute­fois : il doit faire taire et sa propen­sion à croire, et l’orgueil de sa rai­son, les deux symp­tômes les plus inquié­tants, peut-être, de la mal­adie… L’ef­fort à cul­tiv­er est donc celui qui porte vers les croy­ances les plus justes et vers l’amour le plus doux.

 

      Il faut nom­mer la mal­adie : névrose? Elle est alors néces­saire­ment liée à la nature sociale de l’homme… Esprit ? Elle est alors l’ex­pres­sion d’un manque innom­ma­ble que le nom de Dieu chercherait à combler… Névrose et Esprit ? Se dessi­nent alors, peut-être, à tra­vers la fig­ure des monothéismes, dans la com­péti­tion qui les ani­me, les occur­rences plurielles de la mort de Dieu.… Une par­en­thèse sug­ges­tive : un tra­vail serait à fournir pour iden­ti­fi­er avec pré­ci­sion le sens du sacre (juron) québé­cois « esprit », enten­du dans le film Mom­my de Xavier Dolan, sous-titré plusieurs fois « putain », et qui sem­ble être un des pires jurons si l’on en croit la réac­tion des per­son­nages lorsqu’il est prononcé !

 

      On peut aus­si nom­mer la mal­adie lyrisme pour par­ler comme Jean-Michel Maulpoix qui écrit : « Le lyrisme est la mal­adie de celui qui ne peut se résoudre à ce que ce qui est ne soit pas ce qui pour­rait être. » (in L’in­stinct de ciel – Poésie Gal­li­mard). J.M.Maulpoix ne dit pas « ce qui devrait être ». Il ne s’ag­it pas de déplor­er l’im­pos­si­bil­ité d’un devoir, d’in­spi­ra­tion kanti­enne, dif­fi­cile par son exi­gence, son intran­sigeance. Il s’ag­it d’un pou­voir nég­ligé. Nous n’in­vo­quons pas ici cette douloureuse con­di­tion méta­physique d’une exis­tence ten­due entre les affres de la con­tin­gence et une exi­gence impos­si­ble. Non, sim­ple­ment une négligence… 

 

      Il importe donc d’ap­pren­dre à creuser la nature de cette nég­li­gence. Car il s’ag­it d’être probe, de ne pas se pay­er de mots, comme nous l’ap­pren­nent Porchia ou Niet­zsche. Ce dernier mon­tre bien que ceux que la « morale » répugne au plus haut point ne sont pour­tant pas dépourvus de cette ver­tu qu’il appelle « pro­bité », par­fois « pro­bité intel­lectuelle », et qui con­siste pré­cisé­ment à s’ef­forcer de n’être pas dupe, à s’ef­forcer de se dépren­dre de ce dont on dépend – et qui nous aveu­gle, nos croy­ances, notre orgueil ! Par négligence.

 

      La mal­adie n’est pas la nég­li­gence, mais la nég­li­gence enracine la mal­adie, et nous aveu­gle à son pro­pos. La vraie ques­tion est alors : qu’est-ce qui est nég­ligé ? Ou bien, qu’est-ce qui a été nég­ligé à un moment don­né ? La com­préhen­sion de la nature de ce qui a été nég­ligé devrait per­me­t­tre de pré­cis­er le proces­sus de l’en­racin­e­ment de la maladie.

 

       Et peut-être, par con­traste, la voca­tion du chant (melos) qui remonte inces­sam­ment la pente où nous entraîne le déclin oublieux. Il n’est pas ques­tion de vis­er des idéaux loin­tains (assez de toutes ces idéolo­gies poli­tiques, religieuses…!) mais le réel man­qué. La beauté si proche, si peu vis­i­ble. Pourquoi sommes-nous si nom­breux tournés vers le caniveau et si peu nom­breux à regarder vers les étoiles, pour s’é­ton­ner avec Oscar Wilde ?

  Vouloir la poésie aujour­d’hui : pour la pos­si­bil­ité d’une belle com­mu­nauté, sans com­mu­nau­tarisme ? Et sans esprit de chapelle… 

image_pdfimage_print